Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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ajouta la femme de chambre, belle parleuse, il m’a dit à moi-même, parlant à ma personne:

      «—Dire que monsieur le comte a dans son secrétaire de quoi faire notre fortune à tous!

      —Quelle espèce d’homme est-ce?

      Cette question éteignit absolument la loquacité des domestiques. Aucun n’osait parler, sentant bien que le moindre mot pouvait servir de base à une accusation terrible.

      Mais le palefrenier de la maison d’en face qui brûlait de se mêler à cette affaire, n’eut point ces scrupules.

      —C’est, répondit-il, un bon garçon, Guespin, et qui a roulé. Dieu de Dieu! en sait-il de ces histoires! Il connaît tout, cet homme-là, il paraît qu’il a été riche dans le temps, et s’il voulait... Mais, dame! il aime le travail tout fait, et avec ça c’est un noceur comme il n’y en a pas, un creveur de billards, quoi!

      Tout en écoutant d’une oreille, en apparence distraite, ces dépositions, ou, pour parler plus juste, ces cancans, le père Plantat examinait soigneusement et le mur et la grille. Il se retourna à point nommé pour interrompre le palefrenier.

      —En voilà bien assez, dit-il, au grand scandale de M. Courtois. Avant de poursuivre cet interrogatoire, il est bon de constater le crime, si crime il y a, toutefois, ce qui n’est pas prouvé. Que celui de vous qui a une clé ouvre la grille.

      Le valet de chambre avait la clé, il ouvrit, et tout le monde pénétra dans la petite cour. Les gendarmes venaient d’arriver. Le maire dit au brigadier de le suivre, et plaça deux hommes à la grille, avec défense de laisser entrer ou sortir personne sans sa permission.

      Alors seulement le valet de chambre ouvrit la porte de la maison.

       Table des matières

      S’il n’y avait pas eu de crime, au moins s’était-il passé quelque chose de bien extraordinaire chez le comte de Trémorel; l’impassible juge de paix dut en être convaincu dès ses premiers pas dans le vestibule.

      La porte vitrée donnant sur le jardin était toute grande ouverte, et trois des carreaux étaient brisés en mille pièces.

      Le chemin de toile cirée qui reliait toutes les portes avait été arraché, et sur les dalles de marbre blanc, çà et là, on apercevait de larges gouttes de sang. Au pied de l’escalier était une tache plus grande que les autres, et sur la dernière marche une éclaboussure hideuse à voir.

      Peu fait pour de tels spectacles, pour une mission comme celle qu’il avait à remplir, l’honnête M. Courtois se sentait défaillir. Par bonheur, il puisait dans le sentiment de son importance et de sa dignité une énergie bien éloignée de son caractère. Plus l’instruction préliminaire de cette affaire lui paraissait difficile, plus il tenait à bien la mener.

      —Conduisez-nous à l’endroit où vous avez aperçu le corps, dit-il aux Bertaud.

      Mais le père Plantat intervint.

      —Il serait, je crois, plus sage, objecta-t-il, et plus logique de commencer par visiter la maison.

      —Soit, oui, en effet, c’est ce que je pensais, dit le maire, s’accrochant au conseil du juge de paix, comme un homme qui se noie s’accroche à une planche.

      Et il fit retirer tout le monde, à l’exception du brigadier et du valet de chambre destiné à servir de guide.

      —Gendarmes, cria-t-il encore, aux hommes en faction devant la grille, veillez à ce que personne ne s’éloigne, empêchez d’entrer dans la maison, et que nul surtout ne pénètre dans le jardin.

      On monta alors.

      Tout le long de l’escalier les taches de sang se répétaient. Il y avait aussi du sang sur la rampe, et M. Courtois s’aperçut avec horreur qu’il s’y était rougi les mains.

      Lorsqu’on fut arrivé au palier du premier étage:

      —Dites-moi, mon ami, demanda le maire au valet de chambre, vos maîtres faisaient-ils chambre commune?

      —Oui, monsieur, répondit le domestique.

      —Et, où est leur chambre?

      —Là, monsieur.

      Et en même temps qu’il répondait, le valet de chambre reculait effrayé, et montrait une porte dont le panneau supérieur portait l’empreinte d’une main ensanglantée.

      Des gouttelettes de sueur perlaient sur le front du pauvre maire; lui aussi, il avait peur, à grand-peine il pouvait se tenir debout! Hélas! le pouvoir impose de terribles obligations. Le brigadier, un vieux soldat de Crimée, visiblement ému, hésitait.

      Seul, le père Plantat, tranquille comme dans son jardin, gardait son sang-froid et regardait les autres en dessous.

      —Il faut pourtant se décider, prononça-t-il.

      Il entra, les autres le suivirent.

      La pièce où on pénétra n’offrait rien de bien insolite. C’était un boudoir tendu de satin bleu, garni d’un divan et de quatre fauteuils capitonnés en étoffe pareille à la tenture. Un des fauteuils était renversé.

      On passa dans la chambre à coucher.

      Effroyable était le désordre de cette pièce. Il n’était pas un meuble, pas un bibelot, qui n’attestât qu’une lutte terrible, enragée, sans merci, avait eu lieu entre les assassins et les victimes.

      Au milieu de la chambre, une petite table de laque était renversée, et tout autour s’éparpillaient des morceaux de sucre, des cuillères de vermeil, des débris de porcelaine.

      —Ah! dit le valet de chambre, Monsieur et Madame prenaient le thé lorsque les misérables sont entrés!

      La garniture de la cheminée avait été jetée à terre; la pendule, en tombant, s’était arrêtée sur trois heures vingt minutes. Près de la pendule, gisaient les lampes; les globes étaient en morceaux, l’huile s’était répandue.

      Le ciel de lit avait été arraché et couvrait le lit. On avait dû s’accrocher désespérément aux draperies. Tous les meubles étaient renversés. L’étoffe des fauteuils était hachée de coups de couteau et par endroits le crin sortait. On avait enfoncé le secrétaire, la tablette disloquée pendait aux charnières, les tiroirs étaient ouverts et vides. La glace de l’armoire, en pièces; en pièces un ravissant chiffonnier de Boule; la table à ouvrage, brisée; la toilette, bouleversée.

      Et partout du sang, sur le tapis, le long de la tapisserie, aux meubles, aux rideaux, aux rideaux du lit surtout.

      Évidemment le comte et la comtesse de Trémorel s’étaient défendus courageusement et longtemps.

      —Les malheureux! balbutiait le pauvre maire, les malheureux! C’est ici qu’ils ont été massacrés.

      Et au souvenir de son amitié pour le comte, oubliant son importance, jetant son masque d’homme impassible, il pleura.

      Tout le monde perdait un peu la tête. Mais pendant ce temps, le juge de paix se livrait à une minutieuse perquisition, il prenait des notes sur son carnet, il visitait les moindres recoins.

      Lorsqu’il eut terminé:

      —Maintenant, dit-il, voyons ailleurs.

      Ailleurs le désordre était pareil. Une bande de fous furieux ou de malfaiteurs pris de frénésie, avait certainement passé la nuit dans la maison.

      Le cabinet du comte, particulièrement, avait été bouleversé. Les assassins ne s’étaient pas donné la peine de forcer les serrures; ils avaient procédé à coups de hache. Certainement


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