Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes. Louis Nigon De Berty
par la promesse d’une récompense .
Qui pourrait dire tous les attentats à la liberté individuelle dont les dénonciations furent la cause! Cremutius Cordus , Helvidius, Thraséas en périrent victimes. De nouveaux délits, de nouveaux supplices furent découverts; l’accusation du crime de lèse – majesté se multiplia à l’infini; c’était, dit Pline, le crime de ceux auxquels on n’en pouvait reprocher d’autre; attendu la gravité de cette imputation, on appliquait la question même aux citoyens qu’un privilège légal exemptait de ce châtiment provisoire . Plusieurs princes essayèrent de réprimer le scandale des dénonciations; mais elles s’étaient tellement naturalisées dans les mœurs romaines, que les lois de Galba, de Titus, de Nerva, de Trajan, d’Antonin et de Constantin purent à peine en diminuer le nombre.
La législation romaine, maintenant encore répandue dans tout l’univers et surnommée la raison écrite, demeura stationnaire jusqu’au règne d’Adrien. A cette époque, des hommes distingués se consacrèrent à l’étude du droit; leurs ouvrages obtinrent l’honneur d’être considérés à l’égal des rescrits impériaux; mais quelques - uns de ces jurisconsultes se sont à jamais déshonorés par le honteux emploi de leur science. Ils enseignaient publiquement que l’empereur était supérieur aux lois, que son autorité s’étendait sur la vie et sur la fortune des citoyens, et qu’il pouvait disposer de l’état comme de son patrimoine.
Ces maximes despotiques furent également mises en pratique par les empereurs chrétiens, car le climat de Constantinople n’a jamais été favorable à la liberté ; toutefois la législation civile et criminelle éprouva quelques heureuses améliorations . Une des plus importantes, c’est la modification de la loi des douze Tables si cruelle sur l’exécution de la contrainte par corps.
Déjà il n’était plus permis d’arracher violemment un débiteur de son domicile pour le conduire devant le magistrat . Un officier, nommé appariteur, lui notifiait un libelle ou assignation pour comparaître devant le tribunal. Déjà les débiteurs avaient la faculté d’assurer la liberté de leurs personnes en fesant aux créanciers la cession de leurs biens , lorsque Constantin défendit expressément de les emprisonner. Suivant ce prince, une prison est le séjour des coupables et non celui d’un homme déjà assez malheureux de ne pouvoir acquitter ses dettes . Les biens seuls pouvaient être vendus, même pour les créances privilégiées du fisc. Dans tous les cas, il fut interdit d’enlever pour dettes les femmes de l’intérieur de leurs maisons; le juge, qui se serait permis d’ordonner une semblable arrestation, aurait été sévèrement puni.
Sous la république, les accusés pouvaient, en toutes circonstances, présenter des cautions et éviter ainsi les angoisses de la détention préalable. Sous les empereurs, il appartenait au proconsul de décider s’ils devaient demeurer libres, ou être mis en prison, ou placés sous la surveillance d’un soldat, ou confiés à leurs cautions . Accorder une telle latitude à ce haut fonctionnaire, c’était remettre à sa discrétion la liberté des citoyens. Antonin restreignit ce droit si arbitraire; il défendit par un rescrit de retenir en prison l’accusé qui offrait des cautions ou répondans, à moins qu’on ne lui imputât un grave attentat contre la société ; s’il avouait son crime, il était privé du bénéfice de la caution et incarcéré ; loi impolitique qui punissait l’aveu, signe ordinaire du repentir!
Du reste, les autres lois criminelles sont généralement empreintes d’un caractère touchant de bienveillance pour les accusés; partout il est recommandé d’abréger, autant que possible, le tems si pénible de la détention provisoire. Constantin prescrivit les plus sages mesures pour entretenir la salubrité des prisons. Les inculpés, avant leur jugement, conservaient dans les lieux, où l’on les déposait, la vue du soleil et la jouissance d’un air pur . Etait - il nécessaire de leur mettre des chaînes? elles devaient être attachées de manière à ne leur causer aucune souffrance. Enfin, et ce fut là le moyen le plus efficace de protéger leurs personnes, un sevère châtiment menaçait le geolier qui les aurait maltraités.
