Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3 - George Gordon Byron


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belle Cadix! oui, adieu pour longtems! Qui peut oublier ta courageuse résistance? Quand tout, autour de toi, changeait de maître, toi seule tu restas fidèle. Tu fus la première à conquérir ta liberté, et la dernière à être vaincue; et si, au milieu de ces scènes si fortes, de ce choc si rude, le sang de quelques-uns de tes citoyens a coulé dans tes rues, un traître seul tomba sous le poignard27: là, tous furent nobles, excepté la noblesse elle-même; nul ne baisa le char du conquérant, excepté la Chevalerie dégénérée.

      86. Tels sont les enfans de l'Espagne; que leur destinée est étrange! Eux qui ne furent jamais libres combattent pour la liberté; peuple sans roi, qui meurt pour un état sans vigueur; quand les grands fuient, les vassaux combattent, fidèles aux plus lâches esclaves de la trahison, en chérissant une patrie qui ne leur donna rien que la vie. L'orgueil leur montre le chemin qui les mène à la liberté. Repoussés, dans les batailles, vaincus dans toutes les luttes, «la guerre! la guerre! s'écrient-ils encore; la guerre, même au couteau!28»

      87. Vous, qui voulez connaître l'Espagne et les Espagnols, allez lire leur histoire gravée partout en traits de sang. Tout ce que la vengeance la plus cruelle, animée contre un ennemi étranger, peut accomplir, est là employé contre la vie de l'homme. Depuis l'étincelant cimeterre jusqu'au poignard caché, la guerre se sert de toutes ces armes pour ses terribles luttes. – Puisse-t-elle sauver la sœur et l'épouse, et verser ainsi le sang de tous les oppresseurs! puissent tous les conquérans éprouver partout une pareille résistance!

      88. Ne s'échappe-t-il point des yeux une larme de pitié pour ceux qui ne sont plus? Voyez le ravage de ces plaines encore fumantes; voyez les mains des femmes rougies du sang de l'ennemi; qu'on livre aux chiens les cadavres inensevelis, ou que chaque corps serve de pâture au vautour. Quoique indignes de l'oiseau de proie, que leurs ossemens blanchis et la trace ineffaçable du sang marquent à jamais le champ de bataille de vestiges hideux; c'est ainsi seulement que nos enfans pourront croire aux scènes dont nous avons été témoins!

      89. Et pourtant, hélas! l'œuvre terrible n'est point encore achevé. De nouvelles légions débordent des Pyrénées; à peine a commencé la marche grandissante des invasions, et nul œil mortel n'en peut considérer la fin. Les nations abattues contemplent l'Espagne; si elle s'affranchit, elle affranchira plus de bras que Pizarre autrefois n'en avait enchaîné: étrange loi du sort! La félicité de la Colombie répare les injustices que subirent les enfans de Quito, tandis que sur la mère-patrie le meurtre avide de carnage est déchaîné.

      90. Ni tout le sang versé à Talavéra, ni les merveilles de la bataille de Bassora, ni Albuféra où la mort fut prodigue de victimes, n'ont pu conquérir à l'Espagne ses droits sacrés. Quand l'olivier fleurira-t-il dans ses champs? Quand respirera-t-elle de ses sanglans travaux? Combien de jours d'alarmes s'évanouiront-ils dans la nuit, avant que le ravisseur français abandonne sa dépouille, et que l'arbre étranger de la liberté soit naturalisé dans ses campagnes!

      91. Et toi, mon ami29! puisqu'une vaine douleur s'échappe de mon ame, et vient se mêler à mes chants, si du moins l'épée t'avait fait succomber avec les braves, l'orgueil pourrait empêcher l'amitié de se plaindre. Mais descendre ainsi sans laurier dans la tombe, oublié de tous, excepté de ce cœur solitaire, et te mêler sans blessures avec les ombres de ceux qui sont morts glorieusement, tandis que la renommée célèbre tant d'êtres si indignes! Qu'as-tu fait pour descendre si paisiblement dans la tombe?

      92. O le plus ancien et le plus estimé de mes amis! toi qui fus toujours aimé d'un cœur à qui on avait enlevé toutes ses affections; quoique tu sois à jamais perdu pour mes jours sans espoir, ne te refuse pas à venir me visiter dans mes songes! La tristesse renouvellera en secret les larmes de la conscience se réveillant à ses douleurs, et mon imagination planera sur ton cercueil inanimé, jusqu'à ce que mon corps fragile retourne à la poussière dont il a été formé, et que l'ami regretté et celui qui le pleure se réunissent dans le séjour du repos.

