Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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les bras en avant, la tête inclinée, comme si elle s’offrait elle-même au bourreau.

      Vidocq, ulcéré, Vidocq, déchiré plus qu’il ne l’avait été au cours de son atroce calvaire, se sentait envahi par l’horrible tentation de faire payer d’un seul coup à celle qui l’avait précipité si cruellement, si lâchement dans l’abîme, le mal qu’elle lui avait causé.

      Mais, insensiblement, il se laissait gagner par un sentiment d’involontaire pitié envers cette dévoyée qui avait expié si cher son crime ou plutôt sa démence.

      Bouleversé par la plus tragique incertitude, lui qui, un instant auparavant, eût été implacable… se sentait troublé, déconcerté, non pas seulement parce que le courage lui manquait pour immoler froidement celle dont la confession tragique la rendait à ses yeux égale dans le remords et dans la honte, mais parce qu’il lui semblait entendre ses deux enfants l’implorer et lui crier : « Épargne-la, puisqu’elle est notre mère ! »

      Au bout de quelques instants, Vidocq reprit d’une voix dans laquelle frémissait le tremblement d’un sanglot : — Annette, relève-toi.

      Un cri d’espoir jaillit des lèvres de la jeune femme.

      « Relève-toi ! » Ces deux mots venaient de tinter à ses oreilles comme une chance inespérée de salut.

      « Relève-toi ! » Il l’épargnait donc. Il l’avait donc comprise… Il comptait donc s’associer à elle dans l’œuvre qui, désormais, était l’unique but de son existence, sa seule raison de vivre !

      Et, redressant la tête, tendant les bras vers celui qui se montrait si grand et si fort… elle bégaya… transfigurée de repentir et de reconnaissance : — Pardonne-moi, François… pardonne-moi ! Mais des rumeurs s’élevaient dans le parc.

      Au lointain, au détour d’une allée, des serviteurs apparaissaient, guidant des hommes vêtus de noir et armés de solides gourdins.

      — Soudain, Annette se dressa, blême de frayeur et clamant, éperdue :

      — La police !

      Vidocq eut un hurlement de rage :

      — Ils ne me tiennent pas encore ! s’écria-t-il.

      Tandis que la jeune femme s’écroulait évanouie sur les dalles, le forçat évadé, empoignant son bissac, enjambait la balustrade, se laissait glisser sur la route et se précipitait vers un lavoir installé de l’autre côté du chemin, au bord d’un petit cours d’eau ombragé de saules.

      Il y pénétra en coup de vent.

      Le lavoir était vide !

      Alors, en un tour de main, arrachant sa perruque et sa fausse barbe, il se débarrassa de sa casaque de matelot… et, l’oreille aux aguets, l’œil en éveil, s’emparant de quelques hardes qui séchaient le long d’une corde, il substitua avec une rapidité prodigieuse cette défroque à celle qu’il venait de quitter, se transformant en une vieille bonne femme courbée, cassée, à la démarche trébuchante…

      Puis, se faufilant hors de la masure, il se dirigea à travers champs vers le village d’Épinay, dont on apercevait le clocher à travers les arbres.

      Et, tout en pressant le pas, il murmura, le regard voilé et la poitrine haletante :

      — Jacques… Robert… mes enfants, mes pauvres petits enfants !

      II

       Les bas-fonds de Paris

      C’était un endroit d’aspect sinistre mais indéniablement pittoresque que le caveau dit de l’Ange Gabriel.

      Situé tout au fond de la cour d’un immeuble de la rue de la Grande-Truanderie, tout proche des Halles centrales, il servait à cette époque de lieu de réunion à la fameuse bande des Enfants du Soleil, dont les exploits terrorisaient la capitale, au point que les Parisiens, à la tombée du jour, ne s’aventuraient dans les quartiers un peu douteux qu’armés jusqu’aux dents, et, le soir venu, se barricadaient solidement dans leurs domiciles.

      Commandés par un chef mystérieux, insaisissable, connu sous le sobriquet de l’Aristo et auquel ses affiliés obéissaient avec un aveugle fanatisme, elle avait jusqu’alors victorieusement tenu tête à la véritable armée d’argousins que le baron Pasquier, préfet de police, ne cessait de lancer à ses trousses.

      C’est à peine si les agents de M. Henry, qui n’en dormait plus, avaient réussi à capturer quelques vagues comparses qui, d’ailleurs, s’étaient obstinés dans un farouche silence.

      Et, chaque nuit, Paris s’était alarmé de quelque acte nouveau de brigandage : attaques nocturnes, pillages de boutiques, cambriolages de maisons particulières, assassinats, qui, tous, portaient la marque de fabrique des Enfants du Soleil !

      Cette redoutable association de malfaiteurs, la plus puissante qui eût peut-être jamais existé, avait été fondée par un mystérieux personnage uniquement connu sous le sobriquet de l’Aristo.

      D’aucuns prétendaient qu’il avait réellement du sang de gentilhomme dans les veines.

      Mais nul n’avait jamais pu pénétrer le secret de sa naissance, ni connaître son véritable nom.

      Recrutant ses affiliés parmi les bagnards libérés et les forçats en rupture de ban, l’Aristo, véritable général de cette armée du crime, la manœuvrait avec une habileté, une audace qui tenaient du prodige… Sa tête avait été mise à prix : mille écus !

      C’était pourtant une somme…

      Mais il exerçait sur ses troupes un tel ascendant, il leur inspirait aux uns une telle frayeur, aux autres un tel attachement que pas un des bandits enrôlés sous sa bannière n’avait jamais eu la pensée de le trahir.

      Tous, au contraire, lui obéissaient avec l’aveuglement du plus ardent fanatisme.

      Divisés en dix sections correspondant aux principaux quartiers de la capitale, disséminés, terrés pendant le jour dans les bouges, les tapis francs, les coupe-gorge et les guinguettes interlopes de Paris et de la banlieue, chaque soir les Enfants du Soleil, dont le nom semblait un ironique défi lancé aux agents chargés de les poursuivre, se rassemblaient au siège social de ce qu’ils appelaient leur district !…

      C’était presque toujours chez l’un d’entre eux, dont le logement avait été aménagé, truqué de telle sorte qu’aucune surprise n’était à craindre, et qu’en cas d’irruption inopinée de la police le groupe pouvait disparaître ou plutôt se volatiliser en quelques secondes.

      Là… ils attendaient les ordres de leur chef qui, suivant un plan méticuleusement préparé, leur distribuait la besogne de la nuit.

      Pour les coups importants, l’Aristo se mettait lui-même à la tête de la brigade qu’il avait mobilisée et confiait à ses lieutenants dressés à son école la conduite des opérations de moindre envergure.

      Tout était si bien réglé, si bien organisé, il régnait parmi les Enfants du Soleil un si rigoureux esprit de discipline, une si parfaite cohésion, une si intangible solidarité que, malgré tous ses efforts, la police s’était toujours trouvée jusqu’alors, en face de ces dangereux ennemis de la société ; impuissante et désarmée.

      Elle avait bien, parfois, réussi quelques arrestations isolées… mais elle n’avait pu en retirer aucun profit sérieux.

      En effet — où le sentiment de l’honneur allait-il se nicher ? — aucun des Enfants du Soleil arrêtés n’avait jamais consenti à lui fournir le moindre renseignement…

      Tous avaient résisté aux promesses aussi bien qu’aux menaces… Et lorsque, chaque soir, minuit sonnait, l’Aristo pouvait légitimement se vanter d’être le maître de la capitale


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