Le dernier vivant. Paul Feval

Le dernier vivant - Paul  Feval


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une magnifique robe de chambre écossaise, dont les couleurs éclataient comme des cris d'incendie, par-dessus un pantalon de drap noir, abondamment crotté. Ses larges et forts souliers, non moins maculés de boue, étaient commodément posés auprès de lui sur une chaise, et il avait fourré ses gros pieds dans des pantoufles de drap écarlate, brodé d'or.

      Une calotte turque, ornée d'une touffe gigantesque, reposait avec coquetterie sur ses cheveux très pommadés, mais mal peignés.

      Je ne puis prétendre que le premier aspect avec de M. Louaisot de Méricourt fût tout à fait à son avantage. Je lui trouvai l'air par moitié d'un souteneur de libres penseuses, par moitié d'un notaire de campagne effronté, rusé, âpre à la mauvaise besogne et bravement filou.

      Sa face volumineuse, presque aussi fraîche que celle de la cauchoise, son nez court, charnu, mais recourbé comme un bec de perroquet entre ses deux grosses joues, sa petite bouche sans lèvres qui restait volontiers toute ronde ouverte, comme pour remplir convenablement l'énorme espace que la brièveté du nez laissait au développement du menton, tout cela aurait poussé au comique ultra-bourgeois et même un peu à la caricature, sans le regard de deux yeux bien fendus, deux très beaux yeux, en vérité, qui vous faisaient subir un examen hardi, tranchant et plein d'autorité, quoi qu'ils fonctionnassent derrière une paire de lunettes.

      Sans ses yeux, M. Louaisot de Méricourt aurait été un pur grotesque.

      Avec ses yeux, ce pouvait être un charlatan très déterminé et même un dangereux coquin.

      Assis dans son fauteuil de cuir aux formes ramassées, il paraissait plutôt petit, mais quand il se leva pour me recevoir, je vis qu'il était de bonne taille ordinaire, grâce à ses jambes qu'il avait démesurément longues.

      —Vous permettez, n'est-ce pas? me dit-il, continuant de manger un morceau de veau rôti, sous le pouce, tout en feuilletant avec la pointe de son couteau un dossier assez compact qui était devant lui sur la table, chargée de paperasses en désordre. Si vos journées, à vous, ont plus de vingt-quatre heures, mes sincères compliments; moi, je n'ai pas même le temps de brouter en repos: je mange l'avoine dans mon sac comme les chevaux de citadine.... De la part de qui, s'il vous plaît?

      Il me montra du doigt une chaise, et comme je ne comprenais pas sa question, il l'expliqua, disant:

      —Je me fais l'honneur de vous demander quel est celui de mes honorables amis ou clients qui vous envoie vers moi. Je prononçai le nom de la personne qui m'avait indiqué sa maison.

      Il prit aussitôt un petit carnet dont la tranche formait un escalier alphabétique, et l'ouvrit à la lettre voulue.

      Pendant qu'il consultait ce livre d'or de sa clientèle, mon regard parcourut son bureau, qui était une chambre assez grande, mais basse d'étage, et dont les murailles, du plancher au plafond, se tapissaient de cartons.

      Le mobilier, très simple, avait dû être acheté rue Beaubourg, sauf deux consoles, ébène et écaille, toutes fleuries de pierres précieuses qui semblaient fort étonnées de se trouver en pareille compagnie.

      De même, parmi les estampes communes que les cartons reléguaient aux deux côtés de la cheminée, je vis, non sans surprise, deux Théodore Rousseau de la meilleure manière, et un véritable bijou signé Isabey.

      —Fort bien, me dit-il quand il eut consulté son livre: c'est un client qui doit être content de moi. À qui ai-je l'avantage de parler?

      —Je m'appelle Geoffroy de Rœux.

      —Respectable noblesse! murmura M. Louaisot avec un signe de tête amateur. Comte, marquis, baron?...

      —Simple chevalier-banneret, s'il vous plaît, interrompis-je un peu impatienté.

      M. Louaisot de Méricourt avait ouvert son livre à la lettre R pour y inscrire mon nom, mais sa plume, chargée d'encre, resta suspendue au-dessus du papier, et il me dit avec quelque sévérité:

      —Monsieur, la profession exige de la conscience! Je m'inclinai.

      Sa plume grinça.

      —Impérieusement, Monsieur! continua-t-il en écrivant.

      Il referma le livre et reprit:

      —Sans la conscience, la profession ressemblerait à n'importe quel métier. Qu'est-ce qu'il y a pour votre service?

      —On m'a fait espérer, répondis-je, que vous me prêteriez votre aide pour trouver l'adresse d'un ami à moi que je cherche vainement.

      —On a eu raison, répliqua M. Louaisot. Aucune personne vivante n'échappe à l'organisation de mes bureaux. Pour les personnes décédées, j'indique non seulement le cimetière, mais la position exacte du monument. Quel est le nom de votre ami?

      —Lucien Thibaut, juge... peut-être ne l'est-il plus... mais très certainement ancien juge au tribunal de première instance d'Yvetot.

      M. Louaisot de Méricourt avait fait un brusque mouvement qui était tombé juste sur le mot juge, et c'était là ce qui m'avait porté à me reprendre. J'eus lieu de penser plus tard que ce n'était pas le mot juge, mais bien le nom lui-même qui avait troublé un instant le calme olympien de sa physionomie, au moment même où il venait de me laisser entrevoir la toute-puissance de son organisation. Il s'agita sur son fauteuil, piqua du doigt l'armature de ses lunettes et fit mine de chercher quelque chose sur son bureau. Je ne sais s'il le trouva, mais sa tranquillité était revenue quand il ramena sur moi le regard clair et affilé de ses grands yeux en prononçant cette phrase laconique:

      —Pas d'autres détails?

      Je lui passai une note préparée à l'avance et qui contenait toutes les indications qu'il m'était possible de fournir.

      Il dépensa un peu plus de temps que de raison à prendre connaissance de ma note.

      Pendant qu'il lisait, je l'entendis fredonner très bas, de façon à ne point manquer aux convenances, la romance bien connue:

      Ah! vous dirais-je maman Ce qui cause mon tourment?

      Ses paupières étaient à demi fermées et sa petite bouche s'arrondissait comme pour lancer un vigoureux coup de sifflet, mais c'était une pure apparence.

      Il me remit le papier et demanda:

      —Pourquoi voulez-vous connaître l'adresse de ce monsieur?

      L'étonnement dut se peindre sur mes traits, car il s'empressa d'ajouter:

      —Vous savez, la conscience! Sans la conscience, autant abandonner la profession pour se faire agent de change ou même préfet. Suivez bien mon raisonnement si vous avez eu tant de peine à trouver ce monsieur, depuis le temps, c'est qu'il se cache, hein? Toutes les probabilités portent à le croire. Or, en principe, il a le droit imprescriptible de se cacher. Parallèlement, vous avez le droit également indiscutable de le chercher. Ce sont les deux côtés de la question. Mais moi, placé entre ces deux droits....

      J'interrompis cette argumentation qui vous paraîtra comme à moi reculer les bornes de la délicatesse, en lui tendant tout ouverte la dernière lettre de mon pauvre Lucien.

      Elle était ainsi conçue:

      «Mon cher Geoffroy.

      J'ai grand besoin de toi. Tu m'entends: besoin, besoin! Viens tout de suite ou écris-moi un mot qui me dise où je pourrai te trouver. La chose presse malheureusement. Viens vite.»

       Table des matières


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