Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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      — Vous êtes bien bon…, reprenait le vagabond, mais je ne peux pas.

      — À cause ?

      — Vous seriez volé dans l’affaire.

      — Volé !

      — Je ne pourrais guère abattre de besogne. Je n’ai plus beaucoup de forces…

      — Pourtant, tu en as eu assez pour étrangler Bas-Rouge !

      — C’est pas la même chose… Voyez-vous, quand on se trouve en face de deux petits enfants qui sont attaqués par un chien enragé et qu’on se dit : « Si jamais seulement il les touche de la dent, ils sont perdus, ils mourront, et de quelle mort… la plus affreuse de toutes… » Oh ! alors on oublie sa faiblesse, on est comme galvanisé on s’élance, on fonce, on ne pense plus à rien qu’à eux à ces innocents… et on tue !… Mais après… oh ! après, on redevient ce qu’on était avant… une pauvre loque qui s’en va au gré du vent… qui se déchire chaque jour davantage… et qui finit, quand il n’y en a plus qu’un lambeau, par rester accrochée à quelque roncier de la route !

      Fanchon revenait avec son pichet de vin dont elle remplit jusqu’au bord un grand verre qu’elle avait pris dans le vaisselier. La Martoche, qui avait fini de beurrer l’énorme tartine, l’apporta au chemineau.

      Tandis qu’il mangeait et qu’il buvait en silence, Jérôme Leblanc l’examinait avec attention.

      Bientôt il reprit avec une expression de curiosité bienveillante :

      — T’as pas toujours été comme ça, mon pauvre diable ?

      — Pourquoi me dites-vous cela ? reprit vivement le trimardeur.

      — D’abord parce que tu ne causes pas comme ceux de la route… et puis, quand on te regarde bien, on a comme qui dirait l’idée que t’as autrefois porté d’autres hardes que celles-là.

      — Peut-être !

      —… Et que tu as eu du malheur… beaucoup de malheur… ou bien que t’as…

      Mais, se redressant, l’inconnu coupait d’une voix sombre :

      — Du malheur seulement, et plus que vous ne pouvez le croire… Ah ! si vous saviez !…

      « Moi aussi, j’ai eu une femme et des enfants… J’ai été heureux… très heureux pas longtemps… trois années à peine… et puis… et puis.

      Un sanglot l’étranglait

      — Laisse-le donc tranquille ! lançait la Martoche à son mari.

      « Tenez, mon ami, buvez un coup !

      Mais le petit Tiennot qui, oublieux déjà du danger qu’il avait couru, était allé s’asseoir sur le seuil de la porte et jetait des miettes de pain aux canards qui regagnaient en boitillant leur basse-cour, se relevait en criant :

      — Hé ! la mère, v’là les gendarmes !

      À ces mots, le vagabond eut un sursaut, et laissa tomber sur le sol le verre qu’il portait à ses lèvres.

      — Bon Dieu ! s’exclama Jérôme Leblanc. C’est-y que tu serais un voleur ou un assassin ?

      Puis il se tut, les poings serrés, la bouche menaçante…

      — Mon homme ! fit la Martoche en s’élançant vers son mari.

      Dans ce simple mot, il y avait un si noble cri de pitié, un tel rappel à la reconnaissance… un si ardent désir de sauver à son tour cet inconnu, si coupable fût-il, que le paysan, touché en plein cœur, n’hésita plus une seconde.

      Étendant le bras vers une échelle de meunier qui donnait accès au grenier surplombant directement la salle, il dit au chemineau qui s’était dressé frissonnant, glacé, l’œil hagard :

      — Grimpe là-haut… cache-toi dans le foin… et surtout ne bouge pas. Allons, décampe !

      L’inconnu ne se le fit pas dire deux fois. En quelques enjambées, il escalada les échelons, souleva une trappe et disparut.

      Il était temps !

      Des pas de chevaux retentissaient dans la cour de la ferme et une voix sonore lançait :

      — Hé ! Leblanc ! Hé ! la Martoche !

      — Vous, les petits, ordonnait le père, retenez vos langues ; et si les gendarmes vous demandent quelque chose, dites que vous ne savez rien. Compris, n’est-ce pas ?

      — Oui, p’pa !

      — Hé ben ! quoi donc ?… s’impatientait la grosse voix toute proche. Y a donc personne dans la maison, ou c’est y des fois que vous vous couchez plus tôt que vos poules ?

      Le fermier Leblanc, après avoir échangé un rapide coup d’œil d’intelligence avec sa femme, s’avançait sur le seuil.

      Deux gendarmes, montés sur de solides chevaux normands, s’étaient arrêtés devant la porte.

      — Me v’là, brigadier… me v’là…, fit le paysan… Quoi qu’y a pour vot’ service ? C’est-y que vos bêtes de chevaux auraient soif, et peut-être ben vous aussi, par-dessus le marché ?

      — Il s’agit bien de ça…, répliqua d’un ton sévère le représentant de l’autorité.

      « Depuis ce matin nous sommes à la poursuite d’un bandit.

      — Pas possible !… feignit de s’étonner Jérôme.

      — Parfaitement…, appuyait le brigadier avec importance et gravité. Il s’agit d’un dénommé François Vidocq, qui s’est échappé du bagne et qui a été condamné à mort par contumace.

      — Ah ! mon bon Jésus ! ponctuait la Martoche qui avait rejoint son homme.

      Le gendarme précisait :

      — Il est vêtu d’une vieille tunique de soldat d’infanterie et il a bien l’air de ce qu’il est, c’est-à-dire d’un brigand bon pour la guillotine.

      « Peut-être bien que vous l’avez rencontré par là ou vu rôder dans les parages ?

      — Ma foi non…, répliquait Jérôme, et toi, la Martoche ?

      — Moi j’crois que si ! affirmait la paysanne, avec toutes les apparences de la plus complète sincérité.

      Et elle ajouta :

      — Tout à l’heure, en revenant du lavoir, j’ai rencontré un bonhomme tout à fait comme vous dites et qui se faufilait dans le bois Martin du côté de la route qui conduit à la forêt de Malveme.

      Le brigadier, qui n’avait aucune raison de suspecter les déclarations de la Martoche, dit à son compagnon :

      — Alors, vite en chasse !…

      « Sale gibier que ce Vidocq ! Je donnerais bien un beau louis d’or pour le voir entre nous deux, menottes aux mains et en route pour la ville… où on lui fournirait le logement qui convient à un gredin de son espèce !

      Tandis que les deux gendarmes s’éloignaient, Jérôme et la Martoche rentraient dans la maison.

      Fanchette et Tiennot qui, de la porte, avaient assisté à toute cette scène, regardaient leurs parents, muets de surprise.

      — La Martoche, lança Jérôme, trempe-nous la soupe ! « Allez, les p’tiots, à table !

      Mais les deux enfants ne bougeaient pas. Soudain Fanchette se mit à pleurer.

      — Quéque tu as, toi ? interrogea la mère.

      — J’ai peur, répliqua la fillette, en se cachant la tête avec son coude.

      — Du chemineau ? lança Jérôme.

      — Non, p’pa…


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