Tombé Pour Elle. A. C. Meyer
avons la chance d'avoir une navette qui va de Méier à Leblon, ce qui est rare. Lais descend avant moi, à Botafogo, et je m'arrête à Ipanema où se trouve Be. Les locaux sont très chics et modernes et ils offrent une vue imprenable sur l'océan.
Je prends l'ascenseur de mon immeuble, encore en train d'arranger mes vêtements, et quand j'arrive au rez-de-chaussée, Lais est en train de parler à un de mes voisins, Marcio. Sexy, vingt-cinq ans, il tient un magasin de vêtements pour hommes au centre commercial d'à côté. C'est également un homme aux mœurs plus que légères.
"Regarde qui va là, la belle Mariana." dit-il avec son sourire de tombeur. Bien que sa beauté soit à couper le souffle, nous savons qu'il n'est pas fait pour une relation durable. Nous sommes peut-être charmées par ses yeux et son sourire, mais sa façon de changer de femme comme la plupart des hommes changent de chaussettes ne mènera qu'à un cœur brisé.
"Salut, Marcio ! Allons-y, Lais. Nous sommes en retard." lui dis-je précipitamment.
"Oh, Mari, il est si sexy !" Lais se retourne pour regarder Marcio, alors que nous nous précipitons vers la navette.
"Je sais, mais il n'est pas pour nous. Allez ! On y va." Je la pousse à avancer, un sourire aux lèvres. Elle rit, sachant que si je la laissais faire, elle bavarderait avec Marcio et nous louperions notre navette.
Lais et moi sommes amies depuis la maternelle. Nous avons grandi dans le même quartier, nous sommes allées dans les mêmes écoles, et nos mères sont encore amies aujourd'hui. Lorsque nous avons décidé de quitter la maison de nos parents à l'âge de vingt-deux ans, rien ne nous a semblé plus naturel que de vivre proche l'une de l'autre. Nous partageons une si profonde amitié, qu'un simple regard suffit à savoir ce que l'autre pense. Je sais tout sur elle et elle sait tout sur moi.
Ou presque tout.
"Et pourquoi pas ton séduisant patron, hein ? Il sort toujours avec Fashion Barbie ?" me demande-t-elle. Je ne peux m'empêcher de rire.
Lais sait presque tout sur moi... mais pas tout. Carlos Eduardo est effectivement un patron séduisant, mais ce que Lais ne sait pas, c'est qu'en réalité, je suis follement amoureuse de lui. Je sais, je sais. Je suis bien consciente que Carlos Eduardo n'est pas intéressé par moi. Il sort normalement avec des poupées Barbie et je suis loin de son type habituel de femme au corps parfait, botoxé et retouché. Mais je peux toujours regarder, non ? En tous les cas, je ne peux pas réprimer mes sentiments.
Je lui réponds en riant : "Non, en ce moment il sort avec une future Gisele Bündchen, mais aux seins encore plus gros." Bien que je sois attirée par lui, je continue de vivre ma vie sans me faire trop d'illusions. Il est beau à tomber, mais il ne fréquente que des mannequins. Il me verra toujours comme son assistante, et jamais autrement.
La navette arrive et nous continuons notre conversation tout au long du trajet. Le même groupe de personnes va au travail tous les jours avec cette navette depuis trois ans ; le trajet est donc toujours sympa. Ces moments privilégiés sont essentiels pour mon bien-être, après un réveil si matinal.
Quand nous arrivons à Botafogo, Lais me prend dans ses bras et me fait une bise.
"Envoie-moi un SMS quand tu arrives !" dit-elle en me disant au revoir d'un geste de la main. Nous nous envoyons des messages tous les jours pendant nos heures de travail. Cela ne nous a jamais empêchées de faire notre travail, mais nos échanges quotidiens font partie de notre routine.
Environ vingt minutes plus tard, la navette atteint l'avenue Vieira Souto, une des rues les plus riches de la ville, qui abrite également Be.
"Voilà, petite Mari. Tu es arrivée !" dit Ruan, le chauffeur, en souriant. Je descends devant le bâtiment, respire l'air de l'océan, et me prépare à laisser Mari, la fille ordinaire, derrière moi et à me transformer en Mariana Costa, l'assistante compétente de Carlos Eduardo.
