La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy

La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Marie Catherine  d'Aulnoy


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se trouvait dans tous les endroits où j'allais; il passait des nuits entières sous mes fenêtres, pour y chanter des paroles qu'il avait composées pour moi, qu'il accompagnait fort bien de sa harpe, ou pour m'y donner des concerts; en un mot, il ne négligeait rien de tout ce qui pouvait me faire connaître sa passion.

      »Mais voyant que ses empressements n'avaient pas tout l'effet qu'il en attendait, et ayant passé un assez long temps de cette manière, sans oser me parler de sa tendresse, il résolut enfin de profiter de la première occasion qu'il pourrait rencontrer pour m'en entretenir.

      »Je l'évitais depuis une conversation que j'avais eue avec une de mes amies, qui avait bien plus d'expérience et d'usage du monde que moi. J'avais senti que la présence de Mendez me donnait de la joie, que mon cœur avait une émotion pour lui qu'il n'avait point pour les autres; que lorsque ses affaires ou nos visites l'empêchaient de me voir, j'étais inquiète, et comme j'aimais cette belle fille tendrement et que je lui étais chère, elle avait remarqué que j'étais moins gaie qu'à l'ordinaire, et que mes yeux quelquefois s'attachaient avec attention sur Mendez. Un jour qu'elle m'en faisait la guerre, je lui dis avec une naïveté assez agréable: «Ne me refusez pas, ma chère Henriette, de me définir les sentiments que j'ai pour Mendez. Je ne sais encore si je dois les craindre et si je ne dois point m'en défendre; mais je sens bien que j'y aurais beaucoup de peine, et qu'ils me font du plaisir.» Elle se prit à rire, elle m'embrassa et me dit: «Ma chère enfant, n'en doutez point, vous aimez. – J'aime, m'écriai-je avec effroi. Ah! vous me trompez, je ne veux point aimer, je ne veux point aimer. – Cela ne dépend pas toujours de nous, continua-t-elle d'un air plus sérieux, notre étoile en décide avant notre cœur; mais au fond, qu'est-ce qui vous épouvante si fort? Mendez est d'une condition proportionnée à la vôtre, il a du mérite, il est bien fait, et si ses affaires continuent d'avoir un succès aussi favorable qu'elles ont eu jusqu'à présent, vous pouvez espérer d'être heureuse avec lui. – Et qui m'a dit, repris-je en l'interrompant, qu'il sera heureux avec moi, et même qu'il y pense? – Oh! je vous en réponds, me dit-elle; tout ce qu'il fait a ses vues, et l'on ne passe pas les nuits sous les fenêtres et les jours à suivre une personne indifférente.»

      »Après quelque autre discours de cette nature, elle me quitta, et je fis dessein, malgré la répugnance que j'y sentais, de ne plus donner lieu à Mendez de me parler en particulier.

      »Mais un soir que je me promenais dans le jardin, il vint m'y trouver. Je fus embarrassée, de me voir seule avec lui, et il eut lieu de le remarquer sur mon visage et à la manière dont je le recevais. Cela ne put le détourner du dessein qu'il avait fait de m'entretenir. «Que je suis heureux, belle Marianne, me dit-il, de vous trouver seule: mais que dis-je, heureux! Peut-être que je me trompe, et que je dois craindre que vous ne vouliez pas apprendre un secret que je veux vous confier. – Je suis encore si jeune, lui dis-je en rougissant, que je ne vous conseille pas de me rien dire, à moins que vous ne vouliez que j'en fasse part à mes amis. – Hé quoi! continua-t il, si je vous avais dit que je vous adore, que tout mon repos dépend des dispositions que vous avez pour moi; que je ne saurais plus vivre sans quelque certitude que je pourrai vous plaire un jour, le diriez-vous à vos amies? – Non, lui dis-je avec beaucoup d'embarras, je regarderais cette confidence comme une raillerie, et ne voulant pas la croire, je ne voudrais pas hasarder de la laisser croire à d'autres.»

      »L'on nous interrompit comme j'achevais ces mots; il me parut qu'il n'était guère content de ce que je lui avais répondu, et, peu de temps après, il trouva l'occasion de m'en faire des reproches.

      »Je ne pus les soutenir, et j'écoutai favorablement le penchant que j'avais pour lui; tout avait à mon gré une grâce particulière dans sa bouche, et il n'eut guère de peine à me persuader qu'il m'aimait plus que toutes les choses du monde.

      »Cependant le marquis de Los-Rios me trouvait si bien élevée, et toutes mes manières lui revenaient si fort, qu'il s'attacha uniquement à me plaire. Il avait de la délicatesse et ne pouvait se résoudre de ne me devoir qu'à la seule autorité de mes parents. Il comprenait assez qu'ils recevraient comme un honneur les intentions qu'il avait pour moi; mais il voulait que j'y consentisse avant que de s'adresser à eux.

