Histoire de la musique. Henri Lavoix
de 338 à 50 av. J.-C., est moins riche en artistes producteurs; mais nous y trouvons d'habiles théoriciens, qui, avec les philosophes, nous instruisent encore aujourd'hui sur l'état de l'art antique. On connaît de reste Pythagore, Platon, Aristote; mais, pour être moins universellement célèbres, les théoriciens comme Aristoxène, Euclide, etc., n'en ont pas été moins utiles. Plus tard, à l'époque romaine, la Grèce nous donnait encore dans la science musicale Alypius, Bacchius le vieux, Aristide Quintilien, Claude Ptolémée, etc.
Nous avons résumé aussi rapidement que possible l'histoire de la musique grecque, telle que nous l'ont apprise les monuments figurés, les auteurs anciens et les commentateurs modernes; mais, pour finir comme nous avons commencé, nous devons avouer en toute franchise qu'en dépit des textes les plus étendus et des hypothèses les plus ingénieuses, tant que l'on n'aura pas retrouvé quelque œuvre entière de musique antique de la bonne époque, bien authentique, bien claire et bien interprétée, nous ne saurons rien, ou du moins nous saurons peu de chose sur le véritable art musical grec.
Ambros. Geschichte der Musik, t. Ier.
Croiset (Alfred). La poésie de Pindare et les lois du lyrisme grec, in-8o, 1880.
Fétis. Histoire de la musique, t. II.
Gevaert. Histoire et théorie de la musique grecque, 2 vol. grand in-8o, 1875-1881.
Westphal (Rud.). Allgemeine Theorie der Musikalischen Rhythmik, 1880.
Westphal (Rud.). Geschichte der alten Musik. 1865, in-8o.
Ruelle (Ch.-Em.). Collection des auteurs grecs relatifs à la musique. Traduction française: 1o Aristoxène; 2o Nicomaque de Gérase; 3o Cléonide et Euclide; 4o Aristote, problèmes musicaux; 5o Alypius, Gaudence, Bacchius l'ancien, 1870-1895.
Reinach (Théod.) et Weil (H.). Inscriptions de Delphes (Bulletin de correspondance hellénique, 1894-1895).
Tiersot (J.). Musique antique. Les Nouvelles Découvertes de Delphes (Ménestrel, 1896).
Bourgault-Ducoudray. Étude sur la musique ecclésiastique grecque, in-4o, 1877.
Montargis. De Platone musico, in-8o, 1886.
CHAPITRE III
ROME ET LES PREMIERS CHANTS DE L'ÉGLISE
La musique romaine: les sacrifices, la flûte, la trompette.—Théâtres: la musique dans les comédies de Térence, les troupes dionysiaques; pantomimes et ballets, concerts publics et privés.—Dilettantes: les amateurs, les empereurs, Néron.—Artistes: chanteurs, virtuoses et théoriciens.—L'orgue.—Musique chrétienne: ses origines, saint Ambroise, saint Grégoire.—Le plain-chant: l'antiphonaire, la notation dite grégorienne, fin de l'antiquité.
Si nous n'avions à parler que des Romains, quelques lignes, ajoutées à l'histoire de la musique des Grecs, suffiraient et au delà. Ce peuple de conquérants aima les arts, mais en dilettante plutôt qu'en artiste, je dirai presque en parvenu, fier de pouvoir tout acheter. La musique, chez eux, fut comme l'épilogue de la musique grecque, en décadence, piteux et triste dénouement d'une histoire qui avait eu ses siècles glorieux. Mais si les Romains dominent le monde antique, ils assistent à la naissance du monde nouveau; parler des Romains n'est pas raconter la musique d'un peuple, médiocrement artiste en somme, c'est expliquer les origines mêmes de notre art musical.
FIG. 20.—MUSIQUE DANS LES SACRIFICES.
(Tombeau étrusque.)
