Histoire d'Henriette d'Angleterre. Madame de la Fayette

Histoire d'Henriette d'Angleterre - Madame de la Fayette


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Est-ce là tout? Je le crois.

      M. de Guiche, sachons-le bien, professait un grand dégoût pour les réalités de l'amour; cela ne prouverait rien, car ce dégoût-là est de ceux qu'on surmonte à l'occasion. Mais on disait que M. de Guiche avait de bonnes raisons pour s'y tenir. C'étaient des dames de la Cour qui parlaient ainsi, mesdames de Motteville et de Sévigné. Et que ne disaient pas les libellistes et les chansonniers! [49]. «Guiche, disaient-ils, ne fait que patrouiller.» Patrouiller, vous entendez bien, faire quelques reconnaissances dans le pays du Tendre, mais sans pousser loin ni forcer de places [50].

      On en contait bien d'autres. Si ce sont là des choses qu'on dit sans savoir, on ne les dit pourtant pas de tout le monde. On n'avait pas dit cela de Henri IV, enfin! Et il fallait que M. de Guiche eût la figure d'un amoureux transi.

      C'était le bel air d'ailleurs, quand on savait le relever par la bonne mine et les grandes façons. Alors l'amour-propre y trouvait son compte et c'est cette passion que M. de Guiche était porté à satisfaire de préférence à toute autre. Il vécut d'amour-propre, il mourut d'amour-propre. La vanité le jetait dans toutes les affectations à la mode. A une époque peu éloignée de celle où il aimait Madame, la marquise de Sévigné nous le dessine d'un trait dans un petit tableau joliment crayonné sur nature pendant une représentation de Bajazet:

      «Tout le bel air étoit sur le théâtre. M. le marquis de Villeroi avoit un habit de bal, le comte de Guiche ceinturé comme son esprit, tout le reste en bandits [51].»

      Mademoiselle de Scudéry et le comte de Bussy-Rabutin, excellents juges, nous apprennent qu'il poussait l'affectation en écrivant jusqu'à se rendre incompréhensible: «Comme il est fort obscur dans ses lettres, je n'ose assurer ce qu'il veut dire.—C'est proprement un entortillement d'esprit que ses expressions, et surtout dans ses lettres; il n'est presque pas possible d'entendre ce qu'il écrit.»

      Il s'agit de lettres d'amitié. On peut croire que ses lettres d'amour étaient plus inconcevables encore et que l'ithos et le pathos n'y manquaient pas. Madame, jeune comme elle était, dut les trouver fort belles, car la jeunesse est portée à admirer ce qu'elle ne comprend pas; et il est croyable qu'elle put les lire sans rougir, tant elles étaient hors de la nature. Si ces miraculeuses épîtres sont perdues [52], il reste, pour nous en donner une idée, la lettre de Don Quichotte à Dulcinée du Toboso. M. de Guiche travaillait sur ce modèle et ce qui prouve qu'il y faisait effort, c'est qu'il écrivait fort bien dès qu'il ne se surveillait plus. Nous avons de lui des Mémoires concernant les Provinces-Unies et une Relation du passage du Rhin, qu'on lit avec le plaisir que donne un style vif, clair et facile. La relation, il la fit au galop et n'eut point le temps de la gâter. Quant aux Mémoires, il ne les écrivit pas pour ses contemporains. Un tel détachement porte souvent bonheur aux écrivains, et c'est à cette disposition d'esprit qu'on doit de bien aimables chefs-d'œuvre.

      D'ailleurs, il s'oubliait parfois. «J'ai vu deux fois ce comte (de Guiche) chez M. de La Rochefoucauld, dit madame de Sévigné; il me paroit avoir bien de l'esprit, et il étoit moins surnaturel qu'à l'ordinaire [53].» Elle dit ailleurs, en parlant de lui: «Nous avons fort causé», ce qui, de la part d'une telle femme, est en quatre mots, un assez joli compliment [54].

      Nous avons vu ce qu'était la galanterie de cour au XVIIe siècle et ce que pouvait être en particulier celle de M. de Guiche. Lisez, ainsi avertis, le roman (c'est le mot) qu'il eut avec Madame et que je ne raconterai pas, parce que ces notes sont destinées à faciliter la lecture du livre que je publie et non à la rendre inutile. Vous verrez, dans ce livre, qu'au mois d'avril 1662 M. de Guiche quitta la Cour pour aller se battre en Lorraine d'où il partit pour la Pologne. Ce voyage va nous arrêter un moment, et, bien que je n'aie pas du tout l'intention d'écrire la vie ni même une partie de la vie de M. de Guiche, j'introduis cet épisode dans mes notes pour le plaisir de publier deux lettres intéressantes. M. de Guiche donc partit pour la Pologne à la fin de 1663. Il portait son épée de gentilhomme à ce peuple catholique dont la Reine était cette Marie de Gonzague qui, française de naissance et de sentiments, s'efforçait, malgré les Palatins, d'assurer la survivance de la couronne de Pologne au duc d'Enghien, fils du grand Condé. Elle faisait subir son impérieuse influence au roi son mari, Jean-Casimir, qui l'aimait. C'était un cardinal et un jésuite relevé de ses vœux, assez bon homme, raisonnable et prudent. Sous son règne, les Suédois avaient occupé Varsovie, mais il les en avait chassés à la tête des Palatins en 1660: l'union, si rare, de la noblesse et du roi avait sauvé la Pologne; mais, dans l'automne de 1663, Jean-Casimir franchissait le Dnieper, pour combattre les Moscovites et sa propre armée qui s'était tournée contre lui avec Lubomirski.

