Arsène Lupin contre Herlock Sholmès: Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

Arsène Lupin contre Herlock Sholmès: Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан


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de terre, marbré de petites plaques rouges, et encadré d’une barbe inégale et rare. La prison l’avait considérablement vieilli et flétri. On ne reconnaissait plus la silhouette élégante et le jeune visage dont les journaux avaient si souvent publié le portrait sympathique.

      On eût dit qu’il n’avait pas entendu la question qu’on lui posait. Deux fois elle lui fut répétée. Alors il leva les yeux, parut réfléchir, puis, faisant un effort violent, murmura :

      – Baudru, Désiré.

      Le président se mit à rire.

      – Je ne me rends pas un compte exact du système de défense que vous avez adopté, Arsène Lupin. Si c’est de jouer les imbéciles et les irresponsables, libre à vous. Quant à moi, j’irai droit au but sans me soucier de vos fantaisies.

      Et il entra dans le détail des vols, escroqueries et faux reprochés à Lupin. Parfois il interrogeait l’accusé. Celui-ci poussait un grognement ou ne répondait pas.

      Le défilé des témoins commença. Il y eut plusieurs dépositions insignifiantes, d’autres plus sérieuses, qui toutes avaient ce caractère commun de se contredire les unes les autres. Une obscurité troublante enveloppait les débats, mais l’inspecteur principal Ganimard fut introduit, et l’intérêt se réveilla.

      Dès le début, toutefois, le vieux policier causa une certaine déception. Il avait l’air, non pas intimidé – il en avait vu bien d’autres – mais inquiet, mal à l’aise. Plusieurs fois, il tourna les yeux vers l’accusé avec une gêne visible. Cependant, les deux mains appuyées à la barre, il racontait les incidents auxquels il avait été mêlé, sa poursuite à travers l’Europe, son arrivée en Amérique. Et on l’écoutait avec avidité, comme on écouterait le récit des plus passionnantes aventures. Mais, vers la fin, ayant fait allusion à ses entretiens avec Arsène Lupin, à deux reprises il s’arrêta, distrait, indécis.

      Il était clair qu’une autre pensée l’obsédait. Le président lui dit :

      – Si vous êtes souffrant, il vaudrait mieux interrompre votre témoignage.

      – Non, non, seulement…

      Il se tut, regarda l’accusé longuement, profondément, puis il dit :

      – Je demande l’autorisation d’examiner l’accusé de plus près, il y a là un mystère qu’il faut que j’éclaircisse.

      Il s’approcha, le considéra plus longuement encore, de toute son attention concentrée, puis il retourna à la barre. Et là, d’un ton un peu solennel, il prononça :

      – Monsieur le Président, j’affirme que l’homme qui est ici, en face de moi, n’est pas Arsène Lupin.

      Un grand silence accueillit ces paroles. Le président, interloqué, d’abord, s’écria :

      – Ah ça, que dites-vous ! Vous êtes fou !

      L’inspecteur affirma posément :

      – À première vue, on peut se laisser prendre à une ressemblance, qui existe, en effet, je l’avoue, mais il suffit d’une seconde d’attention. Le nez, la bouche, les cheveux, la couleur de la peau… enfin, quoi : ce n’est pas Arsène Lupin. Et les yeux donc ! A-t-il jamais eu ces yeux d’alcoolique ?

      – Voyons, voyons, expliquez-vous. Que prétendez-vous, témoin ?

      – Est-ce que je sais ! Il aura mis en son lieu et place un pauvre diable que l’on allait condamner. À moins que ce ne soit un complice.

      Des cris, des rires, des exclamations partaient de tous côtés, dans la salle qu’agitait ce coup de théâtre inattendu. Le président fit mander le juge d’instruction, le directeur de la Santé, les gardiens, et suspendit l’audience.

      À la reprise, M. Bouvier et le directeur, mis en présence de l’accusé, déclarèrent qu’il n’y avait entre Arsène Lupin et cet homme qu’une très vague similitude de traits.

      – Mais alors, s’écria le président, quel est cet homme ? D’où vient-il ? Comment se trouve-t-il entre les mains de la justice ?

      On introduisit les deux gardiens de la Santé. Contradiction stupéfiante, ils reconnurent le détenu dont ils avaient la surveillance à tour de rôle !

      Le président respira.

      Mais l’un des gardiens reprit :

      – Oui, oui, je crois bien que c’est lui.

      – Comment, vous croyez ?

      – Dame ! Je l’ai à peine vu. On me l’a livré le soir, et, depuis deux mois, il reste toujours couché contre le mur.

      – Mais avant ces deux mois ?

      – Ah ! Avant, il n’occupait pas la cellule 24.

      Le directeur de la prison précisa ce point :

      – Nous avons changé le détenu de cellule après sa tentative d’évasion.

      – Mais vous, monsieur le directeur, vous l’avez vu depuis deux mois ?

      – Je n’ai pas eu l’occasion de le voir… il se tenait tranquille.

      – Et cet homme-là n’est pas le détenu qui vous a été remis ?

      – Non.

      – Alors, qui est-il ?

      – Je ne saurais dire.

      – Nous sommes donc en présence d’une substitution qui se serait effectuée il y a deux mois. Comment l’expliquez-vous ?

      – C’est impossible.

      – Alors ?

      En désespoir de cause, le président se tourna vers l’accusé, et, d’une voix engageante :

      – Voyons, accusé, pourriez-vous m’expliquer comment et depuis quand vous êtes entre les mains de la justice.

      On eût dit que ce ton bienveillant désarmait la méfiance ou stimulait l’entendement de l’homme. Il essaya de répondre. Enfin, habilement et doucement interrogé, il réussit à rassembler quelques phrases, d’où il ressortait ceci : deux mois auparavant, il avait été amené au Dépôt. Il y avait passé une nuit et une matinée. Possesseur d’une somme de soixante-quinze centimes, il avait été relâché. Mais, comme il traversait la cour, deux gardes le prenaient par le bras et le conduisaient jusqu’à la voiture pénitentiaire. Depuis, il vivait dans la cellule 24, pas malheureux… on y mange bien… on y dort pas mal… Aussi n’avait-il pas protesté…

      Tout cela paraissait vraisemblable. Au milieu des rires et d’une grande effervescence, le président renvoya l’affaire à une autre session pour supplément d’enquête.

      L’enquête, tout de suite, établit ce fait consigné sur le registre d’écrou : huit semaines auparavant, un nommé Baudru Désiré avait couché au Dépôt. Libéré le lendemain, il quittait le Dépôt à deux heures de l’après-midi. Or, ce jour-là, à deux heures, interrogé pour la dernière fois, Arsène Lupin sortait de l’instruction et repartait en voiture pénitentiaire.

      Les gardiens avaient-ils commis une erreur ? Trompés par la ressemblance, avaient-ils eux-mêmes, dans une minute d’inattention, substitué cet homme à leur prisonnier ? Il eût fallut vraiment qu’ils y missent une complaisance que leurs états de service ne permettaient pas de supposer.

      La substitution était-elle combinée d’avance ? Outre que la disposition des lieux rendait la chose presque irréalisable, il eût été nécessaire en ce cas que Baudru fût un complice et qu’il se fût fait arrêter dans le but précis de prendre la place d’Arsène Lupin. Mais alors, par quel miracle un tel plan, uniquement fondé sur une série de chances invraisemblables, de rencontres fortuites et d’erreurs fabuleuses, avait-il pu réussir ?

      On fit passer Désiré Baudru au service anthropométrique


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