Création et rédemption: Le docteur mystérieux. Alexandre Dumas

Création et rédemption: Le docteur mystérieux - Alexandre Dumas


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ne vînt effrayer la malade, et ordonna à Basile de recommencer son morceau. Basile, orgueilleux de l'effet qu'il avait produit, ne se fit pas prier; il rapprocha l'instrument de sa bouche, et en tira un son si terrible et si menaçant, que les larmes d'Éva recommencèrent et qu'elle fit un mouvement pour fuir comme avaient fui le Président et Scipion.

      Dès lors, il n'y avait pas de doute à conserver, c'était bien la trompette qui avait fait pleurer l'enfant, et la fuite du chat et les lamentations du chien n'étaient pour rien dans ses larmes.

      Le docteur, enchanté de l'épreuve et convaincu de la bonté de son système curatif, donna un écu de six livres au musicien, qui fit toutes sortes de difficultés pour recevoir de l'argent de celui dont il avait reçu la vie; mais le docteur insista tellement, que Basile finit par mettre son écu de six livres dans sa poche, offrant à son sauveur de revenir toutes et quantes fois il lui plairait, offre obligeante, mais dont le docteur ne profita pas.

      Scipion, bon caractère, esprit calme et bienveillant, revint, aussitôt que Basile fut sorti, se remettre à la disposition de l'enfant; mais le Président, caractère plus aigre et plus rancunier, ne reparut qu'à l'heure de la pâtée.

      Malgré la lenteur du traitement, car il y avait déjà plus de deux ans qu'Éva avait quitté la maison du braconnier, la joie du docteur était grande, car il ne doutait pas que la malade ne fût en voie de guérison.

      Il laissa écouler trois autres mois, pendant lesquels l'enfant fut soumis à un traitement électrique décroissant, car Jacques Mérey craignait de fatiguer outre mesure les organes sur lesquels il opérait; puis, un jour, il fit apporter un orgue qui, avec toutes sortes de précautions, lui était arrivé de Paris par le roulage.

      Il y avait bien un orgue dans l'église d'Argenton, mais il y avait aussi un curé, et Jacques Mérey était tenu partout par le clergé pour un si mauvais chrétien, qu'à moins d'exorcisme opéré sur lui, on ne lui eût point permis de faire ses expériences dans l'église.

      Comme rien ne lui coûtait quand il s'agissait d'Éva, il avait donc, dans les espérances curatives qu'il fondait sur la musique, fait sans la regretter le moins du monde la dépense d'un de ces orgues de salon qui coûtaient alors cent cinquante ou deux cents pistoles, et qu'on était obligé de faire venir d'Allemagne, la fabrique d'Alexandre étant encore inconnue.

      Aux larmes versées par Éva lorsque Basile avait exécuté son morceau, le docteur avait non seulement acquis la certitude qu'elle avait entendu, mais avait conçu l'espérance qu'elle aurait le sens musical, et que les larmes lui étaient venues aux yeux autant de la discordance du musicien et de l'instrument que de la formidable harmonie qui s'était échappée de leur réunion.

      Ce fut toute une grande affaire que l'installation de cet orgue, sur lequel Jacques Mérey comptait énormément. La question n'était pas de le placer et de l'établir avec l'aplomb convenable à ces sortes d'instruments, mais il importait qu'aucune vibration n'en sortît avant l'heure où Jacques Mérey désirait que ses sons mélodieux produisent leur effet, non seulement sur l'oreille, mais aussi sur le cœur de l'enfant.

      On était aux premiers jours du printemps, dans cette période merveilleuse où un nouveau fluide se répand par toute la nature, et, comme une chaîne d'amour, fait éclore les êtres qui ne sont pas nés encore et rattache d'un lien plus ardent ceux qui ont déjà subi son influence.

      C'était la troisième fois que les bourgeons des arbres éclataient sous les jeunes et premières feuilles d'avril depuis qu'Éva, encore enfermée dans son bourgeon d'hiver, attendait dans la maison du docteur un rayon de ce soleil vivifiant; elle avait dix ans.

      Jacques Mérey attendit que se levât une de ces journées qui remplissent toutes les conditions vivifiantes de cette aurore printanière à laquelle les choses inanimées semblent elles-mêmes devenir sensibles; il ouvrit la fenêtre pour qu'un rayon de soleil pénétrât dans le laboratoire; il attira les branches de lierre qui pendaient au toit pour faire à ce rayon un voile de verdure; il coucha l'enfant sous le flot tempéré de cet œil de feu, et, tandis que son sourire et ses membres détendus indiquaient ce bien-être qu'éprouve toute créature sous le regard du Créateur, il marcha à son orgue ouvert d'avance et laissa tomber ses mains sur la première mesure du Prima che spunti l'aura, de Cimarosa.