      Le comte de Guiche et son jeune frère le comte de Louvigny arrivèrent à Varsovie au mois de novembre. Voici en quels termes Marie de Gonzague instruisit de leur arrivée le maréchal de Gramont leur père:

      «Ce 16 novembre [1663].

      «Mr le comte de Guiche est si résolu d'aller trouver le roy par delà le Boristène, qu'il voudroit partir dès aujourd'huy, s'il n'estoit retenu par la foule des banquets que tout le monde lui veut faire. Il vous escrira le destail de seluy que M. Rey lui a fait il y a deux jours, où le vin de Tocaie ne fut pas oublié. M. le comte de Louvigni s'en est trouvé un peu incomodé. Je leurs doneray des gardes pour les premiers affin qu'ils n'en boivent plus tant, se vin estant d'une forse extraordinaire.

      «Jusques astheure, ils ont gagné le cœur de tous les Polonois qui les on veus. Seluy que j'avois envoyé quérir pour les conduire est arivé et il se rancontre encore une ocasion très sure. Le palatin de Sandomirie, ne pouvant, à cause de sa maladie, aler à l'armée, donne toutes ses compagnies, qu'il avoit gardés pour lui servir d'escorte, à son nepveu le duc de Aisniowicj qui i va, tellement qu'avec selles de Niesabitouski, qui est le nom de selui qui est isy lieutenant de la segonde compagnie d'hussards du roy, ils feront près de huit cens chevaux, et avec tous les soins que je prans pour toutes les autres comodités dont ils auront besoin, je suis asurée qu'ils oront des difficultés et peines extrêmes et ils n'ariveront qu'à Noël. Je ne fais point de doute que le roy Monseigneur ne les resoive de la manière qu'ils méritent. Je ne croi pas qu'il se rancontre d'occasion avec le Moscovitte qu'environ ce tans là, parse qu'il sera besoin de la gelée, autrement les terres seroient trop humides dans se tans isy. Ils veulent s'attacher avec M. Garneski, lequel je priray bien fort pourtant de ne leur point permettre de s'hasarder. Tout se qu'il y a de gens de condition, ils les ont visité et l'archevesque i a envoié; s'il estoit en santé, il i seroit venu lui mesme. S'estoit l'évesque de Varmie [55] en France qui se resouvient de toutes les sivilités qu'il a reseus de vous à Paris. Mr le Nonse leur envoia demander audianse. Mr le comte de Guiche me consulta dessus se qu'il devoit faire. Je luy conseillé de ne la pas refuser, me fondant sur ce que Mr de Lumbres, aiant demandé en France coume il se comporteroit avec lui et ne lui aiant point esté fait de response là dessus à ce qu'il m'a dit, j'ai creu que s'estoit une chosse qu'on traittoit de rien, et, si Mr de Lumbres m'avoit voulu croire, il n'oroit point desisté de le visiter, me persuadant que vostre roy qui est si habile et si diligent n'oroit point manqué de lui comander de rompre tout comerse s'il avoit jeugé que sela fût de son intérest. Dessus se fondement, j'ai creu que, s'il refusoit l'audianse de se nonce, que les Polonois s'en scandaliseroient grandement. S'est dont moi qui suis chargée de toutes leurs conduitte et je me fortifie de plus en plus que j'orai trouvé les vrais sentimans du roy son maistre. Ils partiront lundy. Je suis assuré qu'ils seront fort diligens de vous escrire par toutes les ocasions. Pour moi, je n'en manquerai pas une, quand j'en saurai des nouvelles, de vous les faire sçavoir. J'asure isy madame la duchesse de Gramont leur mère que tant qu'ils seront en Pologne, je tiendrai sa place auprès d'eux. Si la poste du Roy arive devant que sette letre se ferme, je vous manderai toutes les nouvelles. Je me trouve un peu mal depuis six jours.

      «Mon cousin Monsieur le Maral duc de Gramond.»

      Quatre mois plus tard, Marie de Gonzague mandait au maréchal la belle conduite de ses fils. Voici la lettre qu'elle lui écrivit à ce sujet:

      «Ce 14 mars [1644]

      «La pene ou j'estois le dernier ordinaire de


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