Vidocq. Arthur Bernede

Vidocq - Arthur  Bernede


Скачать книгу
Comment avez-vous réussi à la découvrir ? haletait Vidocq en proie à un trouble indicible.

      — C’est bien simple…, expliquait Coco. On était parti un jour à la « chine » du côté d’Épinay, lorsqu’on voit tout à coup, sur la route, un rassemblement.

      « On s’approche… Un carrosse avait versé dans le fossé…

      On en sortait justement une belle dame qui n’avait aucun mal et qui riait même aux grands éclats.

      « Alors je pousse Bibi du coude et je lui glisse à l’oreille : « On dirait la femme que M. Vidocq nous a chargés de retrouver ! »

      « Aussitôt, je tire le portrait de ma poche. Car comme nous comptions beaucoup plus sur le hasard que sur nos propres moyens pour nous acquitter de la commission dont vous nous aviez chargés, nous l’emportions toujours avec nous en voyage…

      « Bref, nous regardons, nous comparons. Il n’y avait pas à barguigner… C’était elle !

      — Pourvu, s’écriait Vidocq, que ce ne soit pas qu’une ressemblance !…

      — Oh ! en ce cas, elle serait rudement frappante, déclarait Coco.

      — Alors, interrogeait froidement l’évadé, vous dites que cette femme demeure au château de Saint-Gratien ?

      — Oui, monsieur Vidocq, près d’Épinay-sur-Seine.

      — À qui appartient ce domaine ?

      — Au célèbre financier Ouvrard…

      — Cette Manon la Blonde est sans doute sa maîtresse ?

      Les deux associés eurent un silence d’hésitation.

      — Allons, parlez ! insistait Vidocq, et ne craignez pas que je me fâche !

      — Eh bien ! oui, monsieur Vidocq, avoua Coco, elle est sa maîtresse !

      Partant d’un éclat de rire bien plus terrible que le plus violent des accès de colère, Vidocq scanda :

      — Je suis content, très content ! il y a même longtemps… très longtemps que je n’ai éprouvé une joie pareille… Ah ! quel service vous venez de me rendre ! Jamais je n’oublierai… Jamais, c’est bien cela. Ah ! ah ! c’est bien…. vous êtes des amis, vous êtes des frères !… Vous ne pouvez vous imaginer combien je suis heureux… Merci ! merci !…

      Et, saisissant les mains de Coco Lacour et de Bibi la Grillade, il les serra à les broyer ; et, tandis que deux larmes brillaient dans son regard transfiguré d’une indicible allégresse, de sa bouche tremblante s’évadaient ces mots, en un murmure où frémissait l’annonce d’un sanglot :

      — Mes enfants ! Aurais-je enfin retrouvé mes enfants ?

      IV

       Au château de Saint-Gratien

      À l’époque où se déroule cette véridique histoire, le château de Saint-Gratien, qui s’élève encore aux environs d’Enghien, était une des plus somptueuses résidences des environs de Paris.

      Il appartenait au richissime financier Ouvrard qui, à l’apogée de son incroyable fortune, en avait fait une demeure digne d’un grand seigneur et même d’un prince du sang.

      Non content de meubler la maison avec une richesse inouïe et d’y accumuler des trésors artistiques dignes de nos musées nationaux, il avait réussi à transformer le parc en un véritable paradis terrestre, ombragé d’arbres aux essences les plus rares, émaillé d’innombrables parterres de fleurs, sillonné d’allées que bordaient d’admirables statues dues au ciseau des grands maîtres du XVIIIe siècle, embelli de petits lacs sur lesquels s’épanouissait la blanche majesté de nombreux cygnes, et traversé par des charmilles en labyrinthe qui aboutissaient à des grottes en rocaille où chantaient de sveltes jets d’eau et où régnait, en été, une fraîcheur délicieuse.

