Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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qui était devant lui.

      Doué d’une intelligence remarquable, d’une mémoire prodigieuse et d’un tact d’observation qui le mettait à l’abri de l’erreur, en possession d’un flair qui, parfois, touchait au prodige, et qui lui avait valu de la part des bandits qu’il était chargé de poursuivre ce surnom d’Ange malin qui lui convenait d’ailleurs à merveille, M. Henry avait toujours considéré son délicat et périlleux métier comme une sorte de sacerdoce.

      Passionné de travail, passant parfois des nuits entières à réfléchir aux instructions qu’il devait donner à ses agents, sans cesse en éveil et toujours sur la brèche, écoutant et lisant tout, il allait, quand il était malade, jusqu’à se faire soigner dans son bureau ; il était, suivant la vieille expression de « ceux qui couchent dans leur ouvrage».

      Aussi avait-il obtenu de merveilleux résultats, recueillant toujours, à force de patience et d’habileté, de la part des coupables amenés devant lui, les aveux les plus complets, les détails les plus circonstanciés qui lui permettaient d’élargir le champ des investigations et de réaliser de fructueuses captures.

      Pour qu’un policier de cette envergure s’avouât impuissant à endiguer la marée sans cesse montante du crime, pour qu’il se déclarât vaincu d’avance dans une guerre au cours de laquelle, pendant si longtemps, il n’avait connu que des succès, il fallait vraiment que le mal fût encore plus grand que ne le croyait le préfet de police.

      Aussi celui-ci reprit-il, visiblement effrayé, mais considérablement radouci :

      — Monsieur Henry, je vous connais très bien et je sais que vous n’êtes pas l’homme des coups de tête…

      « Aussi, je vous prie de me faire connaître franchement les motifs d’une détermination aussi grave que regrettable.

      — Ceci n’est que trop juste, monsieur le préfet.

      « En moins de dix années, j’ai fait arrêter 11.725 délinquants ; 421 d’entre eux ont été condamnés à la peine de mort : de ceux-là je n’ai donc plus à m’occuper.

      « 3.741 ont été envoyés aux bagnes de Brest et de Toulon, le reste enfermé dans les prisons d’État.

      « C’est un bilan, n’est-ce pas, monsieur le préfet ?…

      « J’oserais même affirmer que c’est le plus fort qui existe aux archives secrètes de la police !

      Frappé par cette statistique qu’il savait rigoureusement exacte, le baron Pasquier s’étonnait : — Comment se fait-il que de si terribles exemples n’aient pas donné à réfléchir aux malfaiteurs ?

      — Tout simplement, monsieur le préfet, répliquait le chef de la Sûreté, parce que de trop nombreuses évasions ont permis aux scélérats, dont j’avais débarrassé la société, de renouveler, en les aggravant, la série de leurs forfaits.

      — Le fait est, reconnaissait le préfet, que nos bagnes et nos prisons sont bien mal gardés.

      — Gardons-nous, monsieur le préfet, d’incriminer trop sévèrement nos gardes-chiourmes, nos geôliers et nos agents. Ils ont affaire à forte partie et je commence à croire que, pour faire heureusement la chasse aux bandits, il faut avoir été bandit soi-même.

      — Théorie singulièrement dangereuse !

      — Mais que renforcent singulièrement les faits… Prenons, par exemple, le cas de l’Aristo.

      — Ce mystérieux bandit qui, depuis deux ans, nous tient tête avec une insolence qui n’a d’égale que sa cruauté ?

      — Oui, monsieur le préfet ; si, à chacun de ses crimes, j’ai reconnu la signature de son auteur, malgré tous mes efforts, il m’a été impossible de mettre la main sur lui…

      « Et quel policier sera assez subtil pour mettre la main sur cet autre personnage aussi extraordinaire, et peut-être encore plus fantastique, qui répond au nom de Vidocq ?…

      — Ce forçat qui s’est évadé du bagne et dont plusieurs rapports de nos agents nous signalent la présence en nos murs ?

      — Parfaitement ! monsieur le préfet.

      — Et vous n’avez pas encore réussi à lui mettre la main au collet ?

      — Hélas ! non, monsieur le préfet.

      « Passé maître dans l’art de se transformer avec la rapidité qui tient réellement du prodige… chaque fois que j’ai voulu procéder à son arrestation, il m’a glissé entre les doigts… Le gaillard tient à la fois du lion, du tigre, du caméléon et de l’anguille.

      « Hier encore, vous allez voir, monsieur le préfet… un de nos meilleurs limiers avait retrouvé sa piste.

      « Déguisé en colporteur, le coquin avait réussi à s’introduire dans le parc du château de Saint-Gratien qui, ainsi que vous le savez, appartient au financier Ouvrard.

      — Oui, eh bien ?

      — Cette fois, je croyais bien le tenir…

      « Mais à peine avais-je paru avec plusieurs de mes agents que le brigand s’évaporait… c’est le mot… sans qu’il me fût possible de retrouver sa trace !

      « Nous avons eu beau fouiller tous les alentours… nous n’avons rien découvert… c’est-à-dire si, nous avons trouvé près de là, dans une masure abandonnée, un bissac de marin qui contenait plusieurs de ces défroques· dont Vidocq sait si bien se servir, chaque fois qu’il veut nous brûler la politesse !

      — Je vois, en effet, monsieur Henry, que vous avez affaire à un gaillard qui vous donne joliment du fil à retordre.

      — Ne m’en parlez pas, monsieur le préfet ! Ah ! le tenir enfin ! Quel succès ! Cela me rendrait confiance et me ferait reprendre en goût un métier, hélas ! devenu si difficile.

      « Mais je n’y compte plus guère.

      « Ce Vidocq aurait fait un pacte avec le diable que je n’en serais pas autrement surpris.

      « Mes agents l’appellent « l’Insaisissable ». Nul mieux que lui n’a mérité ce surnom.

      « Qui sait, en effet, si cet escroc, ce faussaire, ce condamné à mort par contumace, ne se promène pas en ce moment sur le boulevard des Italiens, vêtu à la dernière mode, une canne à pomme d’or à la main et un gros cigare au bec ?

      « Qui sait si, ce soir, on ne viendra pas me dire : « Vidocq a été reconnu cet après-midi distribuant l’eau bénite à la porte de Notre-Dame… Vidocq a soupé hier à la Courtille, au cabaret de Guillotin, en compagnie d’escarpes redoutables et de demoiselles de mauvaise vie… Vidocq se rendra ce soir au Théâtre-Français, dans la loge de la comtesse d’Estramadure !… Vidocq assistera demain au bal de la Cour en uniforme de diplomate étranger ou d’aide de camp de l’Empereur ! »

      « De sa part tout est vraisemblable, tout est possible. « En tout cas, une chose dont je suis sûr, c’est que, lorsque je me présenterai avec l’élite de mes agents pour l’arrêter, cet oiseau au plumage si divers se sera envolé sans faire entendre le moindre battement d’ailes et sans que je puisse soupçonner un seul instant l’endroit où il aura été se nicher.

      « Et vous croyez, monsieur le préfet, qu’il n’y a pas de quoi jeter le manche après la cognée ?

      « Voilà pourquoi je ne puis pas assumer une responsabilité pareille et je préfère me démettre de mes fonctions.

      — Et si je vous ordonnais de rester ?

      — Je resterais, monsieur le préfet, mais, comme j’en suis sûr, avant un mois, les choses n’auront fait qu’empirer, ce sera vous qui me donnerez mon congé…

      « Voilà pourquoi je vous supplie de m’épargner cette humiliation, en acceptant ma démission que


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