La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac


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aperçut le vieillard la tête nue.

      En vous souvenant des figures de Barbé-Marbois, de Boissy-d'Anglas, de Morellet, d'Helvétius, de Frédéric-le-Grand, vous aurez aussitôt une image exacte de la tête du docteur Minoret, dont la verte vieillesse ressemblait à celle de ces personnages célèbres. Ces têtes, comme frappées au même coin, car elles se prêtent à la médaille, offrent un profil sévère et quasi puritain, une coloration froide, une raison mathématique, une certaine étroitesse dans le visage quasi pressé, des yeux fins, des bouches sérieuses, quelque chose d'aristocratique, moins dans le sentiment que dans l'habitude, plus dans les idées que dans le caractère. Tous ont des fronts hauts, mais fuyant à leur sommet, ce qui trahit une pente au matérialisme. Vous retrouverez ces principaux caractères de tête et ces airs de visage dans les portraits de tous les encyclopédistes, des orateurs de la Gironde, et des hommes de ce temps dont les croyances religieuses furent à peu près nulles, qui se disaient déistes et qui étaient athées. Le déiste est un athée sous bénéfice d'inventaire. Le vieux Minoret montrait donc un front de ce genre, mais sillonné de rides, et qui reprenait une sorte de naïveté par la manière dont ses cheveux d'argent, ramenés en arrière comme ceux d'une femme à sa toilette, se bouclaient en légers flocons sur son habit noir, car il était obstinément vêtu, comme dans sa jeunesse, en bas de soie noirs, en souliers à boucles d'or, en culotte de pou de soie, en gilet blanc traversé par le cordon noir, et en habit noir orné de la rosette rouge. Cette tête si caractérisée, et dont la froide blancheur était adoucie par des tons jaunes dus à la vieillesse, recevait en plein le jour d'une croisée. Au moment où la maîtresse de poste arriva, le docteur avait ses yeux bleus aux paupières rosées, aux contours attendris, levés vers l'autel: une nouvelle conviction leur donnait une expression nouvelle. Ses lunettes marquaient dans son paroissien l'endroit où il avait quitté ses prières. Les bras croisés sur sa poitrine, ce grand vieillard sec, debout dans une attitude qui annonçait la toute-puissance de ses facultés et quelque chose d'inébranlable dans sa foi, ne cessa de contempler l'autel par un regard humble, et que rajeunissait l'espérance, sans vouloir regarder la femme de son neveu, plantée presque en face de lui comme pour lui reprocher ce retour à Dieu.

      En voyant toutes les têtes se tourner vers elle, Zélie se hâta de sortir, et revint sur la place moins précipitamment qu'elle n'était allée à l'église; elle comptait sur cette succession, et la succession devenait problématique. Elle trouva le greffier, le percepteur et leurs femmes encore plus consternés qu'auparavant: Goupil avait pris plaisir à les tourmenter.

      – Ce n'est pas sur la place et devant toute la ville que nous pouvons parler de nos affaires, dit la maîtresse de poste, venez chez moi. Vous ne serez pas de trop, monsieur Dionis, dit-elle au notaire.

      Ainsi, l'exhérédation probable des Massin, des Crémière et du maître de poste allait être la nouvelle du pays.

      Au moment où les héritiers et le notaire allaient traverser la place pour se rendre à la poste, le bruit de la diligence arrivant à fond de train au bureau qui se trouve à quelques pas de l'église, en haut de la Grand'rue, fit un fracas énorme.

      – Tiens! je suis comme toi, Minoret, j'oublie Désiré, dit Zélie. Allons à son débarquer: il est presque avocat, et c'est un peu de ses affaires qu'il s'agit.

      L'arrivée d'une diligence est toujours une distraction; mais quand elle est en retard, on s'attend à des événements: aussi la foule se porta-t-elle devant la Ducler.

      – Voilà Désiré! fut un cri général.

      A la fois le tyran et le boute-en-train de Nemours, Désiré mettait toujours la ville en émoi par ses apparitions. Aimé de la jeunesse avec laquelle il se montrait généreux, il la stimulait par sa présence; mais ses amusements étaient si redoutés, que plus d'une famille fut très heureuse de lui voir faire ses études et son Droit à Paris. Désiré Minoret, jeune homme mince, fluet et blond comme sa mère, de laquelle il avait les yeux bleus et le teint pâle, sourit par la portière à la foule, et descendit lestement pour embrasser sa mère. Une légère esquisse de ce garçon prouvera combien Zélie fut flattée en le voyant.