      93. Voilà un chant du pélerinage d'Harold; vous qui voulez chercher à le connaître davantage, vous en aurez des nouvelles dans quelques pages futures, si celui qui a rimé celles-ci ose encore écrire. Sévère critique, ne dis pas: C'est déjà trop! Patience! et vous entendrez le récit de ce que vit notre pélerin dans d'autres contrées où il fut condamné à errer; contrées qui renfermaient les monumens de l'antiquité avant que la Grèce et les arts grecs eussent été asservis par des mains barbares.

      Chant Deuxième

      1. Viens, jeune vierge du ciel, aux yeux bleus! – Mais, hélas! tu n'inspiras jamais un chant mortel! – Déesse de la sagesse! ici était ton temple; et ce temple est encore debout, en dépit des guerres, de la flamme dévorante30, et des siècles qui ont détruit ton culte. Mais quelque chose de pire que le fer, la flamme, et le cours des âges, c'est le sceptre redoutable et la cruelle domination de ces hommes qui n'ont jamais senti l'enthousiasme sacré que les pensées de toi et de tes enfans font naître dans les cœurs civilisés31.

      2. Ancienne des jours, auguste Athènes! où sont-ils tes hommes de génie, tes grandes ames32? Ils sont passés, et n'apparaissent plus qu'à travers le songe des choses qui ne sont plus. Les premiers dans la lice où brillait le prix de la gloire, ils l'ont conquis, et ont disparu… Est-ce là tout? N'y a-t-il là que le thème d'un écolier, l'admiration d'une heure! On cherche en vain l'épée du guerrier et le manteau du sophiste; sur chaque tour qui tombe en ruine, et qu'obscurcit le brouillard des âges, plane encore l'ombre pâle d'une grandeur passée.

      3. Fils de l'Orient, lève-toi! approche! viens! – mais n'outrage pas cette urne sans défense. Contemple ces lieux, – c'est le sépulcre d'une nation! le séjour des dieux dont les autels sont abandonnés!.. – Les dieux même sont forcés de céder! – Les religions disparaissent à leur tour: ici régnait celle de Jupiter; – aujourd'hui c'est celle de Mahomet. D'autres croyances naîtront avec d'autres siècles, jusqu'à ce que l'homme apprenne que c'est en vain que son encens s'élève sur les autels, qu'il offre de sanglans sacrifices; pauvre enfant du doute et de la mort, dont les espérances sont fondées sur des roseaux.

      4. Enchaîné à la terre, il lève ses yeux vers le ciel. – N'est-ce pas assez, créature malheureuse! de savoir que tu existes? Cette existence est-elle un don si précieux, pour que tu désires le prolonger au-delà de la tombe, et aller, tu ne sais où, dans des régions inconnues? heureux de fuir la terre, et de te mêler avec les cieux! Veux-tu toujours rêver de félicités et de malheurs à venir? Regarde et pèse cette poussière avant qu'elle soit jetée aux vents: cette urne en dit plus que mille homélies.

      5. Ou brise l'orgueilleux monument d'un héros qui n'est plus, et qui dort au loin sur le rivage solitaire33: il tomba, et des nations ébranlées par sa chute portèrent le deuil de son trépas. Mais aujourd'hui personne ne pleure sur sa tombe; nul soldat, observant un silence religieux, ne lui consacre ses veilles, dans ces lieux où, dit-on, des demi-dieux parurent. Prends cette tête desséchée parmi ces ossemens épars; est-ce là un temple digne d'être habité par un dieu? Le ver même dédaigne à la fin sa demeure réduite en poussière.

      6. Contemple sa voûte brisée, ses parois en ruines, son enceinte désolée, et ses portiques souillés: oui, ce fut pourtant la demeure orgueilleuse de l'ambition, le séjour de la pensée et le palais de l'ame. Regarde ces orbites sans yeux, cet asyle joyeux de la sagesse et de l'esprit, de la passion qui ne souffrait point de contrôle. Tout ce qu'ont jamais écrit les saints, les sages ou les sophistes, pourrait-il repeupler cette demeure solitaire ou lui rendre sa première forme?