      C’était dans ce domaine de conte féerique qu’Ouvrard, qui renouvelait, à l’aurore du XIXe siècle, les fastes et les folies de ces fameux fermiers généraux dont la Révolution avait aboli le si coûteux privilège, avait installé, deux ans auparavant, une jeune femme dont il était devenu, ainsi qu’il le déclarait lui-même, « amoureux à en perdre l’esprit » !

      Il faut avouer que l’objet de cette flamme était bien fait pour bouleverser la cervelle et même le cœur d’un banquier qui avait élevé le culte de l’amour au moins à la hauteur de celui qu’il professait pour la richesse.

      Il était bien difficile, en effet, de rencontrer une créature plus divinement séduisante, plus royalement splendide et plus étrangement troublante que cette véritable reine de beauté qu’un soir l’orgueilleux manieur d’or avait présentée, dans sa loge de l’Opéra, à l’admiration spontanée d’une salle immédiatement conquise.

      Grande, avec un port de reine, un visage de déesse, mais de déesse blonde et souriante, à laquelle nul sentiment humain ne serait étranger, suprêmement élégante, et toujours un peu rêveuse, mélancolique, il émanait d’elle une impression tellement subtile, magique et captivante, que nul ne pouvait se défendre d’en subir le charme.

      Aussi, lorsqu’elle était apparue, un peu avant que le rideau ne se levât sur La Vestale, de Spontini, qui faisait accourir le Tout-Paris à notre première scène lyrique, tous les yeux, toutes les lorgnettes s’étaient instantanément braqués vers elle, tandis qu’un long murmure d’adulation spontanée saluait cette apparition sensationnelle entre toutes.

      Quelle était cette femme que nul ne pouvait se vanter d’avoir encore même entr’aperçue ?

      Seul, Ouvrard le savait ; et il avait jalousement gardé son secret… faisant bonne garde autour de ce trésor qu’il jugeait incomparablement plus précieux que tous ceux que renfermaient ses coffres, cependant gorgés de richesses.

      Les rares intimes du financier qui avaient eu le privilège insigne d’approcher celle qui ne s’était révélée que sous le nom de Manon la Blonde, affirmaient qu’elle était remplie d’amabilité, de tact, d’éducation, d’esprit et même d’intelligence.

      Mais ils ajoutaient que, sous son sourire enchanteur, à travers son regard étincelant de jeunesse, on était étonné de découvrir par instants une sorte d’alanguissement morose, très proche parent de la tristesse.

      Et pourtant, Manon semblait n’avoir rien à désirer. Sa vie de luxe et de plaisir n’était-elle pas celle qu’elle avait sans doute ardemment désirée et librement choisie ?

      De plus en plus féru de passion pour elle, Ouvrard s’ingéniait à lui inspirer les caprices les plus onéreux, les fantaisies les plus extravagantes ; et lorsqu’il la trouvait étendue sur sa chaise de repos, les yeux clos, presque somnolente, dans le cadre merveilleux qu’il avait voulu donner à sa grâce, il s’effrayait et lui disait, non sans angoisse :

      — Je crains que vous ne vous ennuyiez ici, ma très belle. Pourquoi ne sortez-vous pas davantage ?

      « Pourquoi ne recherchez-vous pas des distractions que je suis prêt à vous offrir ?

      « Voulez-vous que nous voyagions ?

      « Vous savez bien que je ferai tout pour qu’aucun souci n’assombrisse jamais vos traits divins.

      Mais, invariablement, Manon lui répondait en s’efforçant de sourire :

      — Je suis très heureuse ainsi, je vous l’assure !

      Ce jour-là, c’était vers la fin d’un bel après-midi de septembre… La belle châtelaine de Saint-Gratien s’était attardée sur le banc en marbre blanc d’une magnifique terrasse qui s’élevait au fond du parc, en bordure de la route de Paris à Compiègne.

      Seule, comme presque toujours — car elle aimait à


Скачать книгу