Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3 - George Gordon Byron


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voguait toujours. Il passa près du rocher aride44 où la triste Pénélope venait contempler les flots de la mer; et plus loin il vit le promontoire célèbre qui devint le dernier refuge des amans et le tombeau de la Lesbienne. Infortunée Sapho, tes vers immortels ne pouvaient ils pas sauver ce cœur, animé d'une flamme immortelle? comment ne put-elle vivre, celle qui donnait la vie, si la lyre peut faire espérer une vie éternelle, seul ciel auquel les enfans de la terre puissent aspirer?

      40. C'était par une belle soirée d'un automne grec que Childe Harold salua le cap éloigné de Leucade: il avait vivement désiré voir ce lieu célèbre, qu'il quittait à regret. Souvent il avait contemplé des lieux qui furent le théâtre de la guerre; Actium, Lépante, le fatal Trafalgar45; il les avait contemplés sans être ému; car (né sous quelque étoile obscure et inglorieuse) il ne se plaisait point dans les sujets de guerres sanglantes ou d'exploits chevaleresques; il haïssait le métier de brave, et l'importance martiale n'obtenait de lui qu'un sourire de raillerie.

      41. Mais lorsqu'il vit l'étoile du soir briller au-dessus du triste rocher de Leucade, qui se projette au loin sur les flots; lorsqu'il salua ce dernier refuge de l'amour sans espoir46, Harold sentit ou crut sentir une émotion peu ordinaire; et pendant que le vaisseau glissait majestueusement sous l'ombre de cet antique rocher, il observait le mouvement mélancolique des vagues; et quoique absorbé dans les rêveries habituelles de sa pensée, son œil parut plus calme et son front pâle moins soucieux.

      42. L'aurore paraît, et avec elle les monts sauvages de l'Albanie, les sombres rochers de Souli, et la sommité centrale du Pinde, à demi voilée par les brouillards, arrosée par des ruisseaux de neige, que colorent des rayons de pourpre et d'azur, se dévoilent aux regards; et, à mesure que les nuages qui les environnent se dissipent, ils laissent voir la demeure du montagnard. Là, le loup hurle, l'aigle aiguise son bec; des oiseaux, des bêtes de proie et des hommes plus sauvages encore s'y disputent leur asile; là s'amoncellent ces orages qui éclatent avec une énergie convulsive dans les derniers mois de l'année.

      43. C'est là qu'Harold se sentit enfin seul, et dit un long adieu aux langues des nations chrétiennes. Il s'aventure dans une contrée inconnue que tous les voyageurs citent avec admiration, mais que la plupart n'osent visiter. Son cœur était armé contre le destin; ses besoins étaient peu nombreux; il ne cherchait point le péril, mais il ne reculait point devant lui. La scène était sauvage, mais elle était nouvelle; le désir d'en jouir lui rendit légères les fatigues continuelles du voyage, adoucit pour lui les froids rigoureux de l'hiver et les chaleurs excessives de l'été.

      44. Ici la croix rouge (car la croix y est encore debout, quoique outragée ignominieusement par les circoncis,) oublie cet orgueil si cher à ses pontifes. Ici le prêtre et le sectateur de son culte sont également méprisés. Superstition insensée! quelque déguisement que tu prennes, idole, saint, vierge, prophète, croissant, croix, quelque soit le symbole que tu veuilles offrir à l'adoration des hommes, tu n'es qu'un gain sacerdotal et une ruine pour le genre humain! Qui pourra séparer de l'or du vrai culte tes viles et misérables souillures?

      45. Contemplez le golfe d'Ambracie, où un monde fut perdu jadis pour une femme, chose aimable et innocente! C'est dans cette baie tranquille que les généraux romains et les rois de l'Asie47 réunirent leurs armées navales conduites à un triomphe douteux, mais à un carnage certain. Regardez! voilà l'endroit où s'élevaient les trophées du second César48! Ils se flétrissent maintenant comme les mains qui les érigèrent. Anarchistes qui portez des couronnes! vous multipliez les misères humaines! Dieu! as-tu créé ce monde pour être tour à tour perdu et gagné par de semblables tyrans?

      46. Depuis les sombres barrières de cette contrée hérissée de rochers, jusqu'au centre des vallées de l'Illyrie, Childe Harold traversa plusieurs montagnes majestueuses, dans des contrées à peine connues des géographes. Cependant on rencontre rarement dans l'Attique, si renommée, d'aussi rians vallons; et la belle Tempé ne pourrait pas s'enorgueillir d'un charme qui leur serait inconnu; le Parnasse lui-même, quoiqu'il soit un mont classique et consacré par la poésie, échouerait à effacer la majesté pompeuse de quelques-uns de ces monts qui se cachent derrière cette chaîne sombre de rochers.

      47. Il traversa le Pinde, le lac d'Achérusie49; et laissant de côté la capitale de la contrée, il continua sa route pour visiter le chef puissant de l'Albanie50, dont la volonté redoutable est la loi des lois; car d'une main sanglante il gouverne une nation turbulente et hardie; cependant il est encore çà et là quelque bande audacieuse de montagnards qui dédaignent son pouvoir, et de leur forteresse de rochers lançant au loin leurs défis, ne cèdent jamais qu'à l'or51.

