Création et rédemption: Le docteur mystérieux. Alexandre Dumas

Création et rédemption: Le docteur mystérieux - Alexandre Dumas


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remplies de couleuvres; la masse compacte des rochers qui découpaient leur verdure de mousse sur la sombre verdure des chênes, tout cela saisit le docteur aux entrailles; il hésitait à l'entrée de ce bois comme un initié des mystères d'Eleusis au seuil du temple, où l'attendaient les redoutables épreuves et les ténèbres.

      Alors, le chien s'approcha du docteur avec une physionomie étrange; léchant les mains de son maître et le tirant par l'habit, il semblait le conjurer de le suivre dans l'épaisseur du bois.

      C'était un de ces points de doctrine sur lesquels Jacques Mérey s'accordait avec les illuminés, les cabalistes et même les historiens, que les animaux sont doués quelquefois d'un esprit de divination. La science des présages et des augures, cette science vieille comme le monde, à laquelle ont cru tous les sages de l'antiquité depuis Homère jusqu'à Cicéron, n'était point une chimère aux yeux du docteur.

      Il pensait que les animaux, les plantes, les objets inanimés eux-mêmes, ont un langage, et que ce langage, interprète des éléments de la nature, peut donner à l'homme des avertissements salutaires.

      Et, en effet, interrogez à la fois la fable et l'histoire, et vous les trouverez toutes deux d'accord sur ce sujet.

      N'est-ce point un bélier qui découvrit à Bacchus, mourant de soif, ces sources du désert autour desquelles verdissent aujourd'hui les oasis d'Ammon? Ne sont-ce point deux colombes qui conduisirent Énée du cap Misène au rameau d'or caché sur les rives du lac Averne? Et n'est-ce point une biche blanche qui fraya le chemin d'Attila à travers les Palus-Méotides?

      Jacques Mérey suivi donc le chien, persuadé qu'il le conduisait à un but quelconque.

      L'animal s'avança dans le bois; le docteur marchait derrière lui, péniblement, le visage à chaque instant fouetté par les branches, les jambes perdues dans les herbes, ne voyant devant lui que la queue de son chien, boussole vivante, et n'entendant que le froissement des plantes et le bruit des reptiles fuyant sous les orties.

      Après un quart d'heure de marche, l'homme et le chien, le chien d'abord, parvinrent à une clairière au milieu de laquelle, appuyée au tronc d'un chêne immense, s'élevait une cabane.

      La queue du chien remua de joie.

      Cette cabane devait appartenir soit à un bûcheron, soit à un braconnier; peut-être celui qui l'habitait exerçait-il ces deux états.

      Elle était située au centre d'une forêt appartenant à M. de Chazelay. Comment M. de Chazelay, si grand amateur de la chasse, permettait-il qu'un braconnier, dont il était impossible qu'il ignorât l'existence, s'établît ainsi sur ses terres?

      Jacques Mérey s'adressa vaguement toutes ces questions; mais l'habitude où il était de sacrifier les choses importantes aux choses secondaires fit qu'il laissa de côté la cause et ne s'occupa que de l'effet.

      Le chien se dressa contre la porte; puis, comme la pression n'était pas assez forte, il laissa retomber ses deux pattes de devant à terre et poussa la porte avec son museau.

      La porte céda assez à temps pour que de sa main le docteur l'empêchât de se refermer. Une vieille femme assise sur un escabeau filait tranquillement sa quenouille, tandis qu'un homme d'une trentaine d'années, qui devait être le fils de cette femme, nettoyait les pièces démontées de la batterie d'un fusil. Devant la cheminée, où flambaient des branches sèches, un quartier de chevreuil était en train de rôtir et répandait ce fumet à la fois aromatique et appétissant de la venaison.

      Au moment où le chien entra, la vieille femme poussa un cri de plaisir et l'homme bondit de joie. Jamais on ne vit reconnaissance plus touchante; c'étaient des caresses, des embrassements, des transports à n'en pas finir.

      Puis des dialogues auxquels le chien répondait par des modulations qui eussent fait croire qu'il entendait les reproches qu'on lui faisait et qu'il essayait de se disculper.

      —D'où viens-tu, misérable bandit? d'où viens-tu, affreux vagabond? disait l'homme.