      L'étudiant portait des bottes fines, un pantalon blanc d'étoffe anglaise à sous-pieds en cuir verni, une riche cravate bien mise, plus richement attachée, un joli gilet de fantaisie, et, dans la poche de ce gilet, une montre plate dont la chaîne pendait, enfin une redingote courte en drap bleu et un chapeau gris; mais le parvenu se trahissait dans les boutons d'or de son gilet et dans la bague portée par dessus des gants de chevreau d'une couleur violâtre. Il avait une canne à pomme d'or ciselé.

      – Tu vas perdre ta montre, lui dit sa mère en l'embrassant.

      – C'est fait exprès, répondit-il, en se laissant embrasser par son père.

      – Hé! bien, cousin, vous voilà bientôt avocat? dit Massin.

      – Je prêterai serment à la rentrée, dit-il en répondant aux saluts amicaux qui partaient de la foule.

      – Nous allons donc rire, dit Goupil en lui prenant la main.

      – Ah! te voilà, vieux singe, répondit Désiré.

      – Tu prends encore la licence pour thèse après ta thèse pour la licence, répliqua le clerc humilié d'être traité si familièrement en présence de tant de monde.

      – Comment! il lui dit qu'il se taise? demanda madame Crémière à son mari.

      – Vous savez tout ce que j'ai, Cabirolle! cria-t-il au vieux conducteur à face violacée et bourgeonnée. Vous ferez porter tout chez nous.

      – La sueur ruisselle sur tes chevaux, dit la rude Zélie à Cabirolle, tu n'as donc pas de bon sens pour les mener ainsi? tu es plus bête qu'eux!

      – Mais, monsieur Désiré voulait arriver à toute force pour vous tirer d'inquiétude…

      – Mais puisqu'il n'y avait point eu d'accident, pourquoi risquer de perdre tes chevaux? reprit-elle.

      Les reconnaissances d'amis, les bonjours, les élans de la jeunesse autour de Désiré, tous les incidents de cette arrivée et les récits de l'accident auquel était dû le retard, prirent assez de temps pour que le troupeau des héritiers augmenté de leurs amis arrivât sur la place à la sortie de la messe. Par un effet du hasard, qui se permet tout, Désiré vit Ursule sous le porche de la paroisse au moment où il passait, et resta stupéfait de sa beauté. Le mouvement du jeune avocat arrêta nécessairement la marche de ses parents.

      Obligée en donnant le bras à son parrain de tenir de la main droite son paroissien et de l'autre son ombrelle, Ursule déployait alors la grâce innée que les femmes gracieuses mettent à s'acquitter des choses difficiles de leur joli métier de femme. Si la pensée se révèle en tout, il est permis de dire que ce maintien exprimait une divine simplesse. Ursule était vêtue d'une robe de mousseline blanche en façon de peignoir, ornée de distance en distance de nœuds bleus. La pèlerine bordée d'un ruban pareil, passé dans un large ourlet et attachée par des nœuds semblables à ceux de la robe, laissait apercevoir la beauté de son corsage. Son cou, d'une blancheur mate, était d'un ton charmant mis en relief par tout ce bleu, le fard des blondes. Sa ceinture bleue à longs bouts flottants dessinait une taille plate, qui paraissait flexible, une des plus séduisantes grâces de la femme. Elle portait un chapeau de paille de riz, modestement garni de rubans pareils à ceux de la robe et dont les brides étaient nouées sous le menton, ce qui, tout en relevant l'excessive blancheur du chapeau, ne nuisait point à celle de son beau teint de blonde. De chaque côté de la figure d'Ursule, qui se coiffait naturellement elle-même à la Berthe, ses cheveux fins et blonds abondaient en grosses nattes aplaties dont les petites tresses saisissaient le regard par leurs mille bosses brillantes. Ses yeux gris, à la fois doux et fiers, étaient en harmonie avec un front bien modelé. Une teinte rose répandue sur ses joues comme un nuage animait sa figure régulière sans fadeur, car la nature lui avait à la fois donné, par un rare privilége, la pureté des lignes et la physionomie. La noblesse de sa vie se trahissait dans un admirable accord entre ses traits, ses mouvements et l'expression générale de sa personne qui pouvait servir de modèle à la Confiance ou à la Modestie. Sa santé, quoique brillante, n'éclatait point


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