Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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arrivent à temps !

      Raymonde chercha près de son lit la sonnerie électrique et la pressa du doigt. Un timbre en haut vibra, et elles eurent l’impression que, d’en bas, on avait dû en percevoir le son distinct.

      Elles attendirent. Le silence devenait effrayant, et la brise elle-même n’agitait plus les feuilles des arbustes.

      – J’ai peur… j’ai peur… répétait Suzanne.

      Et, tout à coup, dans la nuit profonde, au-dessous d’elles, le bruit d’une lutte, un fracas de meubles bousculés, des exclamations, puis, horrible, sinistre, un gémissement rauque, le râle d’un être qu’on égorge…

      Raymonde bondit vers la porte. Suzanne s’accrocha désespérément à son bras.

      – Non… ne me laisse pas… j’ai peur.

      Raymonde la repoussa et s’élança dans le corridor, bientôt suivie de Suzanne qui chancelait d’un mur à l’autre en poussant des cris. Elle parvint à l’escalier, dégringola de marche en marche, se précipita sur la grande porte du salon et s’arrêta net, clouée au seuil, tandis que Suzanne s’affaissait à ses côtés. En face d’elles, à trois pas, il y avait un homme qui tenait à la main une lanterne. D’un geste, il la dirigea vers les deux jeunes filles, les aveuglant de lumière, regarda longuement leurs visages, puis sans se presser, avec les mouvements les plus calmes du monde, il prit sa casquette, ramassa un chiffon de papier et deux brins de paille, effaça des traces sur le tapis, s’approcha du balcon, se retourna vers les jeunes filles, les salua profondément, et disparut.

      La première, Suzanne courut au petit boudoir qui séparait le grand salon de la chambre de son père. Mais dès l’entrée, un spectacle affreux la terrifia. À la lueur oblique de la lune on apercevait à terre deux corps inanimés, couchés l’un près de l’autre.

      – Père !… père !… c’est toi ?… qu’est-ce que tu as ? s’écria-t-elle affolée, penchée sur l’un d’eux.

      Au bout d’un instant, le comte de Gesvres remua. D’une voix brisée, il dit :

      – Ne crains rien… je ne suis pas blessé… Et Daval ? est-ce qu’il vit ? le couteau ?… le couteau ?…

      À ce moment, deux domestiques arrivaient avec des bougies. Raymonde se jeta devant l’autre corps et reconnut Jean Daval, le secrétaire et l’homme de confiance du comte. Sa figure avait déjà la pâleur de la mort.

      Alors elle se leva, revint au salon, prit, au milieu d’une panoplie accrochée au mur, un fusil qu’elle savait chargé, et passa sur le balcon. Il n’y avait, certes, pas plus de cinquante à soixante secondes que l’individu avait mis le pied sur la première barre de l’échelle. Il ne pouvait donc être bien loin d’ici, d’autant plus qu’il avait eu la précaution de déplacer l’échelle pour qu’on ne pût s’en servir. Elle l’aperçut bientôt, en effet, qui longeait les débris de l’ancien cloître. Elle épaula, visa tranquillement et fit feu. L’homme tomba.

      – Ça y est ! ça y est ! proféra l’un des domestiques, on le tient celui-là. J’y vais.

      – Non, Victor, il se relève… descendez l’escalier, et filez sur la petite porte. Il ne peut se sauver que par là.

      Victor se hâta, mais avant même qu’il ne fût dans le parc, l’homme était retombé. Raymonde appela l’autre domestique.

      – Albert, vous le voyez là-bas ? près de la grande arcade ?…

      – Oui, il rampe dans l’herbe… il est fichu…

      – Surveillez-le d’ici.

      – Pas moyen qu’il échappe. À droite des ruines, c’est la pelouse découverte…

      – Et Victor garde la porte à gauche, dit-elle en reprenant son fusil.

      – N’y allez pas, Mademoiselle !

