Le dernier vivant. Paul Feval

Le dernier vivant - Paul  Feval


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      Monsieur,

      J'ai confessé une pauvre mourante qui va laisser après elle sur la terre un ange abandonné. Je vous ai rencontré une fois à Paris, au temps où vous et moi nous étions des étudiants, chez M. le baron de Marannes. Il s'agit de sa veuve et de sa fille. On ne vous reproche rien, mais on souffre et on se meurt. Votre présence ne sauverait pas la malade, Monsieur, ma conscience, me force à l'avouer, mais la dernière heure serait adoucie. Faites selon les conseils de votre honneur et de votre cœur.

      Pièce numéro 23

      (Écriture de Mme la marquise de Chambray, hâtive et troublée, sans date ni signature.)

       À M. Louaisot de Méricourt, agent d'affaires, rue Vivienne, à Paris.

      Répondez courrier pour courrier.

      Je suis dans la banlieue d'Yvetot, chez Mme veuve Thibaut, dont le fils très malade et peut-être fou, vient de s'enfuir.

      Il doit être à Paris.

      Je jurerais qu'il est à Paris.

      Trouvez-le sur-le-champ.

      Je dis: Coûte que coûte; trouvez-le, je le veux.

      Pièce numéro 24

      (Sans signature, mais écrit sur lettre à tête imprimée, ainsi conçue: Cabinet de M. Louaisot de Méricourt, consultations, démarches, renseignements, rue Vivienne, près du passage Colbert, Paris.)

      Cinq heures moins le quart (pas d'autre date).

      À Mme la marquise de Chambray, etc.

      M. L. Thibaut, arrivé ce matin à Paris par train de onze heures.

      Descendu chez Mme veuve Péry (baronne de Marannes), rue de Verneuil, 31, à midi moins dix.

      Baronne décédée à quatre heures, soir.

      Pièce numéro 25

      (Écrite et signée par Mme la marquise de Chambray.)

      Yvetot, 28 juin 1865.

       À Mme la supérieure des dames de la Sainte-Espérance, à Paris.

      Madame et chère mère,

      Vous qui savez consoler tous les deuils, voici une bonne œuvre à accomplir.

      Mlle Jeanne Péry de Marannes reste absolument seule après la mort de sa mère à qui j'ai pu faire quelque bien en son vivant. Elle n'a plus que moi de parente, et encore sommes-nous cousines si éloignées qu'il ne faut point chercher là l'origine de l'intérêt que je lui porte.

      Vous m'avez appris, vénérable et chère mère, à secourir, autant qu'on le peut, tous ceux qui souffrent, indistinctement. Je voudrais que Mlle Péry pût trouver un asile et des consolations dans votre sainte maison, au moins pendant les premiers instants de sa douleur, et je vous prie d'être assez bonne pour envoyer une de vos respectables compagnes, rue de Verneuil. 31, au domicile de feu Mme Péry.

      Vous donnerez à Mlle Jeanne une chambre convenable et la pension de 2e classe.

      Il est bien entendu qu'elle ne devra recevoir aucune visite, sinon des personnes de notre sexe. Et encore, je m'en fie à votre discernement pour choisir les visiteuses.

      Elle a le malheur d'être belle, et sa mère n'était pas une femme prudente.

      Je m'engage à solder tous frais de quelque nature qu'ils soient, ayant trait à la mission que je vous donne, sur simple note remise par vous, et je vous prie bien d'agréer, Madame et chère mère, l'hommage de ma respectueuse affection.

      Pièce numéro 26

      (Écrite et signée par Mme veuve Thibaut)

      À M. Lucien Thibaut, etc., à Paris Yvetot,

      3 juillet 65.

      Que fais-tu donc là-bas, à Paris, mon pauvre garçon? As-tu envie de me faire mourir de chagrin! Ah! tu m'en as fait, tu m'en as fait depuis la mort de ton père qui ne s'en privait pas non plus! j'entends de me faire du chagrin.

