Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11 - George Gordon Byron


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l'an 1810 depuis que Jésus mourut pour les hommes, je faisais partie d'une brave troupe qui parcourait le pays à cheval, ou naviguait sur la mer. Oh! que nous allions d'un joyeux train, tantôt traversant la rivière à gué, tantôt gravissant la haute montagne. Jamais nos coursiers ne se reposaient pendant un jour: soit qu'une grotte et qu'une hutte nous servît d'asile, sur le lit le plus dur, nous jouissions d'un doux sommeil étendus sur notre grossière capote ou sur la planche plus grossière encore de notre léger bateau, la tête reposant sur nos selles en guise d'oreiller, nous ne nous en réveillions pas moins frais et dispos le lendemain. Nous donnions un libre essor à nos pensées, à nos paroles; nous avions en partage la santé et l'espérance, la fatigue, inséparable du voyage, mais nous ne connaissions pas le souci. Notre petite troupe était de toutes les langues, de toutes les croyances. Il y en avait qui disaient leurs chapelets, d'autres appartenaient à la mosquée, d'autres à l'église; quelques-uns, si je ne me trompe, n'appartenaient à rien. Enfin dans le monde entier on aurait cherché en vain une troupe plus joyeuse et plus bigarrée.

Mais les uns sont morts, les autres partis. Il y en a qui sont dispersés et solitaires dans ce monde, d'autres sont révoltés sur les montagnes qui dominent les vallées de l'Épire 13, où la liberté rallie encore ses forces par momens, et fait payer aux oppresseurs de leur sang les maux qu'ils lui ont faits. Quelques-uns sont dans de lointains pays, d'autres passent dans leurs foyers une vie inquiète, mais jamais plus ils ne se réuniront en troupe joyeuse pour courir le pays et se divertir.

Note 13: (retour) Les dernières nouvelles qui me sont parvenues de Dervish (un des Arnautes qui m'avaient suivi) m'ont appris qu'il s'était insurgé dans les montagnes, à la tête de quelques bandes qu'on trouve communément dans ce pays en tems de troubles.(Note de Byron.)

      Ces jours de fatigue s'envolaient gaiement, et maintenant quand je les vois se succéder d'une manière si triste, mes pensées, comme de légères hirondelles, traversent en l'effleurant l'Océan, et transportent de nouveau mon esprit, semblable à l'oiseau sauvage et fugitif, au milieu des espaces de l'air. Voilà ce qui sans cesse inspire mes chants, dans lesquels souvent, oh! trop souvent peut-être, j'implore ceux qui peuvent supporter mes vers, de me suivre dans cette terre lointaine.

      Étranger, veux-tu, m'accompagner maintenant et venir t'asseoir avec moi sur la montagne qui domine Corinthe?

      LETTRE CCXXXII

À M. MOORE

      5 janvier 1816

      «J'espère que Mrs. M. est entièrement rétablie. Ma petite fille est née le 10 décembre dernier; on l'a nommée Augusta Ada (le second de ces noms est très-ancien dans la famille, et n'a pas été porté, je crois, depuis le règne du roi Jean). Elle est venue au monde, et est encore très-grasse et en très-bon état: on dit même qu'elle est très-forte pour son âge. – Elle ne fait que crier et téter: – cela vous suffit-il? Quant à la mère; elle se porte très-bien, et elle a recommencé à se lever.

      »Il y a eu un an le 2 de ce mois que je suis marié-hélas! – Je n'ai vu personne depuis peu qui vaille la peine d'être cité, à l'exception de S*** et d'un autre général des Gaules, avec lesquels je me suis trouvé une ou deux fois à dîner dehors. S*** est un beau cavalier, à la tournure étrangère, à l'air scélérat et spirituel; au total, c'est un homme très-agréable. Son compatriote, qui est plus jeune que lui, tient plus du petit-maître; mais je ne lui crois pas les mêmes facultés intellectuelles qu'au Corse, car vous savez que S*** l'est, et de plus cousin de Napoléon.

      »Est-ce qu'on ne vous verra plus jamais en ville? À la vérité, il n'y a pas ici un seul des quinze cents individus qui remplissent ordinairement les salons où l'on étouffe, et qu'on appelle le monde à la mode. Nous avons été retenus ici par l'approche de ma paternité, afin d'y être à portée des médecins; et quant à moi, il m'est aussi indifférent d'être ici que partout ailleurs, de ce côté du détroit de Gibraltar.