      »Dans cette pensée, il me parla un jour, et me dit tout ce qu'il put imaginer de plus engageant. Je lui témoignai que je me ferais toujours un devoir indispensable d'obéir à mon père, que cependant nos âges étaient si différents, que je lui conseillais de ne point songer à moi; que j'aurais une éternelle reconnaissance des sentiments avantageux qu'il avait pour moi; que je lui accorderais toute mon estime, mais que je ne pouvais disposer que de cela en sa faveur. Après m'avoir entendue, il fut quelque temps sans parler, et prenant tout d'un coup une résolution fort généreuse: «Aimable Marianne, me dit-il, vous auriez pu me rendre le plus heureux homme du monde, et si vous aviez de l'ambition, je pourrais aussi la satisfaire; cependant vous me refusez, vous souhaitez d'être à un autre, j'y consens; j'ai trop d'amour pour balancer entre votre satisfaction et la mienne; je vous en fais donc un entier sacrifice, et je me retire pour jamais.» En achevant ces mots, il me quitta, et me parut si affligé, que je ne pus m'empêcher d'en être touchée.

      »Mendez arriva peu après et me trouva triste. Il me pressa si fort de lui en apprendre la cause, que je ne pus lui refuser cette preuve de ma complaisance. Un autre que lui m'aurait eu une sensible obligation de l'exclusion que je venais de donner à son rival; mais bien loin de m'en tenir compte, il me dit qu'il voyait dans mes yeux que je regrettais déjà un amant qui pouvait me mettre dans un rang plus élevé que lui, et qu'il y avait bien de la cruauté dans mon procédé. J'essayai inutilement de lui faire connaître l'injustice du sien; quoi que je puisse lui dire, il continua de me reprocher mon inconstance. Je restai surprise et chagrine de cette manière d'agir, et je demeurai plusieurs jours sans vouloir lui parler.

      »Il fit enfin réflexion qu'il n'avait pas de sujet de se plaindre; il vint me trouver, il me demanda pardon et me témoigna beaucoup de déplaisir de n'avoir pas été le maître de sa jalousie. Il s'excusa, comme font tous les amants, sur la force de sa passion. J'eus tant de faiblesse, que je voulus bien oublier la peine qu'il m'avait causée. Nous nous raccommodâmes, et il continua de me rendre des soins fort empressés.

      »Son père ayant appris la passion qu'il avait pour moi, crut qu'il ne pourrait lui procurer un mariage plus convenable; il lui en parla et vint ensuite trouver mon père pour lui en faire la proposition. Ils étaient amis depuis longtemps, il fut agréablement écouté, et il lui accorda avec plaisir ce qu'il souhaitait.

      »Mendez vint m'en apprendre la nouvelle avec des transports qui auraient semblé ridicules à tout autre qu'à une maîtresse. Ma mère m'ordonna d'avoir pour lui des égards; elle me dit que cette affaire m'était avantageuse, et qu'aussitôt que la flotte des Indes serait arrivée, où il avait un intérêt très-considérable, on conclurait le mariage.

      »Pendant que ces choses se passaient, le marquis de Los-Rios était retiré dans une de ses terres, où il ne voyait presque personne. Il menait une vie languissante qui le tuait; il m'aimait toujours, et s'empêchait de me le dire et de se soulager par cet innocent remède. Enfin, son corps ne put résister à l'accablement de son esprit, il tomba dangereusement malade; et sachant des médecins qu'il n'y avait pas d'espérance pour lui, il fit un effort pour m'écrire la lettre du monde la plus touchante, et il m'envoya en même temps une donation de tout son bien, au cas qu'il mourût. Ma mère se trouva dans ma chambre lorsqu'un gentilhomme me présenta ce paquet de sa part; elle voulut savoir ce qu'il contenait.

      »Je ne pus donc, à ce moment, m'empêcher de lui dire ce qui s'était passé, et nous fûmes l'une et l'autre dans la dernière surprise de l'extrême générosité du marquis. Elle lui manda que j'irais, avec ma famille, le remercier d'une libéralité que je n'avais point méritée, et en particulier elle me reprit fortement de lui avoir fait un mystère d'une chose que j'aurais dû lui dire sur-le-champ. Je me jetai à ses genoux, je m'excusai le moins mal qu'il me fut possible, et je lui témoignai tant de douleur de lui avoir déplu, qu'elle me pardonna facilement. Au sortir de ma chambre, elle fut trouver mon père, et lui ayant appris tout ce qui s'était passé, ils résolurent d'aller, le lendemain, voir le marquis, et de m'y mener.

      »Je le dis le soir à Mendez, et la crainte


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