Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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sans réfléchir, sans envisager un seul instant les conséquences de ma décision, je lui répondis : « Je t’accompagne. »

      « Je ne lui adressai aucune question… Je l’eusse suivi jusqu’au bout du monde !…

      « Une chaise de poste nous attendait devant la maison. Nous y montâmes avec Robert et Jacques.

      « Francine, la femme de chambre, nous accompagnait.

      « J’avais pleine confiance en cette fille, car elle m’avait, jusqu’alors, témoigné beaucoup de dévouement.

      « Les quatre chevaux partirent à fond de train.

      « Ce fut dans la nuit une galopade effrénée…

      « Francine avait pris Jacques sur ses genoux… Je tenais Robert dans mes bras.

      « Au bout de deux heures, j’allais m’endormir brisée de fatigue… lorsque tout à coup des coups de feu éclatent dans la nuit…

      « Brusquement, la chaise de poste s’arrête… Jacques se penche à la portière et pousse un cri de rage… Des gendarmes à cheval entourent la voiture.

      « Alors, Jacques saisit ses pistolets, fait feu… Les gendarmes ripostent… Les balles crépitent autour de moi… Folle de terreur, je me jette sur les enfants pour les protéger…

      « Mais, atteinte à la tête, je m’évanouis… et quand je reprends connaissance, je me trouve dans un lit d’hôpital où l’on m’a transportée ! Une religieuse est à mon chevet… Elle semble douce et compatissante.

      « Ma première parole est pour réclamer mes petits. « On refuse de me répondre…

      « Je perds de nouveau connaissance et je reste pendant plusieurs semaines, mourante d’abord, puis prostrée, anéantie, incapable de proférer un mot, de lier deux idées.

      « Enfin, quand je reviens à moi, j’apprends… oh ! c’est effroyable… François, tu vas encore m’exécrer… me maudire davantage… oui, j’apprends que ce Jacques Thionville à qui j’avais tout donné, tout sacrifié, mon honneur, mon âme, mes deux fils, était… était…

      — Mais, parle donc !

      — Le chef de ces bandits qui, sous le nom de Chauffeurs du Nord, terrorisaient notre pays.

      — Sallembier, dit l’Intrépide !

      — Lui !

      — Quelle infamie !

      Tandis qu’en un geste d’horreur Vidocq portait les mains à son visage, Annette, toujours effondrée à ses genoux, haletait : — Alors commença pour moi le plus horrible des calvaires…

      « D’abord, on me prit pour sa complice… on m’emprisonna.

      « J’étais tellement triste, brisée, désemparée, que je n’eus point la force de me défendre.

      « J’opposais aux questions que l’on me posait le mutisme le plus absolu… et nul n’a jamais su, je te le jure, que la maîtresse de l’Intrépide était ta femme !

      « Quelques semaines plus tard, Sallembier était exécuté sur la place de ville avec plusieurs de ses complices. « Quant aux enfants, on refusa de me dire ce qu’ils étaient devenus… et ce ne fut que longtemps après, lorsque je sortis de prison, que j’appris l’effroyable vérité.

      Les mains jointes, en un geste de supplication à la miséricorde, Annette murmura d’une voix faible comme celle d’une mourante : — Francine Boron, la femme de chambre, en réalité complice de Sallembier et placée par lui près de moi pour me surveiller, avait réussi, à la faveur du tumulte et de la nuit, à s’enfuir avec Jacques et Robert.

      « Mais, redoutant d’être arrêtée et craignant que les deux petits n’attirassent sur elle l’attention des policiers et des gendarmes qui battaient la contrée, elle les avait abandonnés tous deux.

      — Et toi !… et toi ! s’écria Vidocq avec un sanglot déchirant… qu’as-tu fait pour les retrouver ?

      — Ce que j’ai fait ?

      « Je me suis rendue à l’endroit où cette misérable prétendait les avoir déposés.

      « C’était un carrefour isolé sur la grande route de Valenciennes à Bruxelles, loin de toute habitation et de tout village…

      « Un calvaire s’y dressait… Je l’implorai de ne pas faire retomber sur deux innocents la faute de leur mère… De toutes les forces de mon âme, je l’adjurai de m’inspirer, de me guider, de me rendre ceux que j’avais perdus…

      « Mais il resta inexorablement sourd à ma voix… De mon cerveau enfiévré… il ne jaillit aucune lueur, si ce n’est celle du désespoir !

      « Pourtant je partis en aveugle, au hasard… comme une bête qui cherche ses petits.

      « Partout où je m’adressai on me renvoya avec mépris.

      « N’étais-je pas clouée au pilori d’une tare ineffaçable ? « Je ne me rebutai pas et je continuai mon affreux pèlerinage… mais toujours en vain…

      « J’eus bientôt la conviction déchirante que j’avais entrepris une tâche au-dessus de mes forces et que je ne reverrais plus jamais mes enfants.

      « J’essayai de travailler.

      « Dans mon métier d’expiation, j’eusse accepté les plus lourdes, les plus répugnantes besognes.

      « Elles me furent même refusées.

      « Je n’avais même pas la ressource suprême d’aller vers toi, d’implorer ton pardon.

      « Tu avais disparu… et j’appris bientôt ta condamnation aux travaux forcés, puis ton départ au bagne.

      « Ce fut pour moi un coup effroyable…

      « En effet, je ne doutais pas un seul instant que, si tu étais devenu un criminel, c’était par suite du désespoir que je t’avais causé.

      « Alors je songeai à mourir… je n’en eus pas le courage.

      « Je tombai tout à fait — et c’est horrible à penser, c’est atroce à dire —, je serais peut-être tombée encore plus bas, si, un jour, par un de ces caprices du hasard, ces revirements du sort qui ne s’expliquent pas, je n’avais vu tout à coup la fortune me sourire.

      « Alors… Oui, François, je t’en supplie, je t’en conjure, car, là encore, je te crie la vérité… je n’eus plus qu’un but : me servir de l’or dont cet homme me couvrirait pour retrouver mes fils.

      « Je remuai ciel et terre, tu m’entends ; je dépensai des fortunes à la recherche de ces pauvres petits dont mon impardonnable crime avait fait pire que des orphelins, deux parias, à jamais exilés de toute joie et privés de toute tendresse !

      — Malheureuse !

      — J’envoyai à droite, à gauche, dans toute la France et même à l’étranger des émissaires auxquels j’avais promis tout ce que je possédais s’ils découvraient la trace de mes fils.

      « J’explorai les hôpitaux, les asiles où l’on recueille les enfants abandonnés.

      « Mais il était trop tard… Je ne découvris rien… rien !… « Malgré tout, je ne me lasse pas… Je veux, malgré tout, espérer encore, et je me refuse à penser que je ne reverrai jamais mes enfants !

      « Et puisque tu as été assez grand, assez généreux pour ne pas m’écraser tout de suite, puisque tu as bien voulu m’écouter jusqu’au bout, Vidocq, oh ! ce que je te refusais tout à l’heure, parce que la peur me forçait à te mentir, ah ! comme de grand cœur je te l’accorderais tout de suite, et comme avec joie, si jamais je retrouve mes deux fils, je les jetterai dans tes bras en te criant


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