Bas les coeurs!. Georges Darien

Bas les coeurs! - Georges Darien


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que tout était prêt et, dans quatre ou cinq jours...

      --Eh! eh! a ricané M. Beaudrain en saluant ma soeur, les dames sont toujours pressées. J'apprenais justement à monsieur votre père, mademoiselle, qu'un de mes amis, capitaine d'artillerie, que j'ai rencontré en venant ici, m'a dit...

      Ce matin, à neuf heures, mon père m'a envoyé chercher le journal à la gare.

      --Tu demanderas le Figaro.

      J'ai demandé le Figaro.

      --Vous ne préférez pas le Gaulois ou le Paris-Journal? insinue la marchande qui est justement en train de lire, derrière sa table, le dernier numéro qui lui reste.

      --Non, non, le Figaro.

      Elle replie lentement la feuille et me la tend en soupirant. Comme ça doit être intéressant!

      Au coin de la rue, je déplie à demi le journal. On me défend de le lire, à la maison; mais tant pis, je risque un oeil--un oeil que tire un titre flamboyant: La Guerre.

      Je dévore l'article. Non plus furtivement, comme je fais quelquefois, un oeil déchiffrant les lignes aperçues dans l'entre-bâillement du papier, un oeil explorant les environs, mais sans gêne, tranquillement, coram populo, portant le journal tout déplié devant moi, à bras tendus, comme une affiche que je vais coller le long d'un mur. Et, quand je le ferme, à vingt pas de la maison, des phrases dansent encore devant moi, pesantes comme des massues, des lignes longues, droites comme des épées, les petites lignes des alinéas acérées comme des couteaux; j'ai dans la tête comme un remuement d'armes, un cliquetis de ferrailles. Je réciterais l'article d'un bout à l'autre, j'indiquerais la place des virgules et même des points d'exclamation:

      «Le tambour bat, le clairon sonne,--c'est la guerre! Aux armes! Aux armes!

      «... Aux armes! Sus à ces beaux fils de la sabretache, qui épient à l'horizon les baïonnettes de la France!...

      «... Place au canon! Et chapeau bas! Il va faire la trouée à la civilisation! A l'humanité!... C'est sa voix qui va chanter l'hosanna de la victoire!

      «... La France reculer?... C'est le soleil qui s'arrête... Et quel est le nouveau Josué qui fera reculer le soleil de la France?... Moltke, peut-être?...!!!--»

      Je suis empoigné...

      --Tu as l'air tout chose, Jean, me dit mon père à déjeuner.

      --C'est probablement la déclaration de de guerre qui le tracasse, répond ma soeur en ricanant.

      Je ne réplique pas. A quoi bon? Cette pimbêche de Louise se figure que je suis trop petit pour m'occuper de politique et, à deux ou trois questions, que je lui ai posées ce matin elle m'a fait des réponses moqueuses. Mais, attends un peu, ma belle, dans cinq ou six ans je m'en occuperai, de politique; et tant que je voudrai, encore. Tandis que toi, tu n'es qu'une femme; et les femmes... Quand j'en aurai une, je ne lui permettrai de lire que les faits-divers, dans mon journal. Et si Jules n'est pas un imbécile, il fera comme moi. Il faudra que je le lui dise, tout à l'heure.

      Je le lui dis. Je le retiens dans un coin de sa maison de l'avenue de Villeneuve-l'Étang où nous avons été lui rendre visite, l'après-midi, et je lui explique mon système. Il m'écoute en souriant.

      --Tu n'as peut-être pas tort, mon ami. Seulement, tu oublies une chose: c'est que je ne suis pas encore ton beau-frère et que...

      --Oh! c'est tout comme, Jules, car dans deux mois Louise et toi vous serez mariés.

      --Et si la guerre tourne mal?

      Je répondrais bien que ce n'est pas possible, mais il faudrait avouer que j'ai lu le journal qui prédit la victoire, et j'aime mieux ne pas répondre, passer pour manquer d'informations.

