Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique. Albert Robida

Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique - Albert Robida


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      LES SAISONS RÉGULARISÉES.—DISTRIBUTION DE LA PLUIE A LA DEMANDE

      —Je ne ris pas, tâche un peu d'être sérieux, fit avec vivacité Philoxène Lorris en tirant avec énergie quelques bouffées de son cigare.

      LA TOURNADE ÉTAIT DANS SON PLEIN.

      —Ton cigare est éteint, dit le fils; je ne t'offre pas d'allumettes, tu es trop loin...

      —Enfin, reprit le père, à ton âge, j'avais déjà lancé mes premières grandes affaires, j'étais déjà le fameux Philox Lorris, et toi, tu te contentes d'être un fils à papa, tu te laisses tranquillement couler au fil de la vie... Qu'es-tu par toi-même? Lauréat de rien du tout, sorti des grandes écoles dans les numéros modestes et, pour le quart d'heure, simple lieutenant dans l'artillerie chimique...

      —Hélas! voilà tout, fit le jeune homme, pendant que son père, dans la plaque du téléphonoscope, tournait rageusement le dos et s'en allait au bout de sa chambre; mais est-ce ma faute si tu as tout découvert ou inventé, et tout arrangé?... je suis venu trop tard dans un monde trop bien outillé, trop bien machiné, tu ne nous as rien laissé à trouver, à nous autres!

      —Allons donc! Nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements de la science, le siècle prochain se moquera de nous... Mais ne nous égarons pas... Georges, mon garçon, j'en suis désolé, mais, tel que te voilà, tu ne me parais guère préparé à reprendre, maintenant que tes années de service obligatoire sont faites, la suite de mes travaux, c'est-à-dire à diriger mon grand laboratoire, le laboratoire Philox Lorris, à la réputation universelle, et les deux cents usines ou entreprises qui exploitent mes découvertes.

      —Veux-tu donc te retirer des affaires?

      —Jamais! s'écria le père avec énergie, mais j'entendais t'associer sérieusement à mes travaux, marcher avec toi à la découverte, chercher avec toi, creuser, trouver... Qu'est-ce que j'ai fait auprès de ce que je voudrais faire si j'avais deux moi pour penser et agir... Mais, mon bon ami, tu ne peux pas être ce second moi... C'est déplorable!... Hélas! je ne me suis pas préoccupé jadis des influences ataviques, je ne me suis pas suffisamment renseigné jadis!... O jeunesse! Moi, no 1 d'International scientific industrie Institut, j'ai été léger! Car, mon pauvre garçon, je suis obligé d'avouer que ce n'est pas tout à fait ta faute si tu n'as point la cervelle suffisamment scientifique; c'est parbleu bien la faute de ta mère... ou plutôt d'un ancêtre de ta mère... J'ai fait mon enquête un peu tard, j'en conviens, et c'est là que je suis coupable. J'ai fait mon enquête et j'ai découvert dans la famille de ta mère...

      —Quoi donc? dit Georges Lorris intrigué.

      —A trois générations seulement en arrière... une mauvaise note, un vice, une tare...

      —Une tare?

      —Oui, son arrière-grand-père, c'est-à-dire ton trisaïeul à toi, fut, il y a 115 ans, vers 1840, un...

      —Un quoi? Que vas-tu m'apprendre? Tu me fais peur!

      —Un artiste!» fit piteusement Philox Lorris en tombant dans un fauteuil.

      Georges Lorris ne put s'empêcher de rire avec irrévérence, et, devant ce rire, son père bondit furieusement dans le téléphonoscope.

      L'ANCÊTRE FRIVOLE.

