Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


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enragé !

      Elle voulut entraîner l’enfant, s’enfuir avec lui… Elle n’en eut pas le temps… Le chien s’était précipité vers eux, les crocs menaçants et tout luisants de la bave mortelle… Déjà son museau de bête en furie frôlait presque le bras du pauvre enfant qui ne pouvait que répéter, suppliant et terrifié :

      — Bas-Rouge, mon Bas-Rouge… Ne me mords pas !… C’est moi, ton petit Tiennot !

      L’horrible mâchoire s’entrouvrait pour l’étreinte mortelle… lorsqu’un coup de matraque formidable atteignit Bas-Rouge aux reins, le forçant à rouler sur le sol.

      Le chien, à moitié assommé, mais furieux encore, se retourna contre le bâton du chemineau et y enfonça ses crocs avec frénésie.

      — Sauvez-vous, les petits ! Sauvez-vous ! hurlait l’homme, qui, prompt comme l’éclair, empoignait audacieusement Bas-Rouge par le cou et, l’immobilisant dans ses doigts d’acier, serrait jusqu’au moment où les yeux injectés de la bête se voilèrent, en même temps qu’un dernier spasme lui raidissait les membres et qu’un râle suprême s’exhalait de sa gorge écrasée.

      Sentant qu’il n’avait plus entre les mains qu’un cadavre, le vagabond desserra son étreinte et Bas-Rouge retomba à terre, où il demeura étendu inerte…

      Le chien enragé était mort !

      — Ah ! Les vilains mioches !… Vrai ! Ils me feront mourir, ils me feront damner ! lançait la voix courroucée d’une robuste paysanne qui accourait, essoufflée, sa coiffe au vent, toute vibrante de colère et d’angoisse.

      C’était la mère !

      Partie à la recherche de ses enfants, la campagnarde avait assisté de loin à cette scène qui s’était déroulée avec une rapidité aussi tragique que foudroyante.

      Empoignant par le bras Fanchette et Tiennot qui, fous de peur, n’avaient pas eu la force de déguerpir, la Martoche, comme on l’appelait dans le pays, se mit à les secouer furieusement, tout en les invectivant :

      — Ça vous apprendra à vous en aller galvauder comme ça ! Vous verrez qu’un beau jour Croque-mitaine vous emportera dans sa hotte !…

      « Et ce sera bien fait pour vous, mauvaise graine !

      Puis, se retournant vers le chemineau qui contemplait les deux enfants avec une expression de joie touchante et quasi paternelle, la campagnarde demanda :

      — Elle ne vous a pas mordu au moins, cette sale bête de malheur ?

      — Je ne lui en ai pas laissé le temps, déclarait l’inconnu avec une tranquille assurance.

      Mais le sentiment maternel reprenait le dessus, la fermière saisit ses deux enfants et les embrassa violemment tout en haletant :

      — Mon Tiennot ! Ma Fanchon !… Ah ! mes petits ! mes pauvres petits !

      « Dites-lui au moins merci à ce brave homme !

      Et elle les poussa tous deux vers le chemineau.

      Doucement, celui-ci appuya ses mains calleuses sur leurs fronts blancs ; et, sans oser les attirer vers lui, il resta là, immobile, les yeux à demi fermés en murmurant, comme éperdu dans une mystérieuse et profonde rêverie :

      — Enfin ! j’ai donc fait une bonne action ! « Allons ! cela va peut-être me porter bonheur !

      Émue, dominée par l’attitude étrange de cet homme qui se révélait à elle sous le triple aspect de la misère, du courage et de la bonté, la Martoche reprenait brusquement :

      — Venez donc avec nous jusqu’à la ferme manger un morceau et boire un bon coup ; car, vrai, mon pauvre vieux… vous devez en avoir joliment besoin.

      — C’est pas de refus ! acceptait le vagabond.

