.

 -


Скачать книгу
bête qui nous rend de si grands services. J’aimerais mieux me priver de boire et de fumer plutôt que de penser que demain il partirait à la « chine » sans rien dans les estomacs !

      — On sait que tu as bon cœur, mon vieux Coco, et si tu n’avais pas un trou sous le nez qui te coûte si cher…

      — Et toi, si tu ne dépensais pas tes quatre sols à offrir des fleurs à toute la jeunesse du quartier…

      — Quéque tu veux… chacun a ses défauts. Toi, tu es gourmand, moi, je suis galant… N’empêche qu’on est deux bons fleux tout de même.

      — Trop bons même…

      — Et des honnêtes gens !

      — Pour ce que ça nous rapporte !…

      — Tu aimerais peut-être mieux recommencer la vie que nous menions autrefois ?

      — Dame !…

      — Tais-toi !… Tu n’en penses pas un mot !

      — Qu’en sais-tu ?

      — J’en suis sûr ! Or, on a beau être tous deux des enfants de la rue, des fils du pavé… on a tout de même une conscience.

      — Tu me fais rigoler.

      — Oui, Coco, une conscience. La preuve, c’est que quand, lassés de nous esquinter à débarder les fardeaux sur les quais de la Seine pour manger tous les jours des épluchures de haricots et coucher chaque soir à l’auberge de la belle Étoile, on s’est décidé à grincher [voler] la vieille fruitière de la rue Mouffetard, on s’est fait pincer tout de suite.

      — C’est qu’alors on n’avait pas la manière.

      — Et on ne l’aura jamais !

      — Penses-tu ! Si on voulait s’en donner la peine, moi, je suis bien sûr…

      — Tais-toi, que je te dis Toi, pas plus que moi, tu ne seras jamais un bon voleur Et puis en v’là assez là-dessus. D’abord, nous avons donné notre parole à Vidocq…

      — Vidocq ! répéta Coco Lacour en haussant les épaules.

      Bibi la Grillade reprenait gravement :

      — Rappelle-toi ce qu’il nous disait là-bas, au bagne, ce pauvre M. Vidocq : « Quand vous aurez reconquis votre liberté, redevenez des travailleurs… Ne vivez plus en marge de la société… Faites-vous une situation régulière… Cela vaudra mieux que risquer de nouveau le bagne et peut-être l’échafaud ! »

      — Le fait est, déclarait Coco, que, pour faire de beaux discours et donner de bons conseils, il n’y en avait pas deux comme lui… N’empêche que c’était un voleur… un bandit…

      — Pas comme les autres !…

      — Tais-toi donc… Qui sait si ton Vidocq n’était pas un « mouton »… un traître ?

      — Ah ! ça, non !… Il n’y a qu’à le regarder dans les yeux, celui-là, pour être sûr que ce n’est pas un faux bonhomme.

      — Allons donc !… Est-ce qu’il ne devrait pas être là ?… À notre libération, il nous avait dit : « Cachez des vêtements dans le rocher de la Vierge et avant deux mois je vous aurai rejoints. » Voilà plus d’un an de cela… et va te faire lanlaire… Pas plus de Vidocq que de beurre dans nos épinards !

      — Attends… mon vieux Coco.

      — Pourtant… nous lui avons fait parvenir notre adresse.

      — Peut-être bien qu’elle s’est égarée en route ?

      — C’était bien la peine de nous décarcasser comme nous l’avons fait pour nous procurer les renseignements qu’il nous avait demandés.

      — L’essentiel c’est qu’on les a !

      — À quel prix !

      — Allons, ne grogne donc pas comme ça… Attends-moi là, j’vais aux provisions et surtout tâche de me chasser toutes ces vilaines idées… Tu peux compter sur ton vieux Bibi.

      En raflant la recette du jour qui gisait triste et maigre sur le vieux clavecin, Bibi la Grillade s’en fut à la porte, se préparant à faire jouer le bec-de-cane, lorsque des coups légers, discrets, heurtèrent la devanture.

      — Ah çà ! s’écria Bibi, qui est-ce qui vient nous rendre visite à une heure pareille ?… C’est peut-être un client ?

      — Va ouvrir…, grommela Coco.

      Bibi s’en fut entrebâiller prudemment la porte… Une sourde exclamation lui échappa. Et se retournant vers son camarade, il ajouta sur un ton mystérieux :

      — C’est lui !…

      — Lui ?… qui ça, lui ?… s écria Coco Lacour.

      — Vidocq ! lança le forçat évadé en pénétrant dans la boutique.

      Tandis que Bibi la Grillade refermait vivement l’huis et en poussait l’unique mais solide verrou, Vidocq s’avançait vers Coco Lacour, qui le regardait d’un air ahuri.

      — Eh ! oui, c’est moi, ponctua le forçat évadé… Je n’ai peut-être pas été très exact au rendez-vous… Mais, vous le savez mieux que personne, il est plus facile d’entrer au bagne que d’en sortir… et on ne fait pas toujours ce que l’on veut, surtout quand on a à ses trousses les meilleurs limiers de M. Henry…

      — Le chef de la Sûreté générale…, précisa Coco.

      — Un rude homme ! reconnaissait Vidocq. Il a mis ma tête à prix… Aussi, pour dépister ses agents et arriver jusqu’ici sans encombre, ai-je dû employer plus d’un subterfuge… L’essentiel, c’est que me voici.

      — Asseyez-vous donc, monsieur Vidocq, invitait Bibi, avec une cérémonieuse déférence.

      Et, tout de suite, il ajouta :

      — Vous devez avoir besoin de vous restaurer…

      — Tout à l’heure ! répliqua Vidocq avec autorité. Nous avons d’abord à causer…

      Et, s’installant à califourchon, sur la chaise dépenaillée que lui offrait Bibi, il reprit :

      — Alors, on est redevenu des honnêtes gens !…

      — Oui, monsieur Vidocq, répliquaient simultanément Bibi, avec une fierté manifeste, et Coco, non sans une certaine amertume.

      — Félicitations ! Êtes-vous satisfaits de votre sort ?

      — Peuh ! ponctua Coco avec une moue significative.

      — Ça pourrait aller mieux ! reconnaissait Bibi. Mais on vit tout de même… Et puis… faut être philosophe… On ne refait pas sa vie en un jour.

      — C’est vrai ! reconnut Vidocq dont le visage refléta soudain une profonde détresse…

      Mais, rappelant à lui l’énergie qui semblait l’avoir un instant abandonné, il reprit :

      — Avez-vous pensé à moi ?

      — Tout le temps, monsieur Vidocq, affirmait Bibi…

      — Même…, continuait Coco, qu’on vous réserve une bonne surprise…

      — Auriez-vous trouvé ? s’écria le forçat en se redressant d’un bond.

      — Celle que vous cherchez…, acheva Bibi.

      « Eh bien !… oui… monsieur Vidocq… Nous l’avons retrouvée… Seulement voilà.

      — Parlez, mais parlez donc ! frémissait Vidocq pâle comme un spectre.

      Et Coco Lacour, baissant instinctivement la voix, révéla :

      — Elle vit, sous le nom de Manon la Blonde,


Скачать книгу