Mathématiques et Mathématiciens: Pensées et Curiosités. Alphonse Rebière
l'ancre et le vaisseau vogue vers l'ouest avec une vitesse égale à celle du capitaine qui marche vers l'est. Dans quelle direction se meut à présent le capitaine, quand il va de l'avant à l'arrière de son navire? Nous ne pouvons plus dire: l'est, comme tout à l'heure, puisque tandis qu'il va vers l'est, le vaisseau l'emporte vers l'ouest; et réciproquement nous ne pouvons pas dire: l'ouest. Par rapport à l'espace ambiant il ne bouge pas, quoiqu'il paraisse se mouvoir pour tout ce qui est à bord. Mais sommes-nous tout à fait sûrs de cette conclusion? Le capitaine est-il réellement toujours au même point? Quand nous tenons compte du mouvement de la terre autour de son axe nous voyons que loin d'être stationnaire, le capitaine voyage vers l'est à raison de 1000 milles par heure; de sorte que la perception de celui qui le regarde, pas plus que celle de celui qui tient compte du mouvement du vaisseau, ne se rapproche de la vérité. De plus, un examen plus attentif nous fera voir que cette conclusion corrigée ne vaut pas mieux que les autres. En effet, nous avons oublié le mouvement de la terre dans son orbite. Comme il est de 68000 milles par heure, il s'en suit qu'en supposant qu'il soit midi, le capitaine se meut non pas à raison de 1000 milles à l'heure vers l'est, mais à raison de 67000 milles vers l'ouest. Et pourtant nous n'avons pas encore trouvé le vrai sens et la vraie vitesse de son mouvement. Au mouvement de la terre dans son orbite il faut joindre celui du système solaire tout entier vers la constellation d'Hercule, et si nous le faisons, nous voyons que le capitaine ne va ni vers l'est ni vers l'ouest, mais qu'il suit une ligne inclinée sur le plan de l'écliptique, et qu'il va avec une vitesse plus grande ou moindre (suivant l'époque de l'année) que celle que nous avons donnée. À cela, il faut encore ajouter que si les arrangements dynamiques de notre système sidéral nous étaient complètement connus, nous découvririons probablement que la direction et la vitesse du mouvement réel diffèrent encore considérablement des résultats obtenus.
Herbert Spencer.
Nous n'observons que des mouvements relatifs. Lorsque nous croyons marcher en ligne droite dans notre chambre, notre trajectoire dans l'espace est en réalité une ligne courbe compliquée. En effet, la terre se déplace rapidement dans l'espace, en emportant nos maisons.
Si on est fortement penché d'un côté, le corps se porte de l'autre pour faire le contrepoids, et se balance lui-même en diverses manières, pour prévenir une chute, ou pour la rendre moins incommode. Par la même raison, si l'on porte un grand poids d'un des côtés, on se sert de l'autre à contre-peser. Une femme qui porte un seau d'eau pendu à la droite étend le bras gauche et se penche de ce côté-là. Celui qui porte sur le dos se penche en avant; et, au contraire, quand on porte sur la tête, le corps se tient naturellement droit. Enfin, il ne manque jamais de se situer de la manière la plus convenable pour se soutenir; en sorte que les parties ont toujours un même centre de gravité, qu'on prend au juste, comme si l'on savait la Mécanique.
Bossuet.
Je me suis proposé de réduire la théorie de cette Science (la Mécanique), et l'art de résoudre les problèmes qui s'y rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les équations nécessaires pour la solution de chaque problème.
On ne trouve point de figure dans cet Ouvrage (Mécanique analytique). Les méthodes que j'y expose ne demandent ni constructions, ni raisonnements géométriques ou mécaniques, mais seulement des opérations algébriques, assujetties à une marche régulière et uniforme. Ceux qui aiment l'Analyse verront avec plaisir la Mécanique en devenir une nouvelle branche, et me sauront gré d'en avoir étendu ainsi le domaine.
