Les bijoux indiscrets. Dénis Diderot

Les bijoux indiscrets - Dénis Diderot


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juger par les précautions que l'on prend pour le recevoir. Que de préparatifs! quelle profusion d'eau de myrte[18]! Encore une quinzaine de ce régime, et c'était fait de moi; je disparaissais, et monsieur l'émir n'avait qu'à chercher gîte ailleurs, ou qu'à m'embarquer pour l'île Jonquille[19].» Ici mon auteur dit que toutes les femmes pâlirent, se regardèrent sans mot dire, et tinrent un sérieux qu'il attribue à la crainte que la conversation ne s'engageât et ne devînt générale. «Cependant, continua le bijou d'Alcine, il m'a semblé que l'émir n'avait pas besoin qu'on y fît tant de façons; mais je reconnais ici la prudence de ma maîtresse; elle mit les choses au pis-aller; et je fus traité pour monsieur comme pour son petit écuyer.»

      «Rien n'est plus vrai, mesdames; j'en ai usé, moi qui vous parle, pour une déperdition de substance.

      —Une déperdition de substance! Monsieur le marquis, reprit une jeune personne, qu'est-ce que cela?

      —Madame, répondit le marquis, c'est un de ces petits accidents fortuits qui arrivent... Eh! mais tout le monde connaît cela.»

      Cette aventure fit grand bruit à la cour, à la ville et dans tout le Congo. Il en courut des épigrammes: le discours du bijou d'Alcine fut publié, revu, corrigé, augmenté et commenté par les agréables de la cour. On chansonna l'émir; sa femme fut immortalisée. On se la montrait aux spectacles; elle était courue dans les promenades; on s'attroupait autour d'elle, et elle entendait bourdonner à ses côtés: «Oui, la voilà; c'est elle-même; son bijou a parlé pendant plus de deux heures de suite.»

      Alcine soutint sa réputation nouvelle avec un sang-froid admirable. Elle écouta tous ces propos, et beaucoup d'autres, avec une tranquillité que les autres femmes n'avaient point. Elles s'attendaient à tout moment à quelque indiscrétion de la part de leurs bijoux; mais l'aventure du chapitre suivant acheva de les troubler.

      Lorsque le cercle s'était séparé, Mangogul avait donné la main à la favorite, et l'avait remise dans son appartement. Il s'en manquait beaucoup qu'elle eût cet air vif et enjoué, qui ne l'abandonnait guère. Elle avait perdu considérablement au jeu, et l'effet du terrible anneau l'avait jetée dans une rêverie dont elle n'était pas encore bien revenue. Elle connaissait la curiosité du sultan, et elle ne comptait pas assez sur les promesses d'un homme moins amoureux que despotique, pour être libre de toute inquiétude.

      «Qu'avez-vous, délices de mon âme? lui dit Mangogul; je vous trouve rêveuse.

      —J'ai joué, lui répondit Mirzoza, d'un guignon qui n'a point d'exemple; j'ai perdu la possibilité: j'avais douze tableaux; je ne crois pas qu'ils aient marqué trois fois.

      —Cela est désolant, répondit Mangogul: mais que pensez-vous de mon secret?

      —Prince, lui dit la favorite, je persiste à le tenir pour diabolique; il vous amusera sans doute; mais cet amusement aura des suites funestes. Vous allez jeter le trouble dans toutes les maisons, détromper des maris, désespérer des amants, perdre des femmes, déshonorer des filles, et faire cent autres vacarmes. Ah! prince, je vous conjure...

      —Je n'en crois rien, seigneur, reprit Mirzoza.

      —Et moi je vous réponds que vous trouverez des bijoux plaisants, et si plaisants, que vous ne pourrez vous défendre de leur donner audience. Et où en seriez-vous donc, si je vous les députais en qualité d'ambassadeurs? Je vous sauverai, si vous voulez, l'ennui de leurs harangues; mais pour le récit de leurs aventures, vous l'entendrez de leur bouche ou de la mienne. C'est une chose décidée; je n'en peux rien rabattre; prenez sur vous de vous familiariser avec ces nouveaux discoureurs.»

      A ces mots, il l'embrassa, et passa dans son cabinet, réfléchissant sur l'épreuve qu'il venait de faire, et remerciant dévotieusement le génie Cucufa.

       Table des matières

      LES AUTELS.

       Table des matières

      Il y avait pour le lendemain un petit souper chez Mirzoza. Les personnes nommées s'assemblèrent de bonne heure dans son appartement. Avant le prodige de la veille, on s'y rendait par goût; ce soir, on n'y vint que par bienséance: toutes les femmes eurent un air contraint et ne parlèrent qu'en monosyllabes; elles étaient aux aguets, et s'attendaient à tout moment que quelque bijou se mêlerait de


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