La fiancée du rebelle: Épisode de la Guerre des Bostonnais, 1775. Joseph Marmette

La fiancée du rebelle: Épisode de la Guerre des Bostonnais, 1775 - Joseph Marmette


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voir clair ici. Nos avoir besoin de loumière.

      Le pauvre homme se résigna. Il alla chercher des cierges dans un coin de la chapelle, et, pour les allumer, se mit à battre le briquet. Mais ses mains étaient tellement agitées par la peur, qu'il frappait plus souvent ses doigts que le silex.

      Les autres, vinrent à son aide, et allumèrent une vingtaine de cierges dont la faible lueur éclairait tant bien que mal l'intérieur de la chapelle.

      Le gardien jeta; alors un regard d'interrogation et d'anxiété sur ceux auxquels il était forcé d'obéir. On lui fit signe qu'il pouvait s'en aller. Il tourna sur ses talons et disparut aussitôt dans l'enfoncement obscur de la chapelle, d'où l'on entendit le bruit d'une porte qui se refermait à triple tour.

      Celui qui avait commandé cette équipée éclata de rire et dit aux autres, en anglais:

      —Merci à Dieu! si tous les français de la ville ont le courage de celui-ci, Québec ne se défendra pas longtemps contre les troupes de Schuyler et d'Arnold!

      C'était, un marchand anglais nomme Williams qui agissait ainsi à l'évêché comme en pays conquis. Il était accompagné de son compatriote Adam Lymburner et de deux de leurs connaissances, tous partisans du congrès et amis déclarés des Bostonnais. L'histoire nous prouvé qu'une bonne partie de la population anglaise du Canada penchait du côté des Américains insurgés. Outre ceux de Williams et de Lymburner, riches négociants de Québec, elle nous a conservé les noms de James Price et de son associé Maywood, ainsi que celui de Thomas Walker, qui, tous trois, étaient à la tête du mouvement insurrectionnel à Montréal. Cependant la chapelle se remplit peu à peu de nouveaux arrivants. Quand les derniers furent entrés,—un jeune homme, pâle, à l'air distingué, et un homme du peuple d'une stature colossale.—

      Williams monta dans la chaire [1] et s'adressant à la foule, composée en très-grande partie de Canadiens-Français:

      [Note 1: Historique.]

      —Gentlemen, dit-il, I feel most happy in seeing such a numerous assembly.

      —Parlez français, cria le jeune homme qui se tenait près de la porte.

      —En français! hurla le colosse, son compagnon, d'une voix de tonnerre.

      —En français! en français répéta la foule.

      Williams dut se résigner et baragouina une espèce d'exorde, dans lequel, avec l'exagération commune à tous les discours de ce genre, il remerciait les citoyens de Québec de s'être portés en masse une assemblée convoquée par lui dans les intérêts de l'indépendance de toutes les colonies américaines. Puis il se mit à commenter l'adresse du Congrès aux Canadiens, laquelle terminait ainsi:

      "Saisissez l'occasion que la Providence elle-même vous présente; si vous agissez de façon à conserver votre liberté, vous serez effectivement libres. Nous connaissons trop les sentiments généreux qui distinguent votre nation pour croire que la difference de religion puisse préjudicier à votre amitié pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est de la nature de la liberté d'élever au-dessus de cette faiblesse ceux que son amour unit pour la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve mémorable de cette vérité: ils sont composés de catholiques et de protestants, et cependant, ils jouissent d'une paix parfaite, et par cette Concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont en état de défier et même de détruire tout tyran qui voudrait la leur ravir."

      Pendant que l'orateur reprenait haleine, le jeune homme pâle, qui se, tenait toujours près de la porte, s'écria:

      —Comment alliez-vous ces belles paroles avec certaine autre adresse du Congrès protestant contre la loi de Québec qui reconnaît chez nous la religion catholique? Williams ne s'attendait guère à cette objection! et resta bouche béante.

      La majorité de l'assemblée, qui était évidemment peu sympathique au

       Congrès, se mit à rire.

      Et puis, dominant toutes les autres, la grosse voix du colosse qui accompagnait le jeune homme, cria à Williams.