      Dans leur naïve et instinctive gratitude, Fanchette et Tiennot s’étaient emparés des mains de leur sauveur ; et ce furent eux qui le conduisirent jusqu’à la maison dont on apercevait à travers la feuillée le toit de chaume, au milieu duquel une cheminée bossue, rabougrie, laissait échapper une colonne de fumée qui s’élevait toute droite vers le ciel.

      Le bref trajet fut vite parcouru.

      Les enfants avaient repris une partie de leur aplomb. Fanchette souriait, rassurée ; et le petit Tiennot, qui n’avait pas encore compris, demandait :

      — Pourquoi qu’il voulait nous mordre, Bas-Rouge ? Il n’était pourtant pas méchant !

      La Martoche, qui avait pris les devants, ouvrait toute grande la porte de sa demeure au vagabond. Celui-ci, déjà réconforté par cette atmosphère de rusticité accueillante et saine, semblait renaître à la vie.

      Pénétrant dans une vaste salle au sol en terre battue, très propre, bien balayée, avenante même avec son vaisselier ciré, ses grandes armoires reluisant comme une glace et ses lits qui disparaissaient sous de vastes rideaux en toile écrue à carreaux blancs et rouges, il respira largement, flairant l’odeur appétissante d’une soupe au lard qui mijotait dans une marmite suspendue au milieu d’une vaste cheminée au-dessus d’un feu de braise rutilante.

      — Asseyez-vous là, invita la fermière, en désignant au vagabond un banc près de la fenêtre.

      « Fanchon, va vite au cellier tirer un pichet de vin frais ! Ouvrant une huche, elle y prit un gros pain enveloppé dans un torchon tout blanc, l’apporta sur la table qui tenait tout le milieu de la pièce et en coupa une large tranche.

      Elle sortait d’un garde-manger un vaste plat contenant une motte de beurre d’au moins deux livres, lorsqu’une voix rude, autoritaire, retentit :

      — Eh ben ! quoi donc, la Martoche, v’là que tu reçois « cheux nous » des « drogues », des « propariens » de grand-route !

      « T’as donc envie qu’une nuit on nous emporte not’ bas de laine ou qu’on fiche le feu à not’ grange ?

      S’avançant vers son homme — un vigoureux laboureur qui, en tenue de travail, sa chemise échancrée sur sa poitrine velue, une faucille suspendue à sa ceinture de cuir, au-dessus du pantalon en velours à côtes, se profilait sur le seuil et barrait la porte de sa haute et puissante stature —, la Martoche répliqua vivement :

      — Avant que de causer, Jérôme, tâche de m’écouter un peu. Ce « drogue », ce « proparien » comme tu l’appelles, eh bien ! il vient de sauver nos mioches !

      — Quoi que tu me chantes là ? s’exclama le campagnard, toujours méfiant et sur la défensive.

      — Bas-Rouge avait la rage, expliquait la fermière. Il a voulu se jeter sur les enfants… et sûr qu’il les aurait dévorés tous les deux, si ce brave homme-là ne s’était pas jeté sur lui et ne l’avait étranglé en moins de temps que je n’en mets pour occire un lapin !

      — Tu as fait cela, toi ?… interrogeait le fermier qui, tout saisi, s’avançait vers le chemineau.

      Celui-ci eut un simple hochement de tête affirmatif. Alors, mettant sa main sur son épaule, et le fixant bien dans les yeux, le laboureur martela d’une voix ferme :

      — J’sais pas qui qu’tu es, d’où que tu viens… ni où que tu vas… Mais t’es un ami, et ici, tu seras toujours chez toi…

      — Merci !… fit d’une voix sourde le trimardeur en baissant le front.

      — Comment ! reprit Jérôme, c’est toi qui me dis merci !

      — Oui, parce que, depuis bien longtemps, c’est la première parole de bonté que j’entends ; et ça me fait tellement de bien, que je ne trouve pas de mots pour vous le dire.

      — Alors, t’es si malheureux que ça ? questionnait le paysan, en s’asseyant près de son hôte.

      — Ça se voit, n’est-ce pas ? fit celui-ci.


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