      Voyons, te crois-tu un collégien en vacances? à ton âge! Qu'est-ce que c'est que ces polissonneries-là? Tu vas perdre ta place, tout uniment, et par conséquent, ta carrière. Veux-tu me faire mourir de chagrin? Je l'ai déjà dit une fois. Tu me fais battre la breloque.

      M. le président Ferrand est venu voir si tu étais de retour. Voilà ses propres paroles: «Si c'est comme ça que votre fils nous récompense de son avancement sur place! Nous avons remué ciel et terre pour qu'il monte juge, et il se comporte comme un paltoquet!»

      Que veux-tu que je lui réponde, à cet homme-là? Il est bon comme le bon pain, mais on se lasse, à la fin des fins. Est-ce que je peux lui dire dans le tuyau de l'oreille: «Mon garçon a un coup de marteau?»....

      Vois-tu, c'est tout bonnement terrible. Les mères sont trop malheureuses. Quand tu auras été mis à pied, de quoi vivras-tu? Je vendrai bien ma chemise pour toi, c'est sûr, mais on ne va pas loin avec ça.

      Et M. Ferrand me le disait encore hier: «Qu'il ne se fie pas à l'inamovibilité. Ça peut craquer.» Tu es bien coupable!

      Tes sœurs sont furieuses. Si tu n'avais pas notre Olympe pour te défendre envers et contre tous, même contre moi, ces demoiselles t'écriraient des lettres qui t'arracheraient les yeux de la tête.

      Quel ange que cette femme-là! J'entends notre Olympe, car Célestine et Julie ne sont pas tout à fait des anges.

      Écoute donc! Les partis ne se présentent pas pour elles aussi nombreux que les marguerites dans les prés. Et c'est toi qui en es la cause.

      Si tu t'étais marié avantageusement comme on t'en a donné les moyens, leurs relations auraient doublé du coup, et leurs chances de se placer aussi. Dame! elles comptaient là-dessus, les pauvres biches. Sais-tu que Célestine va sur ses vingt-sept ans? ça commence à n'être plus si tendre que du poulet. Le matin, quand elle n'est pas encore pomponnée, on ne peut pas, avec la meilleure volonté du monde, la prendre pour un enfant.

      Les mères sont bien malheureuses! Tant pis si je l'ai déjà dit.

      Julie passera encore plus vite que sa sœur parce qu'elle a des idées romanesques. Ça ride, à la longue.

      Voilà ou nous en sommes à cause de toi!

      Mais il ne s'agit pas de nous, mon pauvre innocent, les femmes, c'est bon pour souffrir; il s'agit de toi, il ne s'agit que de toi. Quinze jours d'absence sans congé pour une petite savoyarde qui n'a pas même d'aisance!

      Tu crois peut-être qu'on ne sait pas ton histoire? Raye ça de tes papiers.

      Là, tiens, ce n'est pas propre. Ah! mais non!

      Toi qui avais tant de conduite autrefois! M. Ferrand me le disait encore avant-hier: «Pour avoir inventé la poudre, non! mais il ne faisait jamais de grosses bévues, et quant à la conduite, un cœur!»

      Ah ça! nigaud, tu n'as donc pas un œil de chaque côté de ton nez? Tu ne vois donc rien! Célestine et Julie s'en rongent le bout des doigts jusqu'au coude, et moi je dépéris, ma parole. Je sens que ça me conduit au tombeau.

      Faudra-t-il qu'elle te fasse la cour? J'entends notre Olympe. Et chanter des sérénades sous ta croisée, avec accompagnement de guitare? Ou t'envoyer sa déclaration sur timbre par huissier?

      Ah! godiche! godiche! un brin de sultane comme ça! je l'ai vue s'habiller l'autre soir, écoute... ma parole, tu me ferais dire des choses qui ne sont pas convenables!

      Mais


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