Cadu
Ma journée s’annonce difficile.
Trois réunions, dont une avec toute l’équipe, pour parler de la maquette, tellement nulle, du prochain numéro. Des pages et des pages, prêtes pour la poubelle. Je savais que je devais recruter un nouveau réviseur, mais je n’ai pas arrêté de repousser au lendemain. Renée fait partie de l’équipe depuis si longtemps qu’elle va avoir du mal à accepter son licenciement.
Je me gare dans le garage du bâtiment où se trouve les bureaux de Be. Mon père m'a "légué" le magazine de mode pour me punir de toutes les bêtises qu'il a dû supporter tout au long de mon adolescence, au lieu de m'attribuer un des magazines plus sérieux de notre portefeuille comme je m'y attendais. Mais Be est désormais toute ma vie.
J’enfile ma veste avant d’entrer dans l’ascenseur. Je regarde mon reflet dans le miroir et ce que je vois me plaît. Le costume sur mesure et la cravate en soie renvoient l’image d’un homme d’affaires qui a réussi.
Je vérifie l’heure à ma montre, pendant que l’ascenseur vide m’emmène au 12e étage, et je souris en pensant à Mariana, mon assistante ultra compétente, qui va me préparer un café et l’apporter dans mon bureau exactement trois minutes après mon arrivée.
Elle travaille pour moi depuis trois ans et elle est excellente. Elle a de bonnes idées, et elle apporte un brin d’authenticité dans le monde surfait qui nous entoure. Mince, je suis particulièrement poétique aujourd’hui. Mariana et moi avons une relation professionnelle plaisante, et j’ai de la chance de pouvoir compter sur quelqu’un qui est capable, entre autres, de supporter mes sautes d’humeur et garder mes journées organisées.
Quand l'ascenseur s'arrête à mon étage, je prends une grande inspiration et je me prépare à laisser Cadu derrière moi, l'homme passionné de musique et de baignade, et à devenir Carlos Eduardo Moraes, rédacteur en chef de l'un des plus grands magazines du pays. J'entre dans les bureaux et la réceptionniste me fait un grand sourire. C'est une très belle fille, mais elle a le cerveau de la taille d'une noix.
"Bonjour, M. Carlos Eduardo." Elle me salue, je souris et hoche la tête. Je marche jusqu'à mon bureau en répondant aux nombreuses salutations que j'entends en chemin. À mi-chemin de mon bureau, mon cerveau est déjà passé en mode travail et je traverse le couloir en pensant à tout ce que Mariana doit faire pour moi avant les réunions du jour. Je vais aussi lui demander de se renseigner sur les réviseurs de nos concurrents. Peut-être pourrais-je en débaucher un ?
J'entre dans mon bureau et ce que je vois me coupe le souffle. Mariana est à quatre pattes près de mon bureau, dos à la porte. Elle s'applique à rassembler des documents. Elle grogne et marmonne que les papiers sont vivants, mais je ne vois que ses jambes incroyables, et son corps comme je ne l'avais encore jamais vu. Mince, où avait-elle caché tout ça ? Tout à coup elle se lève, et quand elle se retourne, elle est toute rouge. Ses cheveux, habituellement attachés, sont libres, ce qui la rend très séduisante.
"Oh, Carlos Eduardo, je suis désolée. Je n'avais pas réalisé que tu étais là. J'ai tout fait tomber." s'excuse-t-elle. Je ne peux m'empêcher de sourire devant son air gêné. Mariana est la définition même de la perfection, et la voir ainsi la rend presque... humaine !
"Ce n'est pas grave, Mariana. Est-ce que mon café va arriver dans une tasse ou est-ce que je risque de le prendre sur moi ?" Je ne peux m'empêcher de la taquiner.
Elle a l'air perplexe. Nous avons une bonne relation, mais nous plaisantons rarement entre nous. Je suis un homme drôle, amusant, mais pas au travail. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais mon trait d'humour semblait simplement... opportun. Elle sourit timidement, et je ne peux pas expliquer ma réaction, qui me fait penser à la fois où Rodrigo m'a frappé fort à l'estomac pendant un entraînement de jiu-jitsu. Le coup était inattendu. Il s'y était mal pris et m'avait frappé, me laissant le souffle court ; et je ressens exactement la même chose.
"Non."