      Je suis Jules au jardin où Léon, le frère de Jules, un garçon de mon âge, et Mlle Gâteclair, leur tante, causent avec mon père et ma soeur. Ils parlent de certains changements à apporter à l'arrangement du terrain.

      --Il faudrait avant tout, dit Louise, un massif d'arbres verts pour cacher le réservoir.

      --Jules y a songé ce matin, répond Mlle Gâteclair.

      --Et que penseriez-vous, fait mon père qui vient de réfléchir profondément, sa canne sous le bras, son menton dans la main, que penseriez-vous d'une jolie corbeille de verveines ou de géraniums au milieu de cette pelouse?

      --Ce serait gentil, dit Jules.

      --Adorable, s'écrie Louise.

      --Maintenant, continue mon père en se pourléchant les lèvres et en arrondissant les bras, on pourrait égayer un peu la façade en plaçant, par exemple, à droite une boule rouge, à gauche une boule verte et au milieu une boule dorée. Hein? Ce serait-il gentil?

      --Charmant! Charmant!

      Ça me paraît bête, tout simplement. On ferait bien mieux de conserver cette grande pelouse où l'on peut se rouler à son aise et faire de bonnes parties de quilles. Depuis un mois, chaque fois que nous venons chez Jules, c'est pour dresser des plans dont l'exécution doit révolutionner sa propriété. Il n'est question que de changement, de transformation, de dérangement. Et Jules qui trouve ça tout naturel! Il renverserait sa maison pour les beaux yeux de Louise. Ah! s'il la connaissait comme moi...

      --Viens-tu arroser les fleurs avec moi? me demande Léon.

      --Mais non. Il fait encore trop chaud.

      La vérité, c'est que je ne veux pas quitter les grandes personnes. Elles vont certainement parler de la guerre, des Prussiens, et je ne veux pas perdre un mot de ce qu'elles vont dire.

      J'attends une bonne heure, prêtant l'oreille, tout en faisant semblant de m'intéresser aux fleurs, aux arbustes. Rien; ils n'ont parlé de rien; ça a joliment l'air de les occuper, la guerre! Dieu de Dieu! comme je m'ennuie!

      Nous nous en allons, quand mon père se tourne vers Jules.

      --Croyez-vous? Cette vieille canaille de Thiers qui ne trouvait pas de motif avouable de guerre?

      --Ah! Gambetta a marché, lui, répond Jules. Décidément, c'est mon homme.

      --Peuh! un drôle de pistolet!

      Et mon père fait un geste de mépris pendant que ma soeur pince les lèvres.

      --Oh! moi, vous savez, reprend vivement Jules tout rougissant, je m'occupe si peu de politique...

      --C'est comme moi, dit Mlle Gâteclair.

      J'ai demandé la permission de rester une heure de plus pour aider Léon à arroser les fleurs. Je l'entraîne dans un coin du jardin.

      --Est-ce que Jules t'a parlé de la guerre?

      --Oui.

      --Qu'est-ce qu'il t'a dit?

      --Que c'était bien embêtant.

      --Et ta tante t'en a-t-elle parlé?

      --Oui.

      --Qu'est-ce qu'elle t'a dit?

      --Que c'était bien malheureux.

      Ah! comme on voit qu'ils ne s'occupent pas de politique!

      Le soir, après dîner, j'ai ma revanche. Les voisins font invasion chez nous. M. Pion, d'abord, le capitaine en retraite qui entre en criant:

      --Hein! qu'est-ce que je vous disais, Barbier? Ça finit-il par la guerre, oui ou non, cette question Hohenzollern?

      Et Mme Pion ajoute, en retirant son chapeau:

      --Les Prussiens se figuraient, parce qu'ils ont été vainqueurs à Sadowa, qu'ils allaient nous avaler d'une bouchée! On n'a pas idée d'une pareille insolence.

      Et s'asseyant à côté de ma soeur, près de la fenêtre:

      --Vous


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