Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


Скачать книгу
fait d’une mosaïque de petites pierres multicolores, formant de larges dessins symétriques. La même mosaïque recouvrait les murs, disposée en panneaux : allégories pompéiennes, compositions byzantines, fresque du Moyen Âge. Un Bacchus enfourchait un tonneau. Un empereur couronné d’or, à barbe fleurie, tenait un glaive dans sa main droite.

      Tout en haut, un peu à la façon d’un atelier, se découpait l’unique et vaste fenêtre. Cette fenêtre étant toujours ouverte la nuit, il était probable que les hommes avaient passé par là, à l’aide d’une échelle. Mais, ici encore, aucune certitude. Les montants de l’échelle eussent dû laisser des traces sur le sol battu de la cour : il n’y en avait point. L’herbe du terrain vague qui entourait l’hôtel aurait dû être fraîchement foulée : elle ne l’était pas.

      J’avoue que je n’eus point l’idée de m’adresser à la police, tellement les faits qu’il m’eût fallu exposer étaient inconsistants et absurdes. On se fût moqué de moi. Mais le surlendemain, c’était mon jour de chronique au Gil Blas, où j’écrivais alors. Obsédé par mon aventure, je la racontai tout au long.

      L’article ne passa pas inaperçu, mais je vis bien qu’on ne le prenait guère au sérieux, et qu’on le considérait plutôt comme une fantaisie que comme une histoire réelle. Les Saint-Martin me raillèrent. Daspry, cependant, qui ne manquait pas d’une certaine compétence en ces matières, vint me voir, se fit expliquer l’affaire et l’étudia… sans plus de succès d’ailleurs.

      Or, un des matins suivants, le timbre de la grille résonna, et Antoine vint m’avertir qu’un monsieur désirait me parler. Il n’avait pas voulu donner son nom. Je le priai de monter.

      C’était un homme d’une quarantaine d’années, très brun, de visage énergique, et dont les habits propres, mais usés, annonçaient un souci d’élégance qui contrastait avec ses façons plutôt vulgaires.

      Sans préambule, il me dit – d’une voix éraillée, avec des accents qui me confirmèrent la situation sociale de l’individu :

      – Monsieur, en voyage, dans un café, le Gil Blas m’est tombé sous les yeux. J’ai lu votre article. Il m’a intéressé… beaucoup.

      – Je vous remercie.

      – Et je suis revenu.

      – Ah !

      – Oui, pour vous parler. Tous les faits que vous avez racontés sont-ils exacts ?

      – Absolument exacts.

      – Il n’en est pas un seul qui soit de votre invention ?

      – Pas un seul.

      – En ce cas, j’aurais peut-être des renseignements à vous fournir.

      – Je vous écoute.

      – Non.

      – Comment, non ?

      – Avant de parler, il faut que je vérifie s’ils sont justes.

      – Et pour les vérifier ?

      – Il faut que je reste seul dans cette pièce.

      Je le regardai avec surprise.

      – Je ne vois pas très bien…

      – C’est une idée que j’ai eue en lisant votre article. Certains détails établissent une coïncidence vraiment extraordinaire avec une autre aventure que le hasard m’a révélée. Si je me suis trompé, il est préférable que je garde le silence. Et l’unique moyen de le savoir, c’est que je reste seul…

      Qu’y avait-il sous cette proposition ? Plus tard je me suis rappelé qu’en la formulant l’homme avait un air inquiet, une expression de physionomie anxieuse. Mais, sur le moment, bien qu’un peu étonné, je ne trouvai rien de particulièrement anormal à sa demande. Et puis une telle curiosité me stimulait !

      Je répondis :

      – Soit. Combien vous faut-il de temps ?

      – Oh ! Trois minutes, pas davantage. D’ici trois minutes, je vous rejoindrai.

      Je sortis de la pièce. En bas, je tirai ma montre. Une minute s’écoula. Deux minutes… Pourquoi donc me sentais-je oppressé ? Pourquoi ces instants me paraissaient-ils plus solennels que d’autres ?

      Deux minutes et demie… Deux minutes trois quarts… Et soudain un coup de feu retentit.

      En quelques enjambées j’escaladai les marches et j’entrai. Un cri d’horreur m’échappa.

      Au milieu de la salle l’homme gisait, immobile, couché sur le côté gauche. Du sang coulait de son crâne, mêlé à des débris de cervelle. Près de son poing un revolver, tout fumant.

      Une convulsion l’agita, et ce fut tout.

      Mais plus encore que ce spectacle effroyable, quelque chose me frappa, quelque chose qui fit que je n’appelai pas au secours tout de suite, et que je ne me jetai point à genoux pour voir si l’homme respirait. À deux pas de lui, par terre, il y avait un sept de cœur !

      Je le ramassai. Les sept extrémités des sept marques rouges étaient percées d’un trou…

      Une demi-heure après, le commissaire de police de Neuilly arrivait, puis le médecin légiste, puis le chef de la Sûreté, M. Dudouis. Je m’étais bien gardé de toucher au cadavre. Rien ne put fausser les premières constatations.

      Elles furent brèves, d’autant plus brèves que tout d’abord on ne découvrit rien, ou peu de chose. Dans les poches du mort, aucun papier, sur ses vêtements aucun nom, sur son linge aucune initiale. Somme toute, pas un indice capable d’établir son identité. Et dans la salle le même ordre qu’auparavant. Les meubles n’avaient pas été dérangés, et les objets avaient gardé leur ancienne position. Pourtant cet homme n’était pas venu chez moi dans l’unique intention de se tuer, et parce qu’il jugeait que mon domicile convenait, mieux que tout autre, à son suicide ! Il fallait qu’un motif l’eût déterminé à cet acte de désespoir, et que ce motif lui-même résultât d’un fait nouveau, constaté par lui au cours des trois minutes qu’il avait passées seul.

      Quel fait ? Qu’avait-il vu ? Qu’avait-il surpris ? Quel secret épouvantable avait-il pénétré ? Aucune supposition n’était permise.

      Mais, au dernier moment, un incident se produisit, qui nous parut d’un intérêt considérable. Comme deux agents se baissaient pour soulever le cadavre et l’emporter sur un brancard, ils s’aperçurent que la main gauche, fermée jusqu’alors et crispée, s’était détendue, et qu’une carte de visite, toute froissée, s’en échappait.

      Cette carte portait : Georges Andermatt, 37, rue de Berri.

      Qu’est-ce que cela signifiait ? Georges Andermatt était un gros banquier de Paris, fondateur et président de ce Comptoir des Métaux qui a donné une telle impulsion aux industries métallurgiques de France. Il menait grand train, possédant mail-coach, automobile, écurie de courses. Ses réunions étaient très suivies et l’on citait Mme Andermatt pour sa grâce et sa beauté.

      – Serait-ce le nom du mort ? murmurai-je.

      Le chef de la Sûreté se pencha :

      – Ce n’est pas lui. M. Andermatt est un homme pâle et un peu grisonnant.

      – Mais alors pourquoi cette carte ?

      – Vous avez le téléphone, monsieur ?

      – Oui, dans le vestibule. Si vous voulez bien m’accompagner.

      Il chercha dans l’annuaire et demanda le 415-21.

      – M. Andermatt est-il chez lui ? Veuillez lui dire que M. Dudouis le prie de venir en toute hâte au 102 du boulevard Maillot. C’est urgent.

      Vingt minutes plus tard, M. Andermatt descendait de son automobile. On lui exposa les raisons


Скачать книгу