Constantin voulut dignement célébrer le retour de l’impératrice Hélène sa mère, et de Crispus son fils; au milieu de la fête brillante qu’il donna dans ce but, il fit ouvrir les prisons . Jaloux de suivre un si noble exemple, Théodose ordonna de rendre chaque année, au jour de Pâques, la liberté à tous les détenus, excepté à ceux que d’odieux forfaits signaleraient comme indignes de cette faveur.
Suivant la novelle 134, les femmes, prévenues d’un grand crime, n’étaient point exposées aux dangers d’une prison; on les renfermait dans un monastère, ou bien on les confiait à la garde d’autres femmes.
Aucun accusé ne pouvait être condamné après un premier interrogatoire; on craignait que les juges ne se laissassent quelquefois entraîner à un premier mouvement d’indignation; il fallait l’interroger une seconde fois pour donner au magistrat le tems de se calmer, et à l’accusé les moyens de se défendre. Dès que le jugement avait été prononcé, les condamnés exécutaient leur peine sans se voir jamais chargés de fers, car l’emprisonnement, d’après la loi romaine , a lieu pour contenir les hommes et non pour les punir.
Quant aux lois pénales, loin d’être mitigées, leur rigueur fut remarquable, même sous les empereurs chrétiens; ainsi Constantin décerna la peine de mort contre l’adultère et le rapt. Qui pourrait se rappeler sans indignation l’atroce cruauté des supplices inventés par les princes payens pour faire couler le sang si fécond des martyrs!
Durant cette troisième période de l’histoire romaine, l’état des personnes s’améliora; il ne fut plus permis aux pères d’ôter à leurs enfans la vie qu’ils leur avaient donnée ; seulement sur la plainte des pères, les magistrats infligèrent la peine que ceux-ci indiquaient. Les femmes sortirent peu à peu de cette position dépendante où les lois jusqu’alors les avaient maintenues. Les enfans portèrent à leurs mères le respect qui leur est dû à tant de titres. Ici rendons au christianisme un hommage de reconnaissance! En enseignant le premier l’égalité parmi les hommes, il contribua puissamment à adoucir le sort des esclaves. Le maître, qui les tuait, était lui-même puni de mort; s’il se livrait sur eux à de mauvais traitemens, il pouvait être obligé de les vendre à un prix raisonnable; toutefois les esclaves restèrent soumis aux tortures de la question. Constantin rendit la liberté à ceux qui en avaient été induement privés, facilita aux autres les moyens de la recouvrer, et autorisa l’affranchissement dans les églises, sur la simple attestation d’un évêque.
Dans les premiers tems de la république, un esclave, pour s’élever à la dignité de citoyen, devait être affranchi par un mode solennel, c’est-à-dire, obtenir le consentements imultané de la cité et de son maître à son indépendance; cependant, en fait, et dans l’usage, les maîtres les affranchissaient souvent par des actes privés en les fesant asseoir à leur table, en déclarant devant des amis leur intention (per convivia et inter amicos). Alors, sans être entièrement libres, ces esclaves vivaient néanmoins en liberté ( in libertate morabantur). Si le maître, se repentant de son bienfait, demandait plus tard la nullité de l’affranchissement auquel la cité n’avait pas consenti, le préteur s’y opposait, et l’esclave devait à son utile médiation de ne point retomber dans les liens de la servitude.
En 772, sous le règne de Tibère, cette classe particulière d’affranchis fut régulièrement organisée par la loi Julia norbana; ils portèrent le nom de Latini Juliani. Complètement libres relativement au maître qui leur avait restitué leur indépendance, ils n’étaient pas cependant considérés comme citoyens, parce que l’Etat n’avait point sanctionné leur affranchissement; ils ne possédaient que les droits des Latins, c’est-à-dire, des peuples du Latium auxquels on n’avait point accordé tous les privilèges du citoyen romain. Cette distinction entre les affranchis citoyens et les affranchis latins fut définitivement supprimée sous Justinien.
Peu d’années avant le règne de Constantin, il s’établit une classe intermédiaire entre les esclaves et les affranchis, celle des agricoles ou colons; on les divisait en deux sections différentes: les uns s’appelaient censiti adscriptii, ou tributarii.