Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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Eh ben ?

      — Il me dira que j’irai tout droit en enfer… et moi je ne veux pas, là !

      Alors, avec une sérénité d’âme, une loyauté de conscience qui lui donnaient tout à coup l’allure austère et inspirée d’une femme de la Bible, la paysanne reprit :

      — M’sieu le curé te grondera p’têt’, ma fille, mais le bon Dieu, lui, nous donnera sûrement raison !

      II

       Ce qu’était Vidocq

      Tapi entre les bottes de foin qui remplissaient le grenier, le forçat évadé n’avait rien perdu du dialogue échangé à haute voix dans la cour de la ferme, entre ses hôtes et les gendarmes.

      — Allons, soupira-t-il, me voilà encore une fois tiré d’affaire !… N’empêche que j’aurai bien du mal à m’en sortir tout à fait.

      « Depuis mon évasion de Toulon, le télégraphe optique a dû faire marcher ses ailes sans relâche… Partout, la maréchaussée a mon signalement. Pas moyen de me procurer une autre défroque. Il me faudrait voler pour cela… et voler, ah ! non, je ne veux pas !…

      « Eh bien ! j’en serai quitte pour me cacher le jour et voyager la nuit… Mais ils ne m’auront pas !… non… ils ne m’auront pas !…

      À peine avait-il murmuré ces mots que la trappe se soulevait lentement, laissant apercevoir la tête du fermier Jérôme qui, tout de suite, attaquait :

      — Les gendarmes sont partis à ta recherche… Tu vas rester là un moment…

      « Tu peux dormir un somme si tu veux… Quand il fera tout à fait nuit, je viendrai te réveiller et je te ferai filer par le jardin.

      Vidocq esquissa un geste de remerciement ; mais déjà la trappe s’était refermée ; et, se laissant aller à la fatigue qui l’accablait, le forçat évadé, les nerfs détendus, déprimé, anéanti, se coucha tout de son long, fermant les yeux… et, presque instantanément, il s’endormit d’un sommeil de plomb.

      Quel était donc ce bagnard en rupture de chaîne, ce condamné à mort, ce François Vidocq qui, traqué par la police, errant sur les grandes routes comme une bête fauve échappée de sa cage, venait si courageusement, au péril de sa vie, de sauver deux petits enfants ?

      Il faudrait un volume, et même plusieurs, pour narrer dans tous ses détails ce qu’a été l’existence de cet homme extraordinaire, héros de l’histoire que nous avons entrepris de conter.

      Car Vidocq n’est pas un personnage inventé de toutes pièces, ni même réalisé selon une légende plus ou moins vraisemblable ou d’après des documents plus ou moins exacts.

      Vidocq, dont le nom, à travers les âges, est demeuré populaire jusque dans les coins les plus reculés de nos campagnes françaises, Vidocq, qui symbolise aux yeux de nos concitoyens, et même à l’étranger, le policier-type, le roi des détectives, comme on dit de nos jours, a réellement vécu l’existence que nous allons retracer, a traversé toutes les péripéties que nous nous efforçons de présenter fidèlement à nos lecteurs… personnage formidable et parfois fantastique qui a imprimé sur son époque la marque ineffaçable, indestructible de son génie spécial, mais indiscutable et indiscuté !

      Calomnié, vilipendé, sali, comme le sont, la plupart du temps, ceux qui ont assumé la tâche, rude entre toutes, de se battre avec le crime, il nous est apparu, au cours des recherches historiques auxquelles nous nous sommes livrés sur ses actes et de l’étude approfondie que nous avons faite de son caractère, comme une force de la nature, un torrent tumultueux, jailli d’un rocher aride, d’un chaos dévasté, mais sachant, au besoin, se canaliser, s’endiguer, disparaître sous des tunnels, sous des cavernes, pour se transformer en une rivière calme, limpide, se divisant en innombrables ruisseaux, mais n’en continuant pas moins à tout emporter sur son passage.

