L'eau profonde; Les pas dans les pas. Paul Bourget

L'eau profonde; Les pas dans les pas - Paul Bourget


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      DU MÊME AUTEUR, DANS LA MÊME SÉRIE

      (Ouvrages déjà parus ou en cours de réimpression.)

      CRITIQUE ET VOYAGES

      Essais de psychologie contemporaine, 2 vol.—Études et Portraits, 2 vol.—Outre-Mer, 2 vol.—Sensations d'Italie, 1 vol.

      ROMANS

      Cruelle Énigme, suivi de Profils perdus, 1 vol.—Un Crime d'amour, 1 vol.—André Cornélis, 1 vol.—Mensonges, 1 vol.—Physiologie de l'amour moderne, 1 vol.—Le Disciple, 1 vol.—Un Cœur de femme, 1 vol.—La Terre promise, 1 vol.—Cosmopolis, 1 vol.—Une Idylle tragique, 1 vol.—La Duchesse bleue, 1 vol.—Le Fantôme, 1 vol.—L'Étape, 1 vol.

      NOUVELLES

      L'Irréparable, suivi de: Deuxième Amour, Céline Lacoste et Jean Maquenem, 1 vol.—Pastels et Eaux-Fortes, 1 vol.—François Vernantes, 1 vol.—Un Saint (et autres nouvelles), 1 vol.—Recommencements, 1 vol.—Voyageuses, 1 vol.—Complications sentimentales, 1 vol.—Drames de famille, 1 vol.—Un Homme d'affaires (et autres nouvelles), 1 vol.—Monique (et autres nouvelles), 1 vol.

      POÉSIES

      La Vie inquiète, Petits Poèmes, Edel, les Aveux, 1 vol.

      ŒUVRES COMPLÈTES

      Édition in-8o cavalier. Prix de chaque volume...... 8 francs.

      EN PRÉPARATION

      Un Divorce, roman.

      L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction et de traduction en France et dans tous les pays étrangers, y compris la Suède et la Norvège.

      Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la librairie) en octobre 1903.

       Table des matières

       A Henri Amic.

      Beaucoup de proverbes revêtent, en passant d'un pays dans un autre, une physionomie si différente que cette variation seule prouverait combien les caractères nationaux demeurent des réalités radicalement distinctes et irréductibles. Le Français, par exemple, dit d'un homme heureux qu'il est né «coiffé»; l'Anglais, qu'il est né «avec une cuiller d'argent dans la bouche». Deux dictons, deux races, deux destinées: un peuple léger, fringant, élégant, d'une part, amoureux de la galanterie, passionné de plaire et volontiers frivole;—une nation, d'autre part, avide et solide, éprise du positif et qui veut du confortable dans du luxe. Voilà quelques premiers traits dans un premier proverbe, voici d'autres touches dans un second. De quelqu'un qui ne se livre pas, le Français dit: «Il n'est pire eau que l'eau qui dort»; l'Italien: «Les eaux paisibles brisent les ponts»; l'Anglais: «Les eaux tranquilles roulent profondes». Et tous les trois ont raison—dans leur pays. Pour le Français, si instinctivement expansif et sociable, une joie qu'il ne communique point est une moitié de joie, une peine qu'il garde sur son cœur, une double peine. Il juge ses voisins d'après lui, et, devant une réserve prolongée, il se méfie. L'Italien, lui, si naturellement réfléchi et calculé, pousse la méfiance plus loin encore. Dans toute retenue il voit une menace, dans tout silence un piège; mais Machiavel est de Florence, du pays où la finesse ne va jamais sans la grandeur, et cet aphorisme d'expérience prudente se désembourgeoise, si l'on peut dire. Il s'ennoblit d'une belle métaphore qui vous dessine une arche, roussie par d'innombrables soleils, sur le glauque Arno ou le Tibre jaune. Chez les Anglais, l'esprit réaliste s'accompagne de la plus solitaire, de la plus méditative rêverie. Regardez la carte de leur île. Vous y verrez que Manchester est voisin des lacs et du comté de Wordsworth. Tout à l'heure ces éternels gaigneurs avaient un adage de gloutonnerie rapace. Ils en ont un maintenant d'une grâce sauvage, qui ne déparerait pas les discours du Jacques de Comme il vous plaira, et l'Anglo-Saxon n'apparaît-il pas ainsi, dans toute son histoire et toute sa littérature: durement brutal quand il est brutal, étrangement songeur quand il est songeur? Ces deux petites phrases racontent cela dans le raccourci de leurs formules.

