La mer. Jules Michelet

La mer - Jules Michelet


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Je ne suis pas rassurée...»

      A tort. Tout est ami ici. Ces petits êtres ne parlent pas au monde, mais ils travaillent pour lui. Ils se remettent du discours à leur sublime père, l'Océan, qui parle à leur place. Ils s'expliquent par sa grande voix.

      Entre la terre silencieuse et les tribus muettes de la mer, il fait aussi le dialogue, grand, fort et grave, sympathique,—l'harmonique concordance du grand Moi avec lui-même, ce beau débat qui n'est qu'Amour.

       Table des matières

      CERCLE DES EAUX, CERCLE DE FEUX.—FLEUVES DE LA MER

      La terre a jeté à peine un regard sur elle-même qu'elle s'est comparée, préférée au ciel. La géologie, toute jeune, contre son aînée l'astronomie, reine orgueilleuse des sciences, a poussé un cri de Titan. «Nos montagnes, a-t-elle dit, ne sont pas jetées au hasard, comme les étoiles dans le ciel; elles forment des systèmes où l'on trouve les éléments d'une ordonnance générale dont les constellations célestes ne présentent aucune trace.» Ce mot hardi, passionné, a échappé à un homme aussi modeste qu'illustre, M. Élie de Beaumont.

      Sans doute, on n'a pas démêlé encore l'ordre (probablement très-grand) qui règne dans le pêle-mêle apparent de la Voie lactée; mais l'ordonnance plus visible de la superficie du globe, résultant des révolutions insondables de son intérieur, garde cependant, gardera pour la plus ingénieuse science des ombres et des mystères.

      Les formes de la grande montagne émergée des eaux qu'on appelle proprement la terre, offrent plusieurs dispositions assez symétriques sans pouvoir être ramenées encore à ce qui semblerait un système total. Ces parties sèches et élevées apparaissent plus ou moins, selon ce que l'eau en découvre. C'est la mer, comme limite, qui trace, en réalité, la forme des continents. C'est par la mer qu'il convient de commencer toute géographie.

      Ajoutez une grande chose, révélée depuis peu d'années. Tandis que la terre nous offre tels traits qui semblent discordants (exemple, le Nouveau monde étendu du nord au sud et l'Ancien d'est en ouest), la mer au contraire présente une très-grande harmonie, une correspondance exacte entre les deux hémisphères. C'est dans la partie fluide, qu'on croyait si capricieuse, qu'existe la régularité. Ce que ce globe a de plus ordonné, de plus symétrique, c'est ce qui paraît le plus libre, le jeu de la circulation. L'ossature et les vertèbres du grand animal ont leurs singularités dont nous ne pouvons encore bien, nous rendre compte. Mais son mouvement vital qui fait les courants de la mer, qui de l'eau salée fait l'eau douce, bientôt convertie en vapeur pour retourner à l'eau salée, cet admirable mécanisme est aussi parfait que celui de la circulation sanguine dans les animaux les plus élevés. Rien qui ressemble davantage à la transformation constante de notre sang veineux et artériel.

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      La face du globe paraît bien autrement compréhensible, si l'on en classe les régions, non par chaînes de montagnes, mais par bassins maritimes.

      L'Espagne du Sud ressemble au Maroc plus qu'à la Navarre, la Provence à l'Algérie plus qu'au Dauphiné; la Sénégambie aux régions de l'Amazone plus qu'à la mer Rouge, et l'Amazone a plus d'analogie avec les régions humides de l'Afrique qu'avec ses voisins qui lui sont adossés, le Chili et le Pérou, etc.

      La symétrie de l'Atlantique est encore bien plus, frappante dans les courants en dessous, dans les vents et brises en dessus. Leur action aide puissamment à créer ces analogies et à former ce qu'on peut dire: la fraternité des rivages.

      Le principe d'unité géographique, l'élément classificateur sera de plus en plus cherché dans le bassin maritime, où les eaux, les vents messagers fidèles créent la relation, l'assimilation des bords opposés. On demandera moins cette idée d'unité géographique aux montagnes, dont les deux versants, souvent en contradiction, vous offrent sous même latitude des flores et des populations absolument opposées, ici l'invariable été, à deux pas l'éternel hiver selon les expositions. La montagne donne rarement l'unité de la contrée, plus souvent sa dualité, son divorce et ses discordances.

