Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde. Voltaire

Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - Voltaire


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dont l'objet est la baze. Ce sont des angles opposez au sommet: donc par les premieres notions des Elémens de la Géométrie ils sont égaux; donc si l'angle formé dans l'œil A. est double de l'angle formé dans l'œil B., cet objet paraitra une fois plus grand à l'œil A. qu'à l'œil B.

      

      Maintenant pour que l'œil étant en B. voye l'objet aussi grand, que le voit l'œil en A., il faut faire en sorte que cet œil B. reçoive un angle aussi grand que celui de l'œil A. qui est une fois plus près. Les verres d'un télescope feront cet effet.

      Ne mettons ici qu'un seul verre pour plus de facilité, & faisons abstraction des autres effets de plusieurs verres. L'objet H. K. (troisième figure) envoye ses rayons à ce verre. Ils se réunissent à quelque distance du verre. Concevons un verre taillé de sorte, que ces rayons se croisent pour aller former dans l'œil en C. un angle aussi grand que celui de l'œil en A. alors l'œil, nous dit-on, juge par cet angle. Il voit donc alors l'objet de la même grandeur, que le voit l'œil en A. Mais en A. il le voit à cent pas de distance: donc en C. recevant le même angle, il le verra encore à cent pas de distance. Tout l'effet des verres de lunettes multipliez, & des télescopes divers, & des microscopes qui agrandissent les objets, consiste donc à faire voir les choses sous un plus grand angle. L'objet A. B. est vu par le moyen de ce verre sous l'angle D, C, D. qui est bien plus grand que l'angle A, C, B.

      

      Vous demandez encore aux règles d'optique, pourquoi vous voyez les objets dans leur situation, quoiqu'ils se peignent renversez sur notre rétine?

      Le rayon qui part de la tête de cet homme A., vient au point inférieur de votre rétine A. ses pied B. sont vus par les rayons B. B. au point supérieur de votre rétine B. Ainsi cet homme est peint réellement la tête en bas & les pieds en haut au fond de vos yeux. Pourquoi donc ne voyez-vous pas cet homme renversé, mais droit, & tel qu'il est?

      

      Pour résoudre cette question, on se sert de la comparaison de l'aveugle, qui tient dans ses mains deux bâtons croisez avec lesquels il devine très-bien la position des objets.

      

      Car le point A., qui est à gauche, étant senti par la main droite à l'aide du bâton, il le juge aussi-tôt à gauche; & le point B. que sa main gauche a senti par l'entremise de l'autre bâton, il le juge à droite sans se tromper.

      Tous les Maîtres d'optique nous disent donc, que la partie inférieure de l'œil rapporte tout d'un coup sa sensation à la partie supérieure A. de l'objet, & que la partie supérieure de la rétine rapporte aussi naturellement la sensation à la partie inférieure B.; ainsi on voit l'objet dans sa situation véritable.

      Nul rapport immédiat entre les règles d'optique & nos sensations.

      Quand vous aurez connu parfaitement tous ces angles, & toutes ces lignes Mathématiques, par lesquelles on suit le chemin de la lumiere jusqu'au fond de l'œil, ne croyez pas pour cela savoir comment vous appercevez les grandeurs, les distances, les situations des choses. Les proportions géométriques de ces angles & de ces lignes sont justes, il est vrai; mais il n'y a pas plus de rapport entr'elles & nos sensations, qu'entre le son que nous entendons & la grandeur, la distance, la situation de la chose entendue. Par le son, mon oreille est frappée; j'entends des tons & rien de plus. Par la vûe, mon œil est ébranlé; je vois des couleurs & rien de plus. Non-seulement les proportions de ces angles, & de ces lignes, ne peuvent en aucune maniere être la cause immédiate du jugement que je forme des objets; mais en plusieurs cas ces proportions ne s'accordent point du tout avec la façon dont nous voyons les objets.

      Exemple en preuve.

      Par exemple, un homme vu à quatre pas, & à huit pas, est vu de même grandeur. Cependant l'image de cet homme, à quatre pas, est précisément double dans votre œil, de celle qu'il y trace à huit pas. Les angles sont différens, & vous voyez l'objet toujours également grand; donc il est évident par ce seul exemple, choisi entre plusieurs, que ces angles & ces lignes ne sont point du tout la cause immédiate de la maniere dont nous voyons.

      Avant donc de continuer les recherches que nous avons commencées sur la lumiere, & sur les loix mécaniques de la Nature, vous m'ordonnez de dire ici comment les idées des distances, des grandeurs, des situations, des objets, sont reçues dans notre ame. Cet examen nous fournira quelque chose de nouveau & de vrai, c'est la seule excuse d'un Livre.

      

      

       Table des matières

       Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures, les situations.

      Les angles, ni les lignes optiques, ne peuvent nous faire connaitre les distances.

      COMMENÇONS par la distance. Il est clair qu'elle ne peut être apperçue immédiatement par elle-même; car la distance n'est qu'une ligne de l'objet à nous. Cette ligne se termine à un point, nous ne sentons donc que ce point; & soit que l'objet existe à mille lieues, ou qu'il soit à un pied, ce point est toujours le même.

      Nous n'avons donc aucun moyen immédiat, pour appercevoir tout d'un coup la distance, comme nous en avons, pour sentir par l'attouchement, si un corps est dur ou mou; par le goût, s'il est doux ou amer; par l'ouïe, si de deux sons l'un est grave & l'autre aigu. Il faut donc que l'idée de la distance nous vienne par le moyen d'une autre idée intermédiaire: mais il faut au moins que j'apperçoive cette intermédiaire; car une idée que je n'aurai point, ne servira certainement pas à m'en faire avoir une autre. Je dis qu'une telle maison est à un mille d'une telle riviére; mais si je ne sai pas où est cette riviére, je ne sai certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à l'impression de ma main; je conclus immédiatement sa mollesse. Un autre résiste, je sens immédiatement sa dureté; il faudroit donc que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure immédiatement les distances des objets. Mais personne ne s'avise de songer à ces angles quand il regarde un objet. La plûpart des hommes ne savent pas même si ces angles existent; donc il est évident que ces angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez les distances.

      Exemple en preuve.

      Celui qui, pour la premiere fois de sa vie, entendroit le bruit du Canon, ou le son d'un Concert, ne pourroit juger si on tire ce canon, ou si on exécute ce concert à une lieue, ou à trente pas. Il n'y a que l'expérience qui puisse l'accoutumer à juger de la distance qui est entre lui & l'endroit d'où part ce bruit. Les vibrations, les ondulations de l'air, portent un son à ses oreilles, ou plutôt à son ame; mais ce bruit n'avertit pas plus son ame de l'endroit où le bruit commence, qu'il ne lui apprend la forme du canon ou des instrumens de Musique.

      C'est la même chose


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