      7. O le plus sage des enfans d'Athènes! C'était avec raison que tu disais: «Tout ce que nous savons, c'est que nous ne savons rien.» Pourquoi redouterions-nous ce que nous ne pouvons pas éviter? Chacun a ses douleurs; mais les hommes faibles gémissent sur des malheurs imaginaires nés de leurs cerveaux malades, comme si c'étaient


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<p>27</p>

Allusion à la conduite et à la mort de Solano, gouverneur de Cadix.

<p>28</p>

«La guerre au couteau!» réponse de Palafox à un général français au siége de Saragosse.

<p>29</p>

L'honorable J. W., officier aux gardes, qui mourut de la fièvre à Coïmbre. Je l'ai connu dix ans, la meilleure partie de sa vie, et la plus heureuse de la mienne.

Dans le court espace d'un mois, j'ai perdu celle qui m'avait donné l'existence, et la plupart de ceux qui me l'avaient rendue tolérable. Les vers suivans de Yung ne sont point pour moi une fiction.

Insatiable archer! Un ne te suffisait-il pas? Ta flèche part trois fois, et trois fois me perce le cœur; trois fois, avant que la lune eût rempli trois fois son croissant.

J'aurais dû consacrer quelques vers à la mémoire de Charles Skinner Matthews, agrégé du collége Downig à Cambridge, s'il n'avait pas été trop au-dessus de mes louanges. Les facultés de son esprit se sont montrées dans l'obtention des plus grands honneurs, contre de très-habiles candidats de Cambridge. Ces honneurs ont établi sa réputation où ils furent acquis; tandis que ses douces qualités vivent dans le souvenir de ses amis, qui l'aimaient trop pour lui envier sa supériorité.

<p>30</p>

Une partie de l'Acropolis fut détruite par l'explosion d'un magasin à poudre, pendant le siége des Vénitiens.

<p>31</p>

Nous pouvons tous éprouver ou imaginer le regret ou la tristesse avec laquelle on contemple les ruines des cités qui furent autrefois des capitales d'empires. Les réflexions que suggère un semblable sujet ont été faites trop souvent pour qu'il soit nécessaire de les reproduire ici. Mais jamais la petitesse de l'homme et la vanité de ses meilleures vertus, le patriotisme qui exalte son pays et la valeur qui le défend, n'apparaissent avec plus d'évidence que dans le souvenir de ce que fut Athènes et dans la certitude de ce qu'elle est aujourd'hui. Ce théâtre des luttes de factions puissantes, des disputes d'orateurs, de l'élévation et de la déposition des tyrans, du triomphe et de la condamnation des générations, est devenu aujourd'hui une scène de petites intrigues et de perpétuelles dissensions entre les agens tracassiers de certaine noblesse et gentilhommerie bretonne. «Les renards sauvages, les hiboux et les serpens, dans les ruines de Babylone,» étaient sûrement moins déprédateurs que de tels habitans. Les Turcs ont pour leur tyrannie l'excuse de leur conquête, et les Grecs n'ont fait que subir le sort de la guerre, que peuvent subir les peuples les plus braves. Mais comment seraient-ils coupables, quand deux peintres se disputent le privilége de dépouiller le Parthénon, et triomphent tour à tour, selon la teneur de chaque firman nouveau! Sylla put seulement punir, Philippe subjuguer, et Xerxès brûler Athènes: mais il restait à un pitoyable antiquaire et à ses misérables agens de la rendre aussi méprisable qu'eux-mêmes.

Le Parthénon, avant sa destruction partielle, durant le siége des Vénitiens, a été successivement un temple païen, une église et une mosquée. Sous chacun de ces rapports, il est un objet sérieux d'attention: il avait changé d'adorateurs; mais il était resté toujours un lieu d'adoration, trois fois consacré par le culte. Sa violation est un triple sacrilége. Mais:

L'homme, l'homme vain, revêtu d'une autorité éphémère, joue des tours si fantasques à la face du ciel, qu'il fait pleurer les anges.

<p>32</p>

Where are thy men of might? Thy grand in soul?

<p>33</p>

Ce ne fut pas toujours la coutume des Grecs de brûler leurs morts. Le grand Ajax en particulier fut enterré tout entier. La plupart des héros devenaient dieux après leur mort; mais on négligeait celui qui n'avait pas des jeux annuels sur sa tombe ou des fêtes instituées en son honneur par ses concitoyens, comme Achille, Brasidas, etc., et enfin même Antinoüs, dont la mort fut aussi héroïque que sa vie avait été infâme.