      Cette vue de génie appartient à Bory de Saint-Vincent. Les découvertes récentes de Maury et les lois qu'il a posées la confirment de mille manières.

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      Dans l'immense vallée de la mer, sous la double montagne des deux continents, il n'y a, à proprement parler, que deux bassins:

      1º Le bassin de l'Atlantique;

      2º Le grand bassin de la mer Indienne et Pacifique.

      On ne peut appeler bassin la ceinture indéterminée de l'énorme océan Austral, qui n'a ni borne, ni rivage, qui vers le nord seulement vient envelopper la mer de l'Inde, la Mer de Corail et le Pacifique.

      L'océan Austral, à lui seul, est plus grand que toutes les mers. Il couvre presque la moitié de la surface du globe. Selon toute apparence, à l'étendue répond la profondeur. Tandis que les sondages récents de l'Atlantique indiquent 10 ou 12,000 pieds, dans l'océan Austral, Ross et Denham ont trouvé 14,000, 27,000, et jusqu'à 46,000 pieds. Ajoutez-y la masse des glaces antarctiques, infiniment plus vastes que nos glaces boréales. On n'est pas loin du vrai, si l'on simplifie en disant: L'hémisphère Austral est le monde des eaux, et le Boréal celui de la terre.

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      Celui qui part d'Europe et veut traverser l'Atlantique, étant sorti heureusement de nos ports, trop souvent fermés par le vent d'Ouest, après avoir franchi la zone variable de nos changeantes mers, entre bientôt dans le beau temps, la sérénité éternelle que les vents de N.-E., les doux vents alizés mettent sur la mer et dans le ciel. Tout sourit; nulle inquiétude. Mais en avançant vers la Ligne; la brise vivifiante cesse, l'air devient étouffant. On entre dans la zone des calmes qui dominent sous l'équateur, et séparent immuablement les Alizés de notre hémisphère boréal et les Alizés de l'hémisphère Sud. De lourds nuages pèsent; de grandes pluies fondent à chaque instant. On s'attriste, on se plaint, mais sans ce rideau sombre, de quelles flèches de feu le soleil frapperait les têtes ébranlées sur le miroir de l'Atlantique! Sans les déluges qui assaillent l'autre face du globe, la mer Indienne et la Mer de corail, quelle serait leur fermentation aux cratères de leurs vieux volcans! Cette masse noire de nuages, jadis la terreur, la barrière de la navigation, cette nuit subite étendue sur les eaux, c'est précisément le salut, la facilité protectrice qui nous adoucit le passage, et nous fait bientôt retrouver au sud le beau soleil et le ciel pur, la douceur des vents réguliers.

      Tout naturellement la chaleur de la Ligne élève l'eau en vapeurs, et forme cette bande sombre.

      L'observateur qui, d'une autre planète, regarderait la nôtre, verrait planer sur elle un anneau de nuages, à peu près comme on voit l'anneau de Saturne. S'il en cherchait l'usage, on pourrait lui répondre: C'est le régulateur qui, absorbant et rendant tour à tour, équilibre l'évaporation, la précipitation des eaux, distribue les pluies, les rosées, modifie la chaleur de chaque contrée, échange les vapeurs des deux mondes, emprunte au monde Austral de quoi faire les rivières, les fleuves de notre monde Boréal. Solidarité merveilleuse. L'Amérique du sud, dans ses grandes forêts, de leur respiration, condensée en nuages, abreuve fraternellement les fleurs et les fruits de l'Europe. L'air qui nous renouvelle, c'est le tribut que cent îles d'Asie, que la puissante flore de Java ou de Ceylan exhala, confia au grand messager des nuages qui roule avec la terre et lui verse la vie.

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      Posez-vous (j'entends en esprit) sur une des îles volcaniques que la mer Pacifique offre en si grand nombre et regardez au sud. Derrière la Nouvelle-Hollande, vous verrez l'océan Austral assiéger d'un flot circulaire les deux pointes extrêmes de l'ancien et du nouveau continent. Point de terre au monde Antarctique, ou de petites îles, ou de prétendues terres polaires que les découvreurs


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