      Il n'est que juste d'ajouter que ces définitions de psychologie ethnique comportent d'innombrables exceptions. La preuve en est que ce ressouvenir de ce poétique proverbe anglais sur les eaux profondes s'évoque à ma pensée—ô ironie!—au moment de rapporter une aventure parisienne, arrivée l'autre automne, et dont l'héroïne n'a pas dans les veines la moindre goutte de sang britannique. Aucune image pourtant ne m'a paru mieux résumer l'impression que m'a laissée ce petit drame sentimental, lorsqu'il me fut appris par des confidences dont je respecterai le mystère. Cette tragédie de salon s'étant jouée sans éclats, entre un très petit nombre de personnages, un changement de noms et de quelques détails sauvegardera un anonymat dont le lecteur reconnaîtra la nécessité, s'il veut bien admettre, malgré la singularité de certains détails, que tout, ici, sous cette réserve nécessaire, est strictement vrai. Peut-être, une fois le récit achevé, la lectrice, elle, si elle s'est intéressée aux secrètes épreuves de la délicate femme dont l'Eau profonde est l'histoire, comprendra-t-elle que ces deux mots aient, par une irrésistible coïncidence, tenté l'historien. Il eût voulu retrouver, pour tracer ce portrait, la plume avec laquelle Balzac a dessiné le profil de sa Madame Jules, cette héroïne d'un épisode plus romanesque encore et un peu analogue. Il a cru du moins indiquer tout ce qu'il laissera de forcément inexprimé en inscrivant sur la première page un rappel du vieux proverbe shakespearien. Peut-être aussi cette indulgente lectrice trouvera-t-elle un symbole dans le contraste entre le parisianisme des endroits où cette chronique de mœurs déroule ses incidents et les visions d'outre-Manche qu'aura évoquées pour elle ce Still waters run deep:—la coulée taciturne d'un fleuve d'Irlande parmi ses prairies, l'immobilité vaporeuse d'un lac d'Écosse dans la solitude de ses roses bruyères?... Pour peu qu'elle soit d'une sensibilité tendre et farouche au fond, et la prisonnière de ces desséchants devoirs, de ces meurtriers plaisirs que représente ce malheur envié: une situation de monde, cette anti-thèse n'est-elle pas celle de toute son existence? Elle voudrait, autour de ses émotions, de ses espérances, de ses regrets, un cadre de nature qui leur ressemblât, et elle doit passer de la rue de la Paix et d'un essayage chez un grand couturier à une tournée de visites dans la Plaine-Monceau, les Champs-Élysées, le faubourg Saint-Germain, pour rentrer, s'habiller, dîner en ville ou recevoir, et finir sa soirée dans quelque cohue prétendue élégante ou dans quelque loge d'un théâtre prétendu amusant. Il faut croire que ces heurts presque meurtriers du cœur et du milieu ont une espèce d'attrait malsain, frelaté, mais bien fort, et qu'ils correspondent, dans les sensibilités les plus fines, à un inexplicable besoin de sursaut. Car Paris et sa société, ou mieux,—le recrutement, fantastiquement composite, du monde actuel, exige ce pluriel,—Paris donc, et ses sociétés, continuent de retenir tant de personnes que leur fortune rendrait libres de s'enfuir! Elles en maudissent quotidiennement la servitude, l'atmosphère morale, et elles ne s'en vont pas, comme si, partout ailleurs, l'intensité de leur vie devait être diminuée. L'anecdote rapportée ici prouvera qu'en effet cette ville, qui réalise à chaque heure le mot célèbre de l'Empereur sur l'impossible, abrite tout dans son décor hétéroclite, même de grandes âmes...


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