      Je ne m’en cache pas, je me suis pris d’admiration et même de sympathie pour ce personnage que je crois bien connaître et qui jamais, au cours de sa carrière de policier, traversée par les aventures personnelles que nous allons évoquer, ne s’est laissé amoindrir par cette déformation professionnelle qui, rarement, mais parfois cependant, dénature, diminue certains gardiens de l’ordre social au point d’en faire des tyranneaux injustes et sans pitié, quand ils n’ont pas la faiblesse plus redoutable encore de s’acoquiner avec ceux qu’ils sont chargés de combattre.

      Vidocq a été, je ne dirai pas une manière d’apôtre, mais plutôt un incomparable chasseur. Son vrai patron n’est point saint Georges, mais saint Hubert… Il n’a rien du chevalier, il a tout du grand veneur… Il est implacable, rusé, tenace, mais brave, audacieux, généreux même, payant toujours de sa personne, tour à tour secoué par sa haine invincible et grandi par des fiertés inattendues.

      Mais n’anticipons pas sur les événements ; ne nous laissons pas emporter par l’enthousiasme, le lyrisme de l’auteur qui, plein de son sujet, se laisse aller avant l’heure à des digressions intéressantes peut-être pour lui, mais fastidieuses pour ceux qui lui font l’honneur de lui accorder leur confiance… et revenons au vagabond, au forçat en rupture de ban, dormant enfin en paix dans le grenier des fermiers Leblanc…

      François Vidocq, né à Arras en 1775, était le fils d’un boulanger.

      Tout jeune, il avait manifesté de réelles aptitudes intellectuelles.

      Il avait appris à lire et à écrire, presque seul… et sa grande joie était de dévorer indistinctement tous les livres et principalement les récits d’aventures et de voyages qui lui tombaient sous la main.

      Sa mère, excellente créature, à l’esprit borné et sans aucune autorité dans son ménage, répétait souvent aux commères de son entourage :

      — Not’ garçon sera un savant.

      Mais son père, un bonhomme fruste, despote, ne l’entendait pas de cette oreille-là.

      — Tu seras mitron, avait-il déclaré à son fils, sur un ton qui n’admettait pas de réplique.

      Et François fut mitron.

      À partir de ce jour, ce fut entre le père et le fils une lutte incessante qui atteignit souvent des proportions homériques.

      Aussi obstinés l’un que l’autre dans leurs vues, ils vivaient dans un état de conflit permanent, au cours duquel l’enfant devenu jeune homme recevait fréquemment de cuisantes corrections qui, d’ailleurs, ne calmaient en rien son goût pour la lecture.

      Mme Vidocq, qui tremblait sans cesse devant son terrible époux, n’osait intervenir au cours de ces discussions, qui se terminaient invariablement par de formidables paires de claques et même de rudes coups de bâton à l’adresse du mitron récalcitrant.

      Celui-ci, quand il avait été par trop battu, et, par surcroît, condamné au pain sec et à l’eau, n’avait pour toute ressource que d’aller se réfugier chez de compatissants voisins, le digne épicier Le Rond et sa digne compagne La Rondelle que l’on avait surnommée ainsi en raison de la corpulence débordante de son accorte personne.

      Ces braves gens le consolaient de leur mieux, lui offraient sa part de pot-au-feu à la table familiale et allaient même jusqu’à mettre à sa disposition les vieux bouquins qu’ils achetaient pour les transformer en cornets de papier destinés à enfermer leurs denrées alimentaires.

      Mais un beau jour, après une paternelle et magistrale raclée qui coïncidait exactement avec son dix-septième anniversaire, le jeune Vidocq, muni d’un mince bagage et d’une bourse plus légère encore — car elle ne contenait que les maigres économies amassées péniblement, sol par sol depuis son enfance —, quittait le domicile paternel pour se lancer dans l’inconnu.

      Son intention était de s’embarquer à Ostende, de faire voile, comme on disait


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