Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi


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à du repentir.

      — Katia! Qu’as-tu? Dit-il. Il ne s’agit pas de savoir qui a raison de nous deux, il s’agit de toute autre chose. Qu’as-tu contre moi? Ne me le dis pas tout de suite, réfléchis, et puis dis-moi tout ce que tu penses. Tu es mécontente de moi, tu as sans doute raison; mais explique-moi en quoi je suis coupable.

      Mais comment aurais-je pu lui dire tout ce que j’avais au fond de l’âme? La pensée que, d’un seul coup, il m’avait pénétrée, que je me retrouvais de nouveau comme une enfant devant lui, que je ne pouvais rien faire qu’il ne le comprit et ne l’eût prévu, m’agitait plus que jamais.

      — Je n’ai rien contre toi, dis-je, seulement je m’ennuie et je voudrais ne pas m’ennuyer. Mais tu dis qu’il faut que ce soit ainsi, et encore une fois tu as raison.

      Tout en disant ces mots, je le regardai. J’avais atteint mon but: sa sérénité avait disparu; la frayeur et la souffrance étaient empreintes sur sa figure.

      — Katia, commença-t-il d’une voix sourde et agitée, ce n’est point un badinage, ce que nous faisons en ce moment. En ce moment se décide notre destinée. Je te demande de ne rien me répondre et d’écouter. Pourquoi veux-tu me tourmenter ainsi?

      Mais je l’interrompis.

      — N’en dis pas davantage, tu as raison, dis-je froidement, comme si ce n’était pas moi, mais quelque mauvais génie qui parlât par ma bouche.

      — Si tu savais ce que tu fais là! Dit-il d’une voix tremblante.

      Je me mis à pleurer et je me sentis le cœur plus léger. Il était assis près de moi en silence. J’avais pitié de lui, honte de moi-même, chagrin de ce que j’avais fait. Je ne le regardai pas. Il me semblait qu’il devait me considérer en ce moment d’un œil ou sévère ou perplexe. Je me retournai pour le voir: son doux et tendre regard, comme s’il eût invoqué le pardon, était attaché sur moi. Je pris sa main et je dis:

      — Pardonne-moi! Je ne sais pas moi-même ce que je disais.

      — Oui, mais je le sais, ce que tu disais, et je sais que tu disais vrai.

      — Quoi donc? Demandai-je.

      — Qu’il nous faut aller à Pétersbourg. Ici, nous n’avons plus rien à faire maintenant.

      — Comme tu voudras…

      Il me prit dans ses bras et m’embrassa.

      — Tu me pardonnes? Dit-il. J’ai été coupable envers toi…

      Pendant cette soirée je lui fis longtemps de la musique, et il marchait à travers la chambre tout en chuchotant quelque chose. Il avait cette habitude, et je lui demandais souvent ce qu’il marmottait ainsi; et lui, toujours pensif, il me répétait précisément ce qu’il avait chuchoté; la plupart du temps c’étaient des vers ou parfois quelque grosse absurdité, mais dans cette absurdité même je savais reconnaître quelle était la disposition de son âme.

      — Que chuchotes-tu aujourd’hui! Lui demandai-je encore cette fois.

      Il s’arrêta, réfléchit et, tout en souriant, me répondit par deux vers de Lermontoff:

      Et lui, l’insensé, invoquait la tempête,

      Comme si dans la tempête pouvait régner la paix!

      — Non, il est plus qu’un homme; il voit toutes choses! Pensai-je; comment ne pas l’aimer!

      Je me levai, je pris sa main et me mis à marcher avec lui, cherchant à mesurer mes pas sur les siens.

      — Eh bien! Demanda-t-il en souriant et en me regardant.

      — Eh bien! Répétai-je; et je ne sais quel élan de nos âmes nous étreignit tous deux.

      Au bout de deux semaines, avant les fêtes, nous étions à Pétersbourg.

