Midi à quatorze heures. Alphonse Karr

Midi à quatorze heures - Alphonse Karr


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conseillez-moi, soyez bon, ne me punissez jamais de n’être qu’une pauvre femme ignorante qui n’a peut-être pas assez réfléchi avant de vous écrire.

      »Vous voulez que je vous parle de moi; que puis-je vous en dire? Je ne l’ose pas encore: il me semble que ça serait un peu manquer à ma résolution de vous rester inconnue. Cependant, si vous alliez vous faire de moi un portrait qui ne me ressemblât pas, et que vous vous missiez à aimer ce portrait... Je suis jeune, j’ai les cheveux blonds, je passe pour assez jolie... Voilà tout ce que vous saurez.

      »Mais vous, mon ami, faites-moi donc un peu votre portrait. Du reste, je suis sûre que je vous ai deviné; vous êtes grand, élancé, vous avez vingt-huit ans, votre chevelure est noire. Je gage que je ne me trompe pas.

      »La mer est bien belle au moment où je vous écris. Vous, Parisien, vous ne savez pas que la nature nous donne des fêtes plus splendides que les vôtres. Je vous envoie quelques violettes sèches que j’ai trouvées cachées sous les feuilles dans mon jardin. Ce sont probablement les dernières de l’année.

      »Adieu.»

      Le soir, Roger remarqua avec mauvaise humeur que sa femme était blonde: il lui semblait qu’elle n’en avait pas le droit; rien n’est choquant comme les ressemblances que se permettent d’avoir les gens qu’on n’aime pas avec les gens qu’on aime. Dans la situation de Roger surtout, cette similitude était tout à fait désagréable et incommode; il ne connaissait pas le visage de sa correspondante, et, quand il voulait se le figurer en esprit, l’idée des cheveux blonds amenait naturellement une ressemblance entre la figure que cherchait à créer sa fantaisie et celle de sa femme. C’était, sans contredit, le plus mauvais tour que le hasard pût lui jouer.

      Pour Marthe, elle annonça à Bérénice qu’il fallait, le lendemain, se lever de bonne heure, attendu qu’il y avait à s’occuper de la confection des confitures de coing. Roger fit une moue fort méprisante; ce qui ne veut pas dire qu’il méprisât en elles-mêmes les confitures de coing, lesquelles sont incontestablement les plus spirituelles d’entre les confitures.

       Table des matières

      MMM. à Vilhem.

      «Je vous l’ai dit, cher monsieur Vilhem, je ne serai jamais pour vous rien autre chose qu’une affection; et j’ai regret au mouvement de coquetterie jalouse qui m’a fait vous dire la couleur de mes cheveux. Je veux être pour vous comme les anges du ciel, dont on ne sait pas le sexe, que l’on croit si beaux, sans savoir en quoi consiste leur beauté.

      »Mais vous, je veux vous connaître, je veux vous voir et vous suivre en esprit; dites-moi si je me suis trompée dans l’idée que je me suis faite de votre aspect et de votre visage. Dites-moi tout ce qui peut vous rendre plus présent à ma pensée. Racontez-moi vos habitudes, les heures auxquelles vous travaillez. Faites-moi la description de votre cabinet de travail. Je veux savoir les couleurs et les fleurs que vous aimez; travaillez-vous le jour ou la nuit? quelques-uns des personnages que vous mettez en scène dans vos ouvrages sont-ils des portraits ou des fantaisies de votre imagination? Si vous ne me répondez pas bien clairement à toutes ces questions, je me fâche contre vous, et je ne vous aime plus. Il y a surtout une question que j’ai gardée pour la dernière, en forme de post-scriptum, pour deux raisons: d’abord, parce que je n’ose guère la faire; ensuite, parce que c’est peut-être celle dont la solution pique le plus vivement ma curiosité. Parlez-moi de la femme que vous aimez. Je ne comprends pas un poëte sans amour, et vous qui possédez à un si haut degré toutes les facultés du poëte, vous n’aurez pas négligé précisément ce point.