      48. Monastique Zitza52! asile favorisé du ciel! quand de ta cime ombreuse nous portons nos regards autour de nous, sur nos têtes et à nos pieds, que de couleurs variées, que de charmes magiques nous découvrons alors! Rochers, rivières, forêts, montagnes, tout abonde en ces lieux; et le ciel le plus azuré est en parfaite harmonie avec ce tableau ravissant. En bas, le bruit sourd d'un torrent nous indique la chute d'une cataracte qui tombe entre des rochers suspendus, et dont le froissement perpétuel cause à l'ame une émotion pleine de charmes.

      49. Parmi les bosquets qui couronnent cette colline touffue environnée de montagnes qui s'élèvent en amphithéâtre, et au milieu desquelles elle ne paraît pas sans dignité, les blanches murailles du couvent brillent agréablement sur la hauteur. C'est là qu'habite l'affable Caloyer53, qui exerce avec empressement l'hospitalité; le passant y est toujours bienvenu, et il ne s'éloignera jamais de ces lieux sans émotion, s'il trouve ses délices à contempler les charmes de la nature.

      50. Qu'il y passe les jours de la saison brûlante; frais est le gazon que protège le feuillage de ces arbres séculaires; les brises viendront agiter autour de lui leurs ailes caressantes; il respirera l'air embaumé du ciel. La plaine se développe au loin. – Oh! qu'il jouisse des plaisirs innocens quand ils s'offrent à lui comme en ces lieux; les rayons dévorans du soleil, imprégnés d'un poison subtil, ne peuvent y pénétrer. Que le pélerin vienne s'y reposer de ses fatigues, et y admirer à loisir les splendeurs du matin, du soleil à son midi, et la beauté des soirs.

      51. Sombres, immenses et grandissant à la vue, amphithéâtre volcanique de la nature54, les Alpes de la Chimère se développent dans le vaste horizon. À leur pied se déploie une vallée pleine de mouvement et de vie; les troupeaux bondissent, les arbres s'agitent avec grâce; des ruisseaux l'arrosent en tous sens, et le sapin des montagnes se balance sur les hauteurs. Contemplez le noir Achéron55! consacré anciennement comme séjour des morts. Pluton! si c'est l'enfer que je vois, ferme les portes honteuses de ton Elysée, mon ombre ne cherchera point à le connaître.

      52. Les tours d'aucune ville ne viennent souiller cette délicieuse perspective; quoique peu éloignée, Yanina ne se laisse pas encore apercevoir; elle est voilée par un rideau de collines! Ici les hommes sont peu nombreux, les hameaux sont dispersés, et les cabanes solitaires sont très-rares. Mais la chèvre broute suspendue sur le bord de chaque précipice; et regardant d'un air pensif son troupeau dispersé, le petit berger, revêtu de sa blanche capote56, penche sa forme enfantine sur la pente du rocher, où, à l'approche de l'orage, il va dans sa grotte attendre que le court météore soit passé.

      53. O Dodone! où est ton antique forêt, ta source prophétique et ton oracle divin? Quelle est la vallée dont l'écho redisait les réponses de Jupiter? Quel vestige reste-t-il de l'autel du maître du tonnerre? Tout, tout est oublié! – et l'homme se plaindra de ce que les frêles liens qui l'attachent à la vie éphémère sont rompus? Cesse donc, insensé! tes lâches murmures.


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<p>44</p>

Ithaque.

<p>45</p>

Actium et Trafalgar n'ont pas besoin d'autre mention. La bataille de Lépante fut aussi sanglante et importante; mais elle est moins connue. Elle se donna dans le golfe de Patras: c'est là que l'auteur de don Quichote perdit sa main gauche.

<p>46</p>

Leucade, aujourd'hui Sainte-Maure. De son promontoire (le Saut-de-l'Amour), on dit que Sapho se précipita dans les flots.

<p>47</p>

On rapporte que le jour qui précéda la bataille d'Actium Antoine avait treize rois à son lever.

<p>48</p>

Nicopolis, dont les ruines sont très-étendues, est à quelque distance d'Actium; on y voit encore quelques fragmens des murs de l'Hippodrome.

<p>49</p>

Selon M. Pouqueville, c'est le lac de Yanina; mais Pouqueville est toujours inexact.

<p>50</p>

Le célèbre Ali-Pacha. On trouvera, sur cet homme extraordinaire, une notice incorrecte dans les Voyages de Pouqueville.

<p>51</p>

Cinq mille Souliotes, occupant les rochers et le château de Souli, résistèrent à trente mille Albanais, pendant dix-huit ans. Le château fut pris à la fin par trahison. Dans cette guerre il y eut beaucoup de traits dignes des meilleurs jours de la Grèce.

<p>52</p>

Le couvent et le village de Zitza sont à quatre heures de Yanina, ou de Joanina, la capitale du pachalik. Dans la vallée coule la rivière de Kalamas (autrefois l'Achéron), qui forme une belle cataracte non loin de Zitza. Le site est peut-être le plus beau de la Grèce, quoique les environs de Delvinachi et quelques parties de l'Étolie et de l'Acarnanie puissent lui disputer la palme. Delphes, le Parnasse, et, dans l'Attique, le cap Colonna et le port Raphti lui sont bien inférieurs, ainsi que plusieurs scènes de l'Ionie et de la Troade; et je suis très-porté à y ajouter les approches de Constantinople; mais la comparaison ne pourrait guère se soutenir avec les différentes perspectives de cette dernière ville.

<p>53</p>

Les moines grecs se nomment Caloyers.

<p>54</p>

Les monts chimariotes paraissent avoir été volcaniques.

<p>55</p>

L'Achéron se nomme aujourd'hui Kalamas.

<p>56</p>

Manteau albanais.