      VII

      Notre course à Pétersbourg, une semaine de séjour à Moscou, nos visites à ses parents et aux miens, l’installation dans un nouvel appartement, le voyage, une ville nouvelle, de nouveaux visages, tout cela passa devant moi comme un songe. Tout cela était si varié, si neuf, si gai, tout cela était si chaudement, si vivement illuminé pour moi par sa présence, par son amour, que la vie paisible de la campagne m’apparut en ce moment comme quelque chose de bien lointain, comme une sorte de néant. À mon grand étonnement, au lieu de cet orgueil mondain, de cette froideur, que je m’attendais à rencontrer dans les personnes, tous m’accueillirent avec une amabilité si pleine de naturel (non-seulement les parents, mais même les inconnus), que, semblait-il, tous ne songeaient plus qu’à moi, tous ne m’avaient attendue que pour y trouver leur propre plaisir. De même, contre mon attente, dans les cercles du monde, et parmi ceux mêmes qui me paraissaient les plus distingués, je découvris à mon mari beaucoup de relations dont il ne m’avait jamais parlé, et souvent je trouvai étrange et même désagréable de lui entendre porter des jugements sévères sur quelques unes de ces personnes qui me semblaient si bonnes. Je ne pouvais comprendre pourquoi il les traitait si sèchement, ni pourquoi il s’efforçait d’éviter biens des connaissances d’une fréquentation flatteuse, à mon sens. J’aurais cru que plus on connaissait d’honnêtes gens, mieux cela valait, et tous étaient d’honnêtes gens.

      — Voyons un peu comment nous arrangerons les choses, m’avait-il dit avant notre départ de la campagne: nous sommes ici de petits Crésus, et là-bas nous serons loin d’être bien riches; aussi ne nous faut-il rester en ville que jusqu’à Pâques et ne pas aller dans le monde, ou autrement nous nous mettrions dans l’embarras; et, pour toi, je n’aurais pas voulu…

      — Pourquoi le monde? Avais-je répondu; nous irons seulement voir les théâtres, nos parents, entendre l’opéra et de bonne musique, et même avant Pâques nous serons de retour à la campagne. Mais à peine fûmes-nous arrivés à Pétersbourg que tous ces beaux plans avaient été oubliés. J’avais été tout à coup lancée dans un monde si nouveau, si heureux, tant de plaisirs m’avaient circonvenue et tant d’objets d’un intérêt jusque là inconnu s’étaient offerts à moi, que d’un seul bond, et sans même en avoir conscience, je désavouai tout mon passé, je renversai tous les plans que ce passé avait vus naître. Ce n’avait jusque là vraiment été qu’une plaisanterie; quant à la vie elle-même, elle n’avait pas encore commencé; mais la véritable, c’était celle-là, et que serait-ce dans l’avenir? Pensais-je. Les soucis, les débuts de spleen qui me poursuivaient à la campagne, disparurent soudain et comme par enchantement. Mon amour pour mon mari devint plus calme, et, d’un autre côté, jamais dans ce nouveau milieu l’idée ne me vint qu’il m’aimât moins que jadis. Et, en effet, je ne pouvais douter de cet amour; chacune de mes pensées était aussitôt comprise par lui, chacun de mes sentiments partagé, chacun de mes désirs accompli. Son inaltérable sérénité était évanouie ici, ou bien était-ce qu’elle ne me causait plus les mêmes irritations. Je sentais même qu’à côté de l’ancien amour qu’il m’avait toujours porté, il éprouvait ici un autre charme encore auprès de moi. Souvent, après une visite, après que j’avais fait une nouvelle connaissance, ou bien le soir chez nous où, tremblant intérieurement de commettre quelque bévue, j’avais rempli les devoirs d’une maîtresse de maison, il me disait:

      — Allons, ma fille! Bravo, courage, c’est vraiment fort bien.

      J’étais ravie.

      Peu de temps après notre arrivée, il écrivit à sa mère, et quand il m’engagea à y ajouter quelque chose moi-même, il ne voulut alors pas me laisser lire ce qu’il avait écrit; ce que là-dessus je prétendis faire, bien entendu, et ce que je fis en effet. « Vous ne reconnaîtriez pas Katia, avait-il écrit, et moi-même je ne la reconnais pas. Où a-t-elle pris cette charmante et gracieuse assurance, cette affabilité, même cet esprit du monde et cet air aimable? Et cela toujours si simplement, si gentiment, avec tant de bonté. Tout le monde est dans le ravissement d’elle;


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