      —Hein! ma vieille, ça te rive ton clou.

      Pendant l'immense et long éclat de rire qui courut au-dessus de la foule et tandis que les rares partisans de Williams s'efforçaient de réprimer cette hilarité dangereuse pour le succès de la cause du Congrès, l'orateur se mit à crier et à gesticuler du haut de la chaire.

      Ce qu'il disait, lui-même ne le savait guère, mais il parlait quand même. Et veuillez bien croire qu'il n'avait pas tort.

      Ne sachant trop que répondre à la sérieuse objection du jeune homme, le rusé marchand avait pensé qu'il fallait profiter du tumulte pour paraître répliquer et s'indigner en jetant de grands éclats de voix; quitte à ne pas dire un seul mot raisonnable. Ce qui importe peu par un tel brouhaha.

      Dans les assemblées tumultueuses, lorsque l'orateur paraît affronter l'orage et du geste et de la voix, presque toujours il finit par obtenir le silence. Williams éprouva bientôt la vérité de ce fait que l'expérience a depuis longtemps démontré. Mais pour ne se point compromettre il eut soin de calmer son indignation et de baisser la voix à mesure que l'ordre se rétablissait. De sorte que lorsqu'on le put entendre, il lisait d'une voix calme cette lettre que Washington adressa "aux peuples du Canada" à la fin de l'année 1775, et dont voici la dernière partie:

      "Le grand Congrès américain a fait entrer dans votre province un corps de troupes sous les ordres du général Schuyler, non pour piller, mais pour protéger, pour animer et mettre en action les sentiments généreux que vous avez souvent fait voir et que les agents du despotisme s'efforcent d'éteindre par tout le monde."

      L'orateur, après avoir souligné ces derniers mots, fit une pose et arrêta ses yeux sur le jeune homme qui l'avait interrompu, en se disant:

      —Voici, sur mon âme! une petite phrase qui vient parfaitement à mon aide.

      Il roula de gros yeux indignés, toussa comme un homme qui ne craint pas d'être contredit et, encouragé par le succès tacite qu'il obtenait, continua sa lecture d'une voix emphatique.

      "Pour aider à ce dessein et pour renverser le projet horrible, d'ensanglanter nos frontières par le carnage de femmes et d'enfants, j'ai fait marcher le sieur Arnold, colonel, avec un corps de l'armée sous mes ordres pour le Canada. Il lui est enjoint, et je suis certain qu'il se conformera à ses instructions, de se considérer et d'agir en tout comme dans le pays de ses patrons et meilleurs amis; les choses nécessaires et munitions de tout espèce que vous lui fournirez, il les recevra avec reconnaissance et en payera la pleine valeur; je vous supplie donc, comme amis et frères, de pourvoir à tous ses besoins, et je vous garantis ma foi et mon honneur pour une ample récompense, aussi bien que pour votre sûreté et repos. Que personne n'abandonne sa maison à son approche, que personne ne s'enfuye, la cause de l'Amérique et de la liberté est la cause de tout vertueux citoyen américain, quelle que soit sa religion, quel que soit le sang dont il tire son origine. Les Colonies-Unies ignorent ce que c'est que la distinction, hors celle-là que la corruption et l'esclavage peuvent produire. Allons donc, chers et généreux citoyens" (—ici le geste et la voix de l'orateur s'efforcèrent de devenir pathétiques, mais en vain, hélas! entravés qu'ils étaient par l'accent comique du marchand anglais—) "rangez-vous sous l'étendard de la liberté générale, que toute la force de l'artifice de la tyrannie ne sera jamais capable d'ébranler."

      Il souligna ces derniers mots d'un geste de sabreur et lança un regard vainqueur au jeune homme.

      Ce dernier haussa les épaules et dit:

      —Farceur!

      Le géant d'à côté gronda d'une voix de stentor:

      —Tout ça c'est de la frime!

      Afin de prévenir la nouvelle explosion de rire que cette burlesque appréciation de la lettre de Washington allait déterminer, Williams s'empressa d'aborder la question importante qu'il fallait


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