»J'aurais fait avec joie, ou plutôt avec tristesse, le chant funèbre que vous me demandez pour la pauvre fille 14 en question; mais comment me serait-il possible d'écrire sur quelqu'un que je n'ai jamais vu ni connu? D'ailleurs vous le ferez bien mieux vous-même. Moi, je ne puis composer sur rien sans en avoir quelque expérience personnelle ou en connaître les bases, à plus forte raison sur un sujet de cette nature. Pour vous, vous avez tout cela; et vous ne l'auriez pas que votre imagination y suppléerait: – ainsi, vous ne pouvez jamais manquer de réussir.

Note 14: (retour) Je lui avais fait part d'un sujet digne d'exercer tout son talent pour le pathétique; c'était un triste événement qui venait de se passer dans mon voisinage, et auquel j'ai fait allusion moi-même dans une des Mélodies Sacrées: «Ne la pleurez pas.»(Note de Moore.)

      »Voilà un griffonnage bien insipide, et je suis moi-même un insipide personnage. Je suis absorbé par cinq cents réflexions contradictoires, quoique n'ayant en vue qu'un seul objet. – Mais n'importe, comme on dit quelque part, «l'azur du ciel s'étend sur tout le monde.» Je voudrais seulement que celui qui s'étend sur moi fût un peu plus bleu, un peu plus semblable «au ciel azuré avec lequel se confond le sommet bleuâtre de l'Olympe,» qui, par parenthèse, était tout blanc la dernière fois que je le vis.

      »Toujours tout à vous.»

      En lisant cette lettre, je fus frappé du ton de mélancolie qui y régnait; et sachant bien que celui qui l'écrivait avait coutume, lorsqu'il était tourmenté par quelque chagrin ou quelque dégoût, de chercher du soulagement dans ce sentiment de liberté qui lui disait qu'il existait pour lui au monde d'autres asiles, je crus apercevoir dans ses souvenirs du sommet bleuâtre de l'Olympe quelque retour de cet esprit inquiet et errant que le malheur ou l'irritation évoquait toujours en lui. Déjà, au moment où il m'envoya les vers mélancoliques: Il n'y a point de plaisir que le monde puisse donner, etc., etc., j'avais éprouvé quelque crainte vague sur cet accès d'abattement auquel je le voyais se livrer; et lui accusant réception de ses vers, j'avais cherché à l'en distraire par des plaisanteries. «Mais pourquoi donc retombez-vous ainsi dans l'ornière de la mélancolie, maître Stéphen? cela ne vaut rien du tout. – Il y aurait de quoi envoyer en diable tous les devoirs positifs de la vie, et il faut que vous lui disiez adieu. La jeunesse est le seul tems où l'on puisse être triste impunément; à mesure que la vie elle-même devient sérieuse et sombre, la seule ressource qui nous reste est d'être, autant que possible, tout le contraire.» Mon absence de Londres, pendant tout le cours de cette année, m'avait privé de pouvoir juger par moi-même du degré de bonheur que lui promettait sa situation domestique. Je n'avais rien appris non plus qui pût me porter à croire que le cours de sa vie conjugale fût moins paisible que ne le sont ordinairement de pareilles unions, du moins en apparence. Les expressions vives et affectueuses dont il s'était servi dans quelques-unes des lettres que j'ai données, pour m'assurer de son bonheur (assurance que sa franchise ne pouvait me rendre douteuse), avaient aussi puissamment contribué à calmer les craintes que le sort qu'il s'était choisi avait excitées en moi à la première vue. Je ne pus cependant m'empêcher de remarquer que ces indices d'un cœur content ne tardèrent pas à cesser. Il ne parla plus que rarement et avec réserve de la compagne de son existence, et quelques-unes de ses lettres me parurent empreintes d'un esprit d'inquiétude et d'ennui qui réveilla en moi toutes les sombres appréhensions avec lesquelles j'avais d'abord envisagé son sort. Cette dernière lettre surtout me frappa comme remplie des plus tristes présages; et dans le courant de ma réponse, je lui exprimai ainsi l'impression qu'elle avait faite sur moi. «Ainsi donc, il y a une année entière que vous êtes marie!

      »L'an dernier je te protestais encore cette douce impossibilité.

      »Savez-vous, mon cher B., qu'il y a quelque chose dans votre dernière lettre, une espèce d'inquiétude mystérieuse qui, jointe à l'absence totale de votre vivacité ordinaire, n'a cessé depuis de me tourmenter l'esprit de la manière la plus pénible? Il me tarde d'être près de vous pour connaître réellement ce que vous éprouvez, car ces lettres ne disent rien du tout, et un mot, a quattr'occhi, vaut mieux que des rames entières de correspondance.


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