      »Il faut encore que vous vous soumettiez à un caprice. Vous recevrez avec cette lettre des plumes que j’ai taillées pour vous. Il faut vous en servir; j’aurai un double plaisir à lire votre ouvrage. Mais, à propos, paresseux, votre dernier porte une date déjà vieille de trois ans. Que faites-vous donc? Vous êtes-vous laissé prendre au tourbillon du monde? Avez-vous oublié ce que vous dites dans un de vos livres: «Le poëte est comme l’aigle, qui ne descend dans la vallée que pour y saisir sa proie, et s’envole avec elle plus près du soleil et du ciel, sur les pics inaccessibles où il a placé son aire.»

      Lorsque Roger reçut cette lettre, sa maison était tout entière en proie à la fabrication des confitures de coing; chaque cheminée avait un chaudron, chaque table était couverte de pots, et Marthe vint le prier de découper les ronds de papier destinés à les couvrir. La première pensée de Roger fut de rejeter bien loin cette occupation qui cadrait médiocrement avec l’exaltation actuelle de son esprit. Cependant il réfléchit qu’étendu dans un fauteuil et se livrant aux plus doux rêves en songeant à sa correspondance, il devait, aux yeux de Marthe, paraître le plus désœuvré des hommes, et que son refus aurait tout l’air d’une mauvaise humeur qu’il eût été fort embarrassé d’expliquer. Il se résigna donc, prit les ciseaux, le papier, et laissa agir ses mains selon les instructions reçues, tandis que son esprit franchissait l’espace qui sépare Honfleur du Havre de Grâce.

      Quand il eut découpé un certain nombre de ronds, il pensa qu’il avait le temps d’écrire avant qu’ils fussent tous employés, et il répondit à MMM.

       Table des matières

      Vilhem à MMM.

      «Hélas! hélas! hélas! cher ange, puisque vous voulez bien être le mien, hélas! hélas! hélas! il y a dans la vie humaine une certaine quantité de prosaïsme, alliage dans l’or, qu’il faut nécessairement subir et auquel rien ne peut nous faire échapper. Le poëte trouve quelquefois moyen de dépenser son or pur; mais il lui faut tôt ou tard se servir de l’alliage pur à son tour; je me suis longtemps désespéré de cela; aujourd’hui, mon désespoir est devenu un rire sardonique. A quoi pensez-vous que votre lettre me trouve occupé? A des travaux de ménage!

      »Oui, vous êtes mon ange, mon ange consolateur, mon ange sauveur. Depuis que je vous ai trouvée, ma vie a un but. Je sais pourquoi je me réveille le matin: pour songer à vous, pour attendre votre lettre. Quand je vois, le soir, ces beaux couchers du soleil, ces splendides reflets dont se pare le ciel, j’ai maintenant un ange, un dieu à placer dans ce ciel, sur ce trône de pourpre et de feu, si tristement vide pour moi jusqu’ici. Maintenant, je me réjouis de ce que le ciel m’a donné d’esprit, de force, de courage; semblable aux saints de la mythologie hébraïque, «je me réjouis de la belle moisson que je puis offrir à mon Dieu.»

      »Non, je ne travaille pas, et, pour cela, je n’ai pas abandonné ma douce solitude dans laquelle, sans vous connaître, je vous ai toujours gardé une place à côté de moi. Je ne travaille plus pour la foule, dont, par une bizarrerie que je ne m’explique pas, les suffrages me laissent froid et le blâme me blesse profondément. Je vous écrirai, j’écrirai pour vous seule tout ce que vous voudrez.

      »Cependant je me prends parfois à caresser dans mon cœur un amer regret. Je me rappelle ces quelques soirées de triomphe où, après la représentation de mon œuvre, mon nom jeté à la foule était répété par elle avec des cris d’enthousiasme presque furieux. Oh! que n’étiez-vous là! c’est si j’avais dû en parer votre front, que ces couronnes auraient eu du prix pour moi. Souvent, parmi toutes ces femmes parées, je cherchais vainement s’il y en avait une qui fût heureuse de mon triomphe, et mon orgueil, un moment satisfait, rentrait douloureusement en moi et retombait sur mon cœur.

      »Vous voulez me connaître? J’attends un ami qui peint un peu; je ferai faire une sorte de portrait que je vous enverrai. J’espère que, plus tard, vous changerez d’idée sur le mystère qui vous dérobe à moi. Les anges ne se cachaient que pour le vulgaire et se manifestaient aux hommes vertueux qu’ils aimaient. Je suis, à ce prix, capable d’accaparer


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