      – Si, si, dit-elle, l’accent résolu, les gestes saccadés, laissez-moi… il me reste une cartouche… S’il bouge…

      Elle sortit. Un instant après, Albert la vit qui se dirigeait vers les ruines. Il lui cria de la fenêtre :

      – Il s’est traîné derrière l’arcade. Je ne le vois plus… attention, Mademoiselle…

      Raymonde fit le tour de l’ancien cloître pour couper toute retraite à l’homme, et bientôt Albert la perdit de vue. Au bout de quelques minutes, ne la revoyant pas, il s’inquiéta, et, tout en surveillant les ruines, au lieu de descendre par l’escalier, il s’efforça d’atteindre l’échelle. Quand il y eut réussi, il descendit rapidement et courut droit à l’arcade près de laquelle l’homme lui était apparu pour la dernière fois. Trente pas plus loin, il trouva Raymonde qui cherchait Victor.

      – Eh bien ? fit-il.

      – Impossible de mettre la main dessus, dit Victor.

      – La petite porte ?

      – J’en viens… voici la clef.

      – Pourtant… il faut bien…

      – Oh ! son affaire est sûre… D’ici dix minutes, il est à nous, le bandit.

      Le fermier et son fils, réveillés par le coup de fusil, arrivaient de la ferme dont les bâtiments s’élevaient assez loin sur la droite, mais dans l’enceinte des murs ; ils n’avaient rencontré personne.

      – Parbleu, non, fit Albert, le gredin n’a pas pu quitter les ruines… On le dénichera au fond de quelque trou.

      Ils organisèrent une battue méthodique, fouillant chaque buisson, écartant les lourdes traînes de lierre enroulées autour du fût des colonnes. On s’assura que la chapelle était bien fermée et qu’aucun des vitraux n’était brisé. On contourna le cloître, on visita tous les coins et recoins. Les recherches furent vaines.

      Une seule découverte à l’endroit même où l’homme s’était abattu, blessé par Raymonde, on ramassa une casquette de chauffeur, en cuir fauve. Sauf cela, rien.

      À six heures du matin, la gendarmerie d’Ouville-la-Rivière était prévenue et se rendait sur, les lieux, après avoir envoyé par exprès au parquet de Dieppe une petite note relatant les circonstances du crime, la capture imminente du principal coupable, la découverte de son couvre-chef et du poignard avec lequel il avait perpétré son forfait. À dix heures, deux autos descendaient la pente légère qui aboutit au château. L’une, vénérable calèche, contenait le substitut du procureur et le juge d’instruction accompagné de son greffier. Dans l’autre, modeste cabriolet, avaient pris place deux jeunes reporters, représentant le Journal de Rouen et une grande feuille parisienne.

      Le vieux château apparut. Jadis demeure abbatiale des prieurs d’Ambrumésy, mutilé par la Révolution, restauré par le comte de Gesvres auquel il appartient depuis vingt ans, il comprend un corps de logis que surmonte un pinacle où veille une horloge, et deux ailes dont chacune est enveloppée d’un perron à balustrade de pierre. Pardessus les murs du parc et au-delà du plateau que soutiennent les hautes falaises normandes, on aperçoit, entre les villages de Sainte-Marguerite et de Varangeville, la ligne bleue de la mer.

      Là vivait le comte de Gesvres avec sa fille Suzanne, jolie et frêle créature aux cheveux blonds, et sa nièce Raymonde de Saint-Véran, qu’il avait recueillie deux ans auparavant lorsque la mort simultanée de son père et de sa mère laissa Raymonde orpheline. L’existence était calme et régulière au château. Quelques voisins y venaient de temps à autre. L’été, le comte menait les deux jeunes filles presque chaque jour à Dieppe. Lui, c’était un homme de taille élevée, de belle figure grave, aux cheveux grisonnants. Très riche, il gérait lui-même sa fortune et surveillait ses propriétés avec l’aide de son secrétaire Jean Daval.

      Dès l’entrée, le juge d’instruction recueillit les premières constatations du brigadier


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