Le comte de Moret. Alexandre Dumas
Cazal, Nice, de la Paille, Monte-Calvo et le pont de Sture.
Les Espagnols prirent tout, excepté Cazal, et le duc de Savoie se trouva en deux mois maître de tout le pays compris entre le Pô, le Tanaro et le Belbo.
Tout cela se passait tandis que nous faisions le siége de La Rochelle.
Ce fut alors que la France envoya, pour le comte de Rethellois, ces 16,000 hommes, commandés par le marquis d'Uxelles, lesquels, manquant de vivres et de solde par la négligence, ou plutôt par la trahison de Créquy, furent repoussés par Charles-Emmanuel, au grand regret du cardinal.
Mais il lui restait au centre du Piémont une ville qui avait vaillamment tenu et sur laquelle flottait toujours le drapeau de la France, c'était Cazal, défendue par un brave et loyal capitaine, nommé le chevalier de Gurron.
Malgré la déclaration bien positive faite par Richelieu, que la France soutiendrait les droits de Charles de Nevers, le duc de Savoie avait grand espoir que ce prétendant serait un jour ou l'autre abandonné du roi Louis XIII, car il connaissait la haine que lui portait Marie de Médicis, qu'il avait autrefois refusé d'épouser, sous prétexte que les Médicis n'étaient pas de naissance à s'allier avec les Gonzague, qui étaient princes avant que les Médicis ne fussent seulement gentilshommes.
Et maintenant on connaît la cause des ressentiments qui poursuivent le cardinal, et dont il s'est plaint si amèrement à sa nièce.
La reine-mère hait le cardinal de Richelieu pour une multitude de raisons; la première et la plus âcre de toutes, c'est qu'il a été son amant et qu'il ne l'est plus; qu'il a commencé par lui obéir en toutes choses, et qu'il a fini par lui être opposé sur tous les points; que Richelieu veut la grandeur de la France et l'abaissement de l'Autriche, tandis qu'elle veut la grandeur de l'Autriche et l'abaissement de la France, et qu'enfin Richelieu veut faire un duc de Mantoue, de Nevers, dont elle ne veut rien faire, à cause de la vieille rancune qu'elle garde contre lui.
La reine Anne d'Autriche hait le cardinal de Richelieu, parce qu'il a traversé ses amours avec Buckingham, ébruité la scandaleuse scène des jardins d'Amiens, chassé d'auprès d'elle Mme de Chevreuse, sa complaisante amie, battu les Anglais, avec lesquels était son cœur, qui ne fut jamais à la France, parce qu'elle le soupçonne sourdement, n'osant le faire tout haut, d'avoir dirigé le couteau de Felton contre la poitrine du beau duc, et, enfin, parce qu'il surveille obstinément les nouvelles amours qu'elle pourrait avoir, et qu'elle sait qu'aucune de ses actions, même les plus cachées, ne lui échappe.
Le duc d'Orléans hait le cardinal de Richelieu, parce qu'il sait que le cardinal le connaît ambitieux, lâche et méchant, attendant avec impatience la mort de son frère, capable de la hâter dans l'occasion, parce qu'il lui a ôté l'entrée au conseil, emprisonné son précepteur Ornano, décapité son complice Chalais, et que, pour toute punition d'avoir conspiré sa mort, il l'a enrichi et déshonoré. Au reste, n'aimant personne que lui-même, il ne compte, la mort de son frère arrivant, épouser la reine, plus âgée que lui de sept ans, que dans le cas où la reine serait enceinte.
Enfin le roi le haïssait parce qu'il sentait que tout dans le cardinal était génie, patriotisme, amour réel de la France, tandis qu'en lui tout était égoïsme, indifférence, infériorité, parce qu'il ne régnerait pas tant que le cardinal vivrait, et régnerait mal le cardinal mort: mais une chose le ramène incessamment au cardinal, dont incessamment on l'éloigne.
On se demande quel est le philtre qu'il lui a fait boire, le talisman qu'il lui a pendu au cou, l'anneau enchanté qu'il lui a passé au doigt! Son charme, c'est sa caisse toujours pleine d'or, et toujours ouverte pour le roi. Concini l'avait tenu dans la misère, Marie de Médicis dans l'indigence, Louis XIII n'avait jamais eu d'argent, le magicien toucha la terre de sa baguette, et le Pactole jaillit aux yeux du roi, qui dès lors eut toujours de l'argent, même quand Richelieu n'en avait pas.
Dans l'espérance que maintenant tout est aussi clair sur l'échiquier de nos lecteurs que sur celui de Richelieu, nous allons reprendre notre récit où nous l'avons laissé à la fin du premier volume.
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