Placés entre les Étrusques, ce rameau puissant et vivace de la civilisation asiatique, et les Grecs d'Italie, les plus raffinés peut-être de tous les Hellènes, les Romains empruntèrent d'abord leur musique aux premiers, tant qu'ils furent pauvres; ils l'achetèrent aux seconds, quand ils se sentirent riches.
C'est dans les cérémonies religieuses que la musique fait sa première apparition à Rome. Les prêtres des cultes les plus anciens de ce peuple de laboureurs et de soldats, les Arvales et les Saliens, pontifièrent au son de la flûte et de la double flûte. Les premiers célébraient des sacrifices où l'on entendait résonner ces instruments; les seconds frappaient en dansant sur leurs boucliers et la flûte scandait leur chanson guerrière. Si, pour obéir à la loi des Douze tables, on fait en public l'éloge des hommes illustres, c'est la flûte qui accompagne les chants traditionnels; que les femmes et les jeunes filles pleurent un mort regretté, les flûtes, petites et grandes, gémissent au milieu de leurs naenies funèbres et lamentables. Tous les engins sonores de la Grèce, de l'Asie, de l'Afrique, et même des pays barbares feront invasion dans la ville immense à diverses époques; mais toujours la flûte restera, avec la trompette, l'instrument essentiellement romain.
Introduite en Italie par les Lydiens, dit-on, la trompette devint l'instrument de guerre des Romains. Elle s'appelait, suivant sa grandeur ou son emploi, lituus, buccina, tuba ou cornu. On connaît les grandes trompettes romaines: les unes sont droites, les autres courbées, au pavillon béant, représentant la gueule d'un horrifique dragon, lourdes et portées sur l'épaule; ce sont les trompettes des triomphes, instruments bien nationaux de ce peuple de soldats (fig. 21).
FIG. 21.—TROMPETTES ROMAINES, D'APRÈS LES ORIGINAUX DU MUSÉE DE NAPLES.
(Collection Mahillon.)
La trompette fut, avec la flûte, un instrument sacré et il exista de bonne heure à Rome deux collèges, ou congrégations, celui des joueurs de flûtes (tibicines) et celui des joueurs de trompettes (cornicines). Les membres du collège des joueurs de flûte avaient seuls le droit de donner concert en public. Ce droit, ils l'avaient conquis de singulière façon. En l'an 442 de Rome, les flûtistes, indignés de n'avoir pas la permission de manger dans le temple de Jupiter, se retirèrent à Gabies. Eux partis, que faire? plus de sacrifices possibles, plus de fêtes; plus de joyeux festins sans les tibicines et leurs instruments. Des ambassadeurs allèrent à Gabies; les pourparlers n'aboutissant pas, ces ambassadeurs usèrent de ruse: ils enivrèrent les pauvres flûtistes et, dans cet état, les rapportèrent à Rome dans un tombereau; non seulement on leur accorda ce qu'ils demandaient, non seulement on leur donna place dans le temple, mais ils obtinrent le privilège d'être les seuls à jouer de par la ville.
De la constitution de la musique romaine nous n'avons rien à dire; elle est la même que celle des Grecs, avec ses tons, ses modes, mais peut-être moins de variété dans le rythme. Au théâtre, elle ne prit pas le développement qu'elle avait dans la tragédie et dans la comédie grecques; cependant, sans être aussi artistique, l'emploi que les Romains firent de la musique sur la scène mérite d'être signalé.
Quelques annotations curieuses sur les comédies de Térence nous sont restées, qui nous apprennent, et le genre des instruments employés dans les représentations comiques et aussi le nom du compositeur qui écrivait la musique des comédies de Térence. Le sens de ces quelques notes n'est pas toujours des plus clairs; cependant, si torturées qu'elles aient été par les commentateurs, dont le premier fut Donat, grammairien du IVe siècle, elles sont curieuses. Voici les inscriptions de ces comédies:
«Andrienne. Flaccus, fils de Claudius, a composé les modes pour flûtes égales, droites et gauches.
«L'Eunuque. Flaccus, fils de Claudius, a composé les modes pour deux flûtes de la droite.