      —Qu'as-tu fait pendant quinze grands jours que tu nous a laissés dans l'inquiétude? demandait la femme.

      —Nous t'avons cru mort ou enragé, ce qui revient au même, reprenait l'homme.

      —Mais, non, Dieu merci! Il se porte bien; pauvre Scipion! il a l'œil limpide comme une goutte d'eau et vif comme un ver luisant.

      —Tu dois avoir faim, mauvais drôle! tiens, mords là-dedans.

      Et l'enfant prodigue, fêté, caressé à son retour au logis, se voyait offrir le reste du déjeuner ou du souper de la vieille avec le même empressement et les mêmes excitations que s'il eût été un véritable convive.

      Alors seulement Scipion, dont le docteur venait d'apprendre le véritable nom—nom qu'il devait sans doute à un parrain plus lettré que ne l'était son maître—, Scipion, qui avait déjeuné avant de quitter la maison du docteur, ayant tout dédaigné, le bûcheron releva la tête et s'aperçut de la présence de Jacques Mérey.

      La vue de cet étranger parut lui déplaire; l'homme fronça le sourcil, et la femme eût pâli si sa peau n'eût pas été depuis longtemps tannée par l'âge et par le soleil.

      Jacques Mérey, voyant l'effet désagréable que causait à ses hôtes son apparition inattendue, s'empressa de leur raconter l'histoire de Scipion, et comment il l'avait sauvé des fourches et des fléaux des garçons d'écurie du château de Chazelay.

      Une larme se forma lentement dans l'œil aride de la vieille femme, et mouilla le lin de sa quenouille.

      Quant au bûcheron, il éprouva le même sentiment de reconnaissance sans doute pour l'homme qui avait sauvé son chien; cependant, un nuage sombre ne resta pas moins sur son front.

      Le docteur se croyait tombé, nous l'avons dit, dans une cabane de braconnier; il attribua le trouble de ces gens au métier qu'ils faisaient et à la crainte d'être découverts. Mais, avec le sourire d'un patriarche et les lèvres d'un jeune homme:

      —Rassurez-vous, mes amis, leur dit-il, je ne suis point un espion du château; le Seigneur, qui est au-dessus des seigneurs de la terre, a donné les animaux à l'homme pour que l'homme en fît sa nourriture. Or, Dieu n'a point établi de distinction entre le noble et le roturier; nos mauvaises lois sociales ont seules fait cela; elles ont donné le droit de chasse aux uns et l'ont refusé aux autres, et les nobles, qui ne respectent rien, pas même la parole de Dieu, ont violé la promesse que Jéhovah avait faite à Noé et à ses successeurs dans la personne de Noé. «Tout ce qui se meut sur la terre et dans les eaux vous appartient,» a dit le Seigneur.

      Mais, au moment où le docteur achevait sa démonstration du droit de chasse, droit universel, droit indestructible, puisqu'il est basé sur les Saintes Écritures, un spectacle aussi nouveau qu'inattendu frappa ses yeux.

      Une espèce d'alcôve pratiquée au fond de la cabane était voilée par des rideaux de serge; le chien venait de soulever et d'écarter ce rideau avec sa tête, et, dans la pénombre, Jacques Mérey distingua comme un paquet inerte de membres humains appartenant évidemment à un enfant qui avait l'air de vivre.

      —Qu'est cela? s'écria-t-il.

      Et il saisit le rideau pour l'écarter.

      Mais le braconnier se leva d'un air solennel.

      —Monsieur, lui dit-il, pour avoir vu ce que vous venez de voir, tout autre que vous ne sortirait pas vivant d'ici; mais je m'aperçois que mon chien vous aime; il vous doit de n'avoir pas été tué à coups de fourche et de ne pas être mort de la rage; or, mon chien, voyez-vous, c'est mon seul ami; en considération de mon chien, je vous fais grâce; mais jurez-moi que vous ne raconterez à personne ce que vous avez cru voir.

      —Monsieur, dit Jacques Mérey en lâchant le rideau, mais en croisant les bras en homme décidé à aller jusqu'au bout, vous oubliez que je suis médecin et qu'un médecin est le confesseur du corps: je veux savoir ce que c'est que cet enfant.

      Les


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