L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps. Эжен Сю

L'alouette du casque; ou, Victoria, la mère des camps - Эжен Сю


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lait emploie mon épée de soldat pendant la guerre et ma plume pendant la trêve?

      — Vous oubliez de dire que cette soeur de lait est Victoria la Grande… et que Victorin, son fils, a presque pour vous le respect qu'il aurait à l'égard du frère de sa mère… Il ne se passe presque pas de jour sans que lui ou Victoria vienne vous voir… Ce sont là des faveurs que beaucoup envient.

      — Ai-je jamais tiré parti de cette faveur, Sampso? Ne suis-je pas resté simple cavalier; refusant toujours d'être officier; demandant pour toute grâce de me battre à la guerre à côté de Victorin?

      — À qui vous avez deux fois sauvé la vie, au moment où il allait périr sous les coups de ces Franks si barbares!

      — J'ai fait mon devoir de soldat et de Gaulois… Ne dois-je pas sacrifier ma vie à celle d'un homme si nécessaire à notre pays?

      — Scanvoch, je ne veux pas que nous nous querellions; vous savez mon admiration pour Victoria, mais…

      — Mais je sais votre injustice à l'égard de son fils, lui dis-je en souriant, inique et sévère Sampso.

      — Est-ce ma faute si le dérèglement des moeurs est à mes yeux méprisable… honteux?

      — Certes, vous avez raison; cependant je ne peux m'empêcher d'avoir un peu d'indulgence pour quelques faiblesses de Victorin. Veuf à vingt ans, ne faut-il pas l'excuser s'il cède parfois à l'entraînement de son âge? Tenez, chère et impitoyable Sampso, je vous ai fait lire les récits de notre aïeule Geneviève; vous êtes douce et bonne comme Jésus de Nazareth, imitez donc sa miséricorde envers les pécheurs. Il a pardonné à Madeleine parce qu'elle avait beaucoup aimé; pardonnez, au nom du même sentiment, à Victorin!

      — Rien de plus digne de pardon et de pitié que l'amour, lorsqu'il est sincère; mais la débauche n'a rien de commun avec l'amour… C'est comme si vous me disiez, Scanvoch, qu'il y a quelque comparaison à faire entre ma soeur ou moi… et ces bohémiennes hongroises arrivées depuis peu à Mayence…

      — Pour la beauté on pourrait vous les comparer, ainsi qu'à Ellèn, car on les dit belles à ravir d'admiration… Mais là s'arrête la comparaison, Sampso… J'ai peu de confiance dans la vertu de ces vagabondes, si charmantes, si parées qu'elles soient, qui vont de ville en ville chanter et danser pour divertir le public… lorsqu'elles ne font pas un pire métier…

      — Et pourtant, je n'en doute pas, un jour ou l'autre, vous verrez Victorin, lui un général d'armée! lui un des deux chefs de la Gaule, accompagner à cheval de chariot où ces bohémiennes vont se promener chaque soir sur les bords du Rhin… Et si je m'indigne de ce que le fils de Victoria a servi d'escorte à de pareilles créatures, alors vous me répondrez sans doute: Pardonnez à ce pécheur, de même que Jésus a pardonné à Madeleine, la pécheresse… Allez, Scanvoch, l'homme qui se complait dans d'indignes amours est capable de…

      Mais Sampso s'interrompit.

      — Achevez, lui dis-je, achevez, je vous prie.

      — Non, dit-elle après un moment de réflexion, le temps n'est pas venu; je ne voudrais pas hasarder une parole légère.

      — Tenez, lui dis-je en souriant, je suis sûr qu'il s'agit de quelqu'un de ces contes ridicules qui courent depuis quelque temps dans l'armée au sujet de Victorin, sans qu'on sache la source de ces méchantes menteries. Pouvez-vous, Sampso… vous… avec votre saine raison, avec votre bon coeur, vous faire l'écho de pareilles histoires?

