Les mille et une nuits: contes choisis. Anonyme

Les mille et une nuits: contes choisis - Anonyme


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répondit la seconde. Pour moi, je n'y comprends rien, et je ne sais pourquoi elle sort toutes les nuits, et le laisse seul. Est-ce qu'il ne s'en aperçoit pas? Eh! comment voudrais-tu qu'il s'en aperçût? reprit la première: elle mêle tous les soirs dans sa boisson un certain suc d'herbe qui le fait dormir toute la nuit d'un sommeil si profond, qu'elle a le temps d'aller où il lui plaît; et, à la pointe du jour, elle vient se recoucher auprès de lui; alors elle le réveille en lui passant sous le nez une certaine odeur.

      Jugez, seigneur, de ma surprise à ce discours, et des sentiments qu'il m'inspira. Néanmoins, quelque émotion qu'il pût me causer, j'eus assez d'empire sur moi pour dissimuler: je fis semblant de m'éveiller et de n'avoir rien entendu.

      La reine revint du bain; nous soupâmes ensemble, et avant de me coucher, elle me présenta elle-même la tasse pleine d'eau que j'avais coutume de boire; mais, au lieu de la porter à ma bouche, je m'approchai d'une fenêtre qui était ouverte, et je jetai l'eau si adroitement qu'elle ne s'en aperçut pas. Je lui remis ensuite la tasse entre les mains, afin qu'elle ne doutât pas que je n'eusse bu.

      Nous nous couchâmes ensuite; et bientôt après, croyant que j'étais endormi, quoique je ne le fusse pas, elle se leva avec si peu de précaution, qu'elle dit assez haut: Dors, et puisses-tu ne te réveiller jamais! Elle s'habilla promptement, et sortit de la chambre...

      XVIE NUIT

      D'abord que la reine ma femme fut sortie, poursuivit le roi des Iles Noires, je me levai et m'habillai à la hâte; je pris mon sabre, et la suivis de si près, que je l'entendis bientôt marcher devant moi. Alors, réglant mes pas sur les siens, je marchai doucement de peur d'en être entendu. Elle passa par plusieurs portes qui s'ouvrirent par la vertu de certaines paroles magiques qu'elle prononça, et la dernière qui s'ouvrit fut celle du jardin, où elle entra. Je m'arrêtai à cette porte, afin qu'elle ne pût m'apercevoir pendant qu'elle traverserait un parterre; et la suivant des yeux autant que l'obscurité me le permettait, je remarquai qu'elle entra dans un petit bois dont les allées étaient bordées de palissades fort épaisses. Je m'y rendis par un autre chemin, et, me glissant derrière la palissade d'une allée assez longue, je la vis qui se promenait avec un homme.

      Je ne manquai pas de prêter une oreille attentive à leurs discours; et voici ce que j'entendis: Je ne mérite pas, disait la reine le reproche que vous me faites de n'être pas assez diligente; vous savez bien la raison qui m'en empêche. Je n'ai pu jusqu'à présent trouver le moyen de donner au roi mon époux le breuvage enchanté que je lui destine, breuvage dont l'effet me permettra de vous offrir ma main et ma couronne, mais si toutes les marques que je vous ai données jusqu'à présent de ma sincérité, ne vous suffisent pas, je suis prête à vous en donner de plus éclatantes: vous n'avez qu'à commander, vous savez quel est mon pouvoir. Je vais, si vous le souhaitez, avant que le soleil se lève, changer cette grande ville et ce beau palais en des ruines affreuses, qui ne seront habitées que par des loups, des hiboux et des corbeaux. Voulez-vous que je transporte toutes les pierres de ces murailles, si solidement bâties, au delà du mont Caucase, et hors des bornes du monde habitable? Vous n'avez qu'à dire un mot, et tous ces lieux vont changer de face.

      Comme la reine achevait ces paroles, elle et celui qui l'accompagnait se trouvant au bout de l'allée, tournèrent pour entrer dans une autre, et passèrent devant moi. J'avais déjà tiré mon sabre, et comme il était de mon côté, je le frappai sur le cou, et le renversai par terre. Je crus l'avoir tué, et, dans cette opinion, je me retirai brusquement, sans me faire connaître à la reine, que je voulus épargner à cause qu'elle était ma parente.

      Cependant le coup que j'avais porté à celui qu'elle aimait était mortel; mais elle lui conserva la vie par la force de ses enchantements, d'une manière toutefois qu'on peut dire de lui qu'il n'est ni mort ni vivant. Comme je traversais le jardin pour regagner le palais, j'entendis la reine qui poussait de grands cris, et jugeant par là de sa douleur, je me sus bon gré de lui avoir laissé la vie.