      «Oui! un artiste! s'écria-t-il, et encore un artiste idéaliste, nébuleux, romantique, comme ils disaient alors, un rêveur, un futiliste, un éplucheur de fadaises!... Tu penses bien que je me suis renseigné... Pour connaître toute l'étendue de mon malheur, j'ai consulté nos grands artistes actuels, les photo-peintres de l'Institut... Je sais ce qu'il était, ton trisaïeul! N'aie pas peur, il n'aurait pas inventé la trigonométrie, ton trisaïeul!... Il n'eut à sa disposition qu'une cervelle légère et vaporeuse évidemment, comme la tienne, dépourvue des circonvolutions sérieuses, comme la tienne, car c'est de lui que tu tiens cette inaptitude aux sciences positives que je te reproche. O atavisme! voilà de tes coups! Comment annihiler l'influence de ce trisaïeul qui revit en toi? Comment le tuer, ce scélérat? Car tu penses bien que je vais lutter et le tuer...

      —Comment tuer un trisaïeul mort depuis plus de cent ans? fit Georges Lorris en souriant; tu sais que je vais défendre mon ancêtre, pour lequel je ne professe pas le même superbe dédain que toi...

      —Je veux le détruire, moralement bien entendu, puisque le scélérat qui vient ruiner mes plans est hors de ma portée; mais je veux combattre son influence malheureuse et la dominer... Tu penses bien, mon garçon, que je ne vais pas t'abandonner, pauvre enfant plus malchanceux que coupable, abandonner ma race!... Certes non!... Je ne puis pas te refaire, hélas! je ne peux pas te remettre, comme j'y avais songé, pour cinq ou six ans, à Intensive scientific Institut...

      —Merci, fit Georges avec effroi, j'aime mieux autre chose...

      —J'ai autre chose, et mieux, car tu ne sortirais pas beaucoup plus fort...

      —Voyons ce meilleur plan?

      —Voici! Je te marie! Je nous sauve par le mariage!

      —Le mariage! s'écria Georges stupéfait.

      —Attends! un mariage étudié, raisonné, où j'aurai mis toutes les chances de notre côté! Il me faut quatre petits-enfants, de sexe quelconque—garçons si possible, j'aimerais mieux—enfin, quatre rejetons de l'arbre Philox-Lorris: un chimiste, un naturaliste, un médecin, un mécanicien, qui se compléteront l'un par l'autre et perpétueront la dynastie scientifique Philox-Lorris... Je considère la génération intermédiaire comme ratée...

      —Merci!

      —Absolument ratée! C'est une non-valeur, un resté pour compte. Je laisse donc de côté cette génération intermédiaire, et je m'arrange pour durer jusqu'au moment de passer la main à mes petits-enfants. Voilà mon plan! Je vais donc te marier...

      —Peut-on savoir avec qui?

      —Ça ne te regarde pas. Je ne sais pas encore moi-même. Il me faut une vraie cervelle scientifique, assez mûre, autant que possible, pour avoir la tête débarrassée de toute idée futile!...»

      Georges se disposait à répondre lorsque se produisit la première secousse électrique due à l'accident du réservoir 17. Georges tomba dans son fauteuil et leva vivement les jambes pour éviter le contact du plancher qui transmettait de nouvelles secousses. Son père n'avait pas bronché.

      «Écervelé! lui cria-t-il, tu n'as pas tes semelles isolatrices et tu évolues comme cela dans une maison où l'électricité court partout dans un réseau de fils entre-croisés et circule comme le sang dans les veines d'un homme!... Mets-les donc et fais attention. C'est une fuite qui vient de se produire quelque part, et l'on ne sait pas jusqu'où peuvent aller les accidents... Allons, je n'ai pas le temps, je te laisse; d'ailleurs, voilà nos communications embrouillées...»

      En effet, l'image très nette dans la plaque du Télé s'affaiblissait soudain, ses contours se perdaient dans le vague, et bientôt ce ne fut plus qu'une série de taches tremblotantes et confuses.

      GEORGES LORRIS, LIEUTENANT DANS L'ARTILLERIE CHIMIQUE.

      COURSES D'AÉROFLÈCHES.

       Table des matières


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