      Jacques Mérey n'était pas ce qu'on peut appeler un habile instrumentiste, c'était seulement un de ces hommes d'harmonie qui ont en eux toutes les qualités intellectuelles, musicales, poétiques, qui naissent de l'accord d'un grand cœur et d'un esprit élevé. Il eût été poète, il eût été peintre, il eût surtout été musicien, si cette fureur du bien ne l'eût entraîné sur les traces des Cabanis et des Condorcet.

      Ce fut donc avec une mélodie toute particulière que l'instrument presque divin vibra sous ses doigts en sons mélancoliques et prolongés, et, comme le musicien s'était placé de manière à ne pas perdre le moindre effet produit par l'instrument sur l'auditeur, il put voir, au premier flot de mélodie qui se répandit dans l'appartement, Éva tressaillir, relever la tête, sourire, et, sur ses genoux, en s'aidant à peine de ses mains, venir à lui comme le magnétisé vient au magnétiseur, et, arrivée près de sa chaise, s'accrocher aux bâtons et se soulever de toute sa hauteur en se soutenant au dossier du siège et en s'abreuvant à cette source de notes qui jaillissait des touches de l'orgue sous les doigts du docteur.

      Le docteur, joyeux, la prit dans ses bras et la pressa contre son cœur, mais Éva, l'écartant doucement, laissa retomber sa propre main sur l'ivoire de l'orgue et en tira avec une satisfaction étrange un long gémissement.

      Mais elle n'essaya même pas de recommencer, et laissa retomber sa main inerte auprès d'elle, comme si elle eût reconnu l'impossibilité de produire les mêmes sons qu'elle venait d'entendre un instant auparavant.

      Alors, par des mots inarticulés, elle essaya de faire comprendre son désir.

      Le docteur, qui n'avait qu'une âme pour lui et pour elle, crut avoir compris ce murmure, si inintelligible qu'il fût, et, laissant retomber ses deux mains sur l'orgue, il reprit le morceau où il l'avait abandonné.

      Il y avait dans la jardin, tous les ans, une nichée de rossignols; le docteur avait recommandé par-dessus toute chose qu'on ne tourmentât jamais le mâle sur sa branche, la femelle sur son nid, les petits sous elle.

      Aussi, tous les ans, quelque échappé de la nichée dernière, peut-être le même mâle et la même femelle, revenaient faire leur nid au même endroit, dans une épaisse touffe de seringas; cette touffe était adossée à la tonnelle formée par des branches de tilleul entrelacées.

      Comme les ordres de Jacques Mérey, à l'endroit du roi des chanteurs, avaient été observés religieusement; comme le Président était nourri de manière à n'avoir jamais besoin de chercher ailleurs un en-cas, tous les ans, à la même époque, du 5 au 8 mai, on entendait éclater la voix merveilleuse du ménestrel nocturne.

      Cette fois, Jacques Mérey guetta son retour; il comptait éprouver sur l'organisme d'Éva cet instrument le plus merveilleux de tous, le chant de l'oiseau.

      Le 7 mai, le chant se fit entendre. Il pouvait être onze heures du soir lorsque la première note parvint jusqu'au laboratoire du docteur, dont la fenêtre était ouverte. Il réveilla l'enfant.

      Jacques Mérey avait remarqué que, lorsqu'on réveillait Éva, elle était d'humeur beaucoup moins souriante que lorsqu'elle se réveillait d'elle-même; mais il espérait trop de l'épreuve pour attendre que le rossignol chantât à une heure où elle aurait les yeux ouverts. Il l'emporta toute maussade dans son berceau, et descendit avec elle au jardin.

      L'enfant se plaignait sans pleurer, comme font les enfants de mauvaise humeur; mais, à mesure que le docteur entrait dans le jardin et s'approchait de l'endroit où chantait le rossignol, la sérénité reparaissait sur le visage de l'enfant; ses yeux s'ouvraient comme si elle eût espéré voir mieux dans la nuit que dans le jour. Sa respiration même, de haletante qu'elle était, devenait régulière; elle écoutait non seulement de toutes ses oreilles, mais avec tous ses


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