      — Adieu, Scanvoch; je vous ai dit que je ne voulais pas me quereller au sujet de votre héros; vous le défendez envers et contre tous…

      — Que voulez-vous? c'est mon faible; j'aime sa mère comme ma soeur… j'aime son fils comme s'il était le mien. Ne faites-vous pas ainsi que moi, Sampso? Mon petit Aëlguen, le fils de votre soeur, ne vous est-il pas aussi cher que vous le serait votre enfant? Croyez-moi… lorsque Aëlguen aura vingt ans et que vous l'entendrez accuser de quelque folie de jeunesse, vous le défendrez, j'en suis sûr, encore plus chaudement que je ne défends Victorin… D'ailleurs, ne commencez-vous pas dès à présent votre rôle de défenseur? Oui, lorsque l'espiègle est coupable de quelque grosse faute, n'est-ce pas sa tante Sampso qu'il va trouver pour la prier de le faire pardonner? Vous l'aimez tant!

      — L'enfant de ma soeur n'est-il pas le mien!

      — Voilà donc pourquoi vous ne voulez pas vous marier?

      — Certainement mon frère, répondit-elle en rougissant avec une sorte d'embarras.

      Puis, après un moment de silence, elle reprit:

      — Vous serez, je l'espère, de retour ici vers le milieu du jour, pour que notre petite fête soit complète?

      — Mon devoir accompli, je reviendrai. Au revoir, Sampso.

      — Au revoir, Scanvoch.

      Et laissant la soeur de ma femme occupée à placer un bouquet dans l'un des anneaux de la porte de notre maison, je m'éloignai en réfléchissant à notre entretien.

      Souvent je m'étais demandé pourquoi Sampso, plus âgée d'un an qu'Ellèn, et aussi belle, aussi vertueuse qu'elle, avait jusqu'alors repoussé plusieurs offres de mariage; parfois je supposais qu'elle ressentait quelque amour caché; d'autres fois qu'elle appartenait à une de ces affiliations chrétiennes qui commençaient à se répandre, et dans lesquelles les femmes faisaient voeu de chasteté comme plusieurs de nos druidesses. Un moment aussi je me demandai la cause de la réticence de Sampso au sujet de Victorin; puis j'oubliai ces pensées pour ne songer qu'à l'expédition dont j'étais chargé. M'acheminant vers les avant- postes du camp, je m'adressai à un officier, à qui je fis lire quelques lignes écrites de la main de Victorin. Aussitôt l'officier mit à sa disposition quatre soldats d'élite, excellents rameurs choisis parmi ceux qui avaient l'habitude de manoeuvrer les barques de la flottille militaire destinée à remonter ou à descendre le Rhin pour défendre au besoin notre camp fortifié. Ces quatre soldats, sur ma recommandation, ne prirent pas d'armes; moi seul étais armé. En passant devant un bouquet de chênes, je leur fis couper quelques branchages, destinés à être placés à la proue du bateau qui devait nous transporter. Nous arrivons bientôt sur la rive du fleuve; là étaient amarrées plusieurs barques réservées au service de l'armée. Pendant que deux des soldats placent à l'avant de l'embarcation les feuillages de chêne dont je les avais munis, les deux autres examinent les rames d'un air exercé, afin de s'assurer qu'elles sont en bon état; je me mets au gouvernail, nous quittons le bord.

      Les quatre soldats avaient ramé en silence pendant quelque temps, lorsque le plus âgé des quatre, vétéran à moustaches grises, me dit:

      — Il n'y a rien de tel qu'un bardit gaulois pour faire passer le temps et manoeuvrer les rames en cadence; on dirait qu'un vieux refrain national répété en choeur rend les avirons moins pesants. Peut-on chanter, ami Scanvoch?

      — Tu me connais?

      — Qui ne connaît dans l'armée le frère de lait de la mère des camps?

      — Simple cavalier, je me croyais plus obscur.

      — Tu es resté simple cavalier malgré l'amitié de notre Victoria pour toi; voilà pourquoi, Scanvoch, chacun te connaît et chacun t'aime.

      — Vrai, tu me rends heureux en me disant cela. Comment te nommes- tu?

      — Douarnek.

      — Tu es Breton?

      — Des environs de Vannes.

      — Ma famille aussi est originaire de ce pays.

      — Je m'en doutais, car l'on t'a donné un nom breton. Eh bien, ce bardit, peut-on le chanter, ami Scanvoch? Notre officier nous a donné l'ordre de t'obéir comme à lui; j'ignore où tu nous conduis, mais un chant s'entend de loin, surtout lorsqu'il s'agit d'un bardit national entonné en choeur par de vigoureux garçons à larges poitrines… Ou peut-être ne faut-il


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