      Lorsque je fus rentré dans mon appartement, je me recouchai; et, satisfait d'avoir puni le téméraire qui m'avait offensé, je m'endormis. En me réveillant le lendemain, je trouvai la reine couchée auprès de moi...

      XVIIE NUIT

      La nuit suivante, Dinarzade appela de très-bonne heure la sultane, par l'extrême envie de lui entendre achever l'agréable histoire du roi des Iles Noires, et de savoir comment il fut changé en marbre. Vous l'allez apprendre, répondit Scheherazade, avec la permission du sultan.

      Je trouvai donc la reine couchée auprès de moi, continua le roi des quatre Iles Noires: je ne vous dirai point si elle dormait ou non; mais je me levai sans faire de bruit, et je passai dans mon cabinet, où j'achevai de m'habiller. J'allai ensuite tenir mon conseil, et à mon retour, la reine, habillée de deuil, les cheveux épars et en partie arrachés, vint se présenter devant moi. Sire, me dit-elle, je viens supplier Votre Majesté de ne pas trouver étrange que je sois dans l'état où je suis. Trois nouvelles affligeantes que je viens de recevoir en même temps sont la juste cause de la vive douleur dont vous ne voyez que les faibles marques. Eh! quelles sont ces nouvelles, madame? lui dis-je. La mort de la reine, ma chère mère, me répondit-elle, celle du roi mon père, tué dans une bataille, et celle d'un de mes frères, qui est tombé dans un précipice.

      Je ne fus pas fâché qu'elle prît ce prétexte pour cacher le véritable sujet de son affliction. Madame, lui dis-je, loin de blâmer votre douleur, je vous assure que j'y prends toute la part que je dois. Je serais extrêmement surpris que vous fussiez insensible à la perte que vous avez faite. Pleurez: vos larmes sont d'infaillibles marques de votre excellent naturel. J'espère néanmoins que le temps et la raison pourront apporter de la modération à vos déplaisirs.

      Elle se retira dans son appartement, où, se livrant sans réserve à ses chagrins, elle passa une année entière à pleurer et à s'affliger. Au bout de ce temps-là, elle me demanda la permission de faire bâtir le lieu de sa sépulture dans l'enceinte du palais, où elle voulait, disait-elle, demeurer jusqu'à la fin de ses jours. Je le lui permis, et elle fit bâtir un palais superbe, avec un dôme qu'on peut voir d'ici; elle l'appela le Palais des Larmes.

      Quand il fut achevé, elle y fit porter celui que j'avais blessé. Elle l'avait empêché de mourir jusqu'alors par des breuvages qu'elle lui avait fait prendre; et elle continua de lui en donner et de les lui porter elle-même tous les jours, dès qu'il fut au Palais des Larmes.

      Cependant, avec tous ses enchantements, elle ne pouvait guérir ce malheureux. Il était non-seulement hors d'état de marcher et de se soutenir, mais il avait encore perdu l'usage de la parole, et il ne donnait aucun signe de vie que par ses regards. Quoique la reine n'eût que la consolation de le voir, elle ne laissait pas de lui rendre chaque jour deux visites assez longues. J'étais bien informé de tout cela; mais je feignais de l'ignorer.

      Un jour j'allai par curiosité au Palais des Larmes, pour savoir quelle y était l'occupation de cette princesse, et, d'un endroit où je ne pouvais être vu, je l'entendis parler dans ces termes: Je suis dans la dernière affliction de vous voir en l'état où vous êtes; je ne sens pas moins vivement que vous-même les maux cuisants que vous souffrez; mais chère âme, je vous parle toujours et vous ne répondez pas. Jusques à quand garderez-vous le silence? Dites un mot seulement. Hélas! vous êtes sourd à mes prières.

      A ce discours, qui fut plus d'une fois interrompu par ses soupirs et ses sanglots, je perdis enfin patience. Je me montrai; et m'approchant d'elle: Madame, lui dis-je, c'est assez pleurer; il est temps de mettre fin à une douleur qui nous déshonore tous deux; c'est trop oublier ce que vous me devez, et ce que vous vous devez à vous-même.

      J'eus à peine achevé ces mots, que la reine, qui était assise auprès du noir, se leva comme une furie. Ah! cruel, me dit-elle, c'est toi qui causes ma douleur. Ne pense pas que je l'ignore, je ne l'ai que trop longtemps dissimulé; et tu as la dureté de venir insulter à mon désespoir. Oui, c'est moi, interrompis-je transporté de colère, c'est moi qui ai châtié ce monstre comme il le méritait, je devais te traiter de la même manière; je me repens de ne l'avoir


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