Les pilotes de l'Iroise. Edouard Corbiere

Les pilotes de l'Iroise - Edouard  Corbiere


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piquants, et le déshonneur de sa victime plus digne de lui. Et il voulait encore nous faire accepter le prix de cette malheureuse enfant!... Le lâche! Que ne peut-il savoir le cas que j'ai fait de ses honteux présents, et l'espèce de reconnaissance qu'ils m'inspirent! Mais l'homme à qui il en destinait une partie, pleure peut-être l'or dont je l'ai privé. Je lui ai promis de lui payer la part sur laquelle il comptait, ce malheureux: il l'aura sa part, il l'aura bientôt, dussé-je acheter de ma vie la somme qu'il lui faut? Il y compte, le malheureux; il l'aura....

      Errant toute la nuit sur les rochers de l'île, absorbé dans ses cruelles réflexions, il n'entend ni la voix des pêcheurs qui l'appellent, inquiets de son absence, ni les pas de ses camarades, qui le cherchent dans les cavernes qu'il parcourt; accablé de fatigues et de douleur, il s'arrête quelquefois enfin, et ce sommeil, qui ressemble aux spasmes de l'agonie, s'empare de ses organes vaincus. Il s'endort, sa tête exaltée se penche: un rêve bondissant vient agiter encore ses sens déjà si cruellement tourmentés. C'est un navire ennemi dont il s'empare avec une simple barque de pêcheur. Cette idée fantastique, que poursuit son imagination en délire, convulsionne tous ses membres, et ses lèvres frémissantes laissent échapper plusieurs fois ces mots: Tu la veux, ta part: tu l'auras. Tiens, la voilà!

      Ses paupières fatiguées se rouvrirent bientôt. Le jour éclairait déjà l'horizon, et s'étendait sur la mer tranquille, qui gémissait mélancoliquement sur les plages de l'île. Tout préoccupé encore du songe auquel il vient de s'arracher, Cavet aperçoit sur les flots, que la nuit abandonne, un bâtiment immobile..... C'est mon rêve, s'écrie-t-il, en s'essuyant les yeux, comme s'il craignait de s'abuser encore: puis il court au milieu des pêcheurs, qu'il réveille, en répétant toujours: C'est mon rêve, c'est mon rêve!

      Les pêcheurs attribuent d'abord le désordre de ses sens et de ses discours à la douleur qui l'égarait la veille; mais il leur montre le navire dérivant vers l'île, au sein du calme; mais il leur raconte le songe qu'il a fait, les moyens que dans son sommeil la Providence semble lui avoir révélés, pour s'emparer du bâtiment ennemi: les jeunes marins l'écoutent. Convaincu comme il l'est, il les persuade; superstitieux comme ils sont, ils se laissent entraîner. On va chercher quelques armes dans les cahuttes voisines, et quinze ou seize petits marins consentent à s'embarquer sur le bateau de Tanguy, sur cette Croix-du-bon-Dieu, si heureuse jusque-là dans tous les événements de mer, qu'Ouessant a été appelée à admirer.

      Tanguy consent aussi à prêter sa barque chérie à son fils adoptif; mais, devenu prudent, il se refuse à partager le sort de ces corsaires improvisés, qui partent armés seulement de quelques mauvais fusils de chasse.

      —Si c'est un navire de guerre encalminé, que feras-tu? demanda-t-il à Cavet.

      —Nous jetterons nos armes à la mer, et nous lui dirons que nous sommes venus pour lui porter secours, en voyant le danger qu'il court avec les courants qui le drossent.

      —Et si c'est un navire marchand?

      Oh! alors nous tapperons à bord, et Dieu ou le diable fera le reste. La division anglaise est loin; et avant qu'elle ne puisse le secourir, il sera à nous et à vous aussi.

      En disant ces mots, il embrasse avec une sorte de délire son père Tanguy, il jette un coup d'oeil de mépris à Jean-Marie. et saute à bord du bateau avec son nouvel équipage. La barque était lourde en calme. Les avirons sont bordés: ils frappent à coups réguliers la mer immobile; les deux voiles que l'on hisse tombent flasques sur les mâts qu'elles frappent à chaque coup de roulis. Cavet, placé à la barre, encourage ses nageurs à ramer ensemble et avec force. La Croix-du-bon-Dieu s'éloigne du rivage couvert de la foule des spectateurs impatients. Le bâtiment aperçu grossit déjà à la vue de ceux qui se proposent de l'abandonner s'il est armé, et de l'attaquer s'il est sans défense. Une mauvaise longue vue est braquée sur lui, et Cavet, après l'avoir observé, annonce que c'est un-brick marchand. Le courage redouble: les avirons font bouillonner la mer le long de la barque, qu'ils forcent à sailler avec une extrême vitesse. Le jour se fait; le navire encalminé met ses embarcations à la mer, et les fait nager sur son avant, pour se haller au large; mais cette masse reste immobile au sein des flots que nos petits pilotes fendent avec rapidité: ils gagnent le navire, et tellement même, que bientôt ils parlent de faire feu sur lui.

      Mais c'est en ce moment décisif que la scène la plus plaisante se passe à leur bord! Beaucoup plus au fait de manoeuvrer pacifiquement leur barque, que de faire le coup de fusil, ils ne savent'trop comment commencer le feu. Cavet passe de l'arrière à l'avant dans cet instant solennel: il ordonne à ses guerriers, encore bien novices, de l'imiter; et pendant qu'une partie de l'équipage continue à ramer, l'autre portion ajuste l'arrière de l'ennemi, et fait pétiller la fusillade, non sans que chacun des héros n'ait fait le signe de la croix, et n'ait fixé son bonnet brun sur ses oreilles, avant de lâcher son coup. Cette attaque, toute grotesque qu'elle est, réussit. Le navire assailli par nos nouveaux Jean-Bart, hisse son pavillon, un large pavillon espagnol. Attention, voici le moment! s'écrie Cavet, prenant une posture héroïque: il arbore sa couleur, c'est pour nous envoyer du tabac par l'arrière!» Tous ses intrépides compagnons se couchent dans le fond du bateau, à ce mot d'avertissement. Mais le pavillon espagnol n'a été hissé que pour être bientôt amené, et pour donner aux vainqueurs un signal de reddition. Des cris de victoire s'élèvent à cette vue, du groupe des petits corsaires, qui deviennent indomptables. Ils abordent, le fusil couché en joue, le brick vaincu. C'était un bâtiment de Cadix, qui venait d'être pris par des mousses en sabots!...

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