Ruines et fantômes. Jules Claretie
la nuit du 9 août 1792, à minuit, le tocsin sonna. C'était le signal. Paris se soulevait en masse et marchait sur les Tuileries. Il y avait fête aux faubourgs. Au quartier général des Enfants-Rouges, on était joyeux en respirant par avance l'odeur de la poudre. La rue de Lappe, le faubourg Saint-Antoine, le faubourg Saint-Marceau, étaient illuminés. Aux municipalités, la foule était grande. Pâles, mais souriants, les présidents des sections annonçaient au peuple que l'heure était venue de vaincre ou de mourir.
La commune parisienne instituée par l'insurrection entrait à l'hôtel de ville et prenait en main la direction de la bataille[5].
[Note 5: Il ne faut pas la confondre avec cette Commune de Paris qui, plus tard, voulut la mort de la Gironde, et encore moins avec cette odieuse parodie de la Commune, cette Commune de 1871, qui a déshonoré jusqu'aux noms d'autrefois: fédérés, salut public, etc.]
La nuit était pleine d'étoiles. Nuit d'août, pacifique et sereine. Des silhouettes s'agitaient dans l'ombre lumineuse des rues. C'était un fédéré qui regagnait sa division, un sectionnaire qui se rendait à son poste, une femme qui portait de la charpie. Elle riait et se disait peut-être, en écoutant le tocsin qui, cette fois, semblait joyeux:
—Demain, vendredi, jour de la Saint-Laurent, sera la vengeance de la
Saint-Barthélémy.
Sonne, tocsin de ma paroisse, comme avait sonné, en août 1572, le tocsin de Saint-Germain l'Auxerrois.
Le jour venu, la grande masse populaire s'ébranla. De la Bastille, par le faubourg, quatre-vingts divisions de sectionnaires descendaient vers l'hôtel de ville, et leurs baïonnettes oscillaient à l'aurore avec les remous d'un fleuve de fer. Les Marseillais marchaient à l'avant-garde, et, entre les compagnies des gardes nationaux, les hommes du peuple, leurs piques à la main, suivaient en chantant.
Au palais, on buvait, on attendait; l'insurrection victorieuse allait retrouver, dans quelques heures, les tessons des bouteilles que les Suisses vidaient en criant: A bas la nation! et vive le roi! Le roi songeait déjà à chercher un refuge à l'Assemblée nationale. Il comprenait (trop tard) que la loi seule maintenant le pouvait protéger. A huit heures, il quitte son palais, se réfugie avec la reine dans la loge du logographe et, tandis qu'à cent pas de là on s'égorge, il s'inquiète tristement de son estomac qui le tiraille, et regrette, le pauvre homme, non pas son trône, mais son garde-manger.
Le peuple avait attaqué déjà le Carrousel. Je me trompe. Le peuple, fiévreux, emporté, quittant les sections, les laissant assez loin sur les quais, s'était engagé en désordre dans les ruelles que formait alors le Carrousel, pâtés de maisons, culs-de-sac boueux, quartier de Paris vermiculaire, dont l'impasse du Doyenné donnait encore une idée il y a trente ans. Les Suisses étaient postés dans ces masures, cachés dans ces replis, fusils chargés. Les gens du peuple s'avancent, on leur ouvre les grilles, ils passent. Ils croient entrer dans ce palais des rois tête haute et armes basses, pacifiquement. Ne sont-ils pas chez eux? Soudain, la fusillade éclate. Les Suisses, à bout portant, font sauter les cervelles et trouent les poitrines. Accablés, égorgés, les hommes tombent. C'en est fait, l'avant-garde de l'insurrection est écrasée, et les grenadiers suisses poussent gaiement un cri de victoire devant cette troupe dispersée.
—Où sont-ils, les Parisiens?
Patience! Ils sont là-bas. Ils viennent. Ils viennent en bon ordre; en colonnes serrées, et les fédérés de Marseille et de Bretagne marchent avec eux. Fournier l'Américain mène les Marseillais. Les Marseillais ont deux canons. Feu, feu à mitraille! et le vieux palais des Médicis reçoit les premières balafres de la main populaire. Feu! et les boulets parisiens, la grenaille, les clous ramassés dans le ruisseau, la ferraille des revendeurs de la rue de Lappe, répondent aux balles des grenadiers de la garde royale. Feu! et l'on n'a point de munitions, point de gargousses! Feu! et les cartouches manquent. Feu! et les gamins de dix ans, les éternels et héroïques Gavroches, les Gavroches du 10 août, vont, sous la mousqueterie, ramasser de la poudre dans les gibernes des morts. Feu! feu!
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