Lagrange.
Dans la mécanique, le calcul différentiel est le passage de l'effet à la cause, de l'espace parcouru dans un temps donné à la vitesse acquise et de cette vitesse à la force accélératrice. Inversement, le calcul intégral est le passage de la cause à l'effet, de la force à la vitesse qu'elle produit, et de cette vitesse à l'espace parcouru en vertu de cette vitesse elle-même.
E. Jacquier.
ASTRONOMIE
J'ai pensé, puisque d'autres avant moi ont osé imaginer une foule de cercles pour démontrer les phénomènes astronomiques, que je pourrais me permettre aussi d'essayer si, en supposant la Terre immobile, on ne parviendrait pas à trouver, sur la révolution des corps célestes, des démonstrations plus solides que celles qui ont été mises en avant. Après de longues recherches, je me suis enfin convaincu: que le Soleil est une étoile fixe, entourée de planètes qui tournent autour d'elle, et dont elle est le centre et le flambeau; qu'outre les planètes principales, il en est d'autres de second ordre, qui circulent d'abord comme satellites autour de leurs planètes principales, et avec celles-ci autour du Soleil; que la Terre est une planète principale, assujettie à un triple mouvement; et que tous les phénomènes du mouvement diurne et annuel, le retour périodique des saisons, toutes les vicissitudes de la lumière et de la chaleur de l'atmosphère qui les accompagnent sont des résultats de la rotation de la Terre autour de son axe et de son mouvement périodique autour du Soleil.
Copernic.
Quand Newton mit au jour cette grande pensée (l'attraction universelle) appuyée sur une géométrie neuve et sublime, l'astronomie changea de face, et les cieux parurent raconter pour la première fois la gloire de leur Auteur: cependant, la théorie n'avait pas rempli toute sa tâche, il s'en fallait bien; des phénomènes importants lui échappaient; d'étonnantes exceptions, des désordres inexplicables la troublaient; la loi mal assurée semblait quelquefois se déconcerter et se contredire. Un siècle s'était écoulé depuis la publication des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, et, dans ce siècle, plusieurs générations de grands géomètres, d'observateurs infatigables, avaient réuni leurs efforts gigantesques contre les difficultés, et ils n'avaient pu les vaincre toutes. Il y avait encore, il n'y a pas trente ans, des scandales dans le ciel; il y avait des planètes réfractaires aux tables des astronomes. Bien plus, en promulguant la loi de gravitation, Newton avait douté qu'elle fût capable de porter ce poids du monde qu'il lui imposait; il avait pensé qu'elle vieillirait comme les lois humaines, et qu'un jour viendrait, il l'a écrit, où il faudrait que la main du Créateur s'étendît pour remettre les choses en place.
Newton se trompait, Messieurs. Non, pour remettre le système en ordre, il ne sera pas besoin de la main du Créateur; il suffira d'un autre Newton. M. Laplace est venu, et, par ses immenses travaux, par la puissance et les ressources de son génie, l'astronomie réduite à un problème de mécanique, ne découvre plus dans les cieux que l'accomplissement mathématique de lois invariables. Jupiter et ses satellites, Saturne, la Lune sont domptés dans leurs écarts; ce qui paraissait exception est la règle même; ce qui semblait désordre est un ordre plus savant; partout la simplicité de la cause triomphe dans la complication infinie des effets. Enfin, et c'est le comble de la gloire de M. Laplace, il lui a été réservé d'absoudre la loi de l'univers, c'est-à-dire la sagesse divine, de ces reproches d'imprévoyance ou d'impuissance où le génie de Newton était tombé; le premier, il a démontré que le système solaire reçoit, dans les conditions qui lui sont imposées, le gage de son imperturbable durée.
Royer-Collard.
L'astronomie, considérée de la manière la plus générale, est un grand problème de mécanique...; sa solution dépend à la fois de l'exactitude des observations et de la perfection de l'analyse,