La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac


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par sa bourse bleue à glands d'or, attira les regards de toutes les femmes.

      – Il lui a donné une nouvelle montre! dit madame Crémière en serrant le bras de son mari.

      – Comment, c'est là Ursule? s'écria Désiré. Je ne la reconnaissais pas.

      – Eh! bien, mon cher oncle, vous faites événement, dit le maître de poste en montrant toute la ville en deux haies sur le passage du vieillard, chacun veut vous voir.

      – Est-ce l'abbé Chaperon ou mademoiselle Ursule qui vous a converti, mon oncle? dit Massin avec une obséquiosité jésuitique en saluant le docteur et sa protégée.

      – C'est Ursule, dit sèchement le vieillard en marchant toujours comme un homme importuné.

      Quand même la veille en finissant son whist avec Ursule, avec le médecin de Nemours et Bongrand, à ce mot: «J'irai demain à la messe!» dit par le vieillard, le juge de paix n'aurait pas répondu: «Vos héritiers ne dormiront plus!» il devait suffire au sagace et clairvoyant docteur d'un seul coup d'œil pour pénétrer les dispositions de ses héritiers à l'aspect de leurs figures. L'irruption de Zélie dans l'église, son regard que le docteur avait saisi, cette réunion de tous les intéressés sur la place, et l'expression de leurs yeux en apercevant Ursule, tout démontrait une haine fraîchement ravivée et des craintes sordides.

      – C'est un fer à vous (affaire à vous), mademoiselle, reprit madame Crémière en intervenant aussi par une humble révérence. Un miracle ne vous coûte guère.

      – Il appartient à Dieu, madame, répondit Ursule.

      – Oh! Dieu, s'écria Minoret-Levrault, mon beau-père disait qu'il servait de couverture à bien des chevaux.

      – Il avait des opinions de maquignon, dit sévèrement le docteur.

      – Eh! bien, dit Minoret à sa femme et à son fils, vous ne venez pas saluer mon oncle?

      – Je ne serais pas maîtresse de moi devant cette sainte nitouche, s'écria Zélie en emmenant son fils.

      – Vous feriez bien, mon oncle, disait madame Massin, de ne pas aller à l'église sans avoir un petit bonnet de velours noir, la paroisse est bien humide.

      – Bah! ma nièce, dit le bonhomme en regardant ceux qui l'accompagnaient, plus tôt je serai couché, plus tôt vous danserez.

      Il continuait toujours à marcher en entraînant Ursule, et se montrait si pressé qu'on les laissa seuls.

      – Pourquoi leur dites-vous des paroles si dures? ce n'est pas bien, lui dit Ursule en lui remuant le bras d'une façon mutine.

      – Avant comme après mon entrée en religion, ma haine sera la même contre les hypocrites. Je leur ai fait du bien à tous, je ne leur ai pas demandé de reconnaissance; mais aucun de ces gens-là ne t'a envoyé une fleur le jour de ta fête, la seule que je célèbre.

      A une assez grande distance du docteur et d'Ursule, madame de Portenduère se traînait en paraissant accablée de douleurs. Elle appartenait à ce genre de vieilles femmes dans le costume desquelles se retrouve l'esprit du dernier siècle, qui portent des robes couleur pensée, à manches plates et d'une coupe dont le modèle ne se voit que dans les portraits de madame Lebrun; elles ont des mantelets en dentelles noires, et des chapeaux de formes passées en harmonie avec leur démarche lente et solennelle: on dirait qu'elles marchent toujours avec leurs paniers, et qu'elles les sentent encore autour d'elles, comme ceux à qui l'on a coupé un bras agitent parfois la main qu'ils n'ont plus; leurs figures longues, blêmes, à grands yeux meurtris, au front fané, ne manquent pas d'une certaine grâce triste, malgré des tours de cheveux dont les boucles restent aplaties; elles s'enveloppent le visage de vieilles dentelles qui ne veulent plus badiner le long des joues; mais toutes ces ruines sont dominées par une incroyable dignité dans les manières et dans le regard. Les yeux ridés et rouges de cette vieille dame disaient assez qu'elle avait pleuré pendant la messe. Elle allait comme une personne troublée, et semblait attendre quelqu'un, car elle se retourna. Or madame de Portenduère se retournant était un fait aussi grave que celui de la conversion du docteur Minoret.

      – A qui madame de Portenduère en veut-elle? dit madame Massin en rejoignant les héritiers pétrifiés par les réponses du vieillard.

      – Elle cherche le curé, dit le notaire Dionis qui se frappa le front comme un homme saisi par un souvenir ou par une idée oubliée. J'ai votre affaire à tous, et la succession est sauvée! Allons déjeuner gaiement chez madame Minoret.

      Chacun peut imaginer l'empressement avec lequel les héritiers suivirent le notaire à la poste. Goupil accompagna son camarade bras dessus bras dessous en lui disant à l'oreille avec un affreux sourire: – Il y a de la crevette.

      – Qu'est-ce que cela me fait! lui répondit le fils de famille en haussant les épaules, je suis amoureux-fou d'Esther, la plus céleste créature du monde.

      – Qu'est-ce que c'est qu'Esther tout court? demanda Goupil. Je t'aime trop pour te laisser dindonner par des créatures.

      – Esther est la passion du fameux Nucingen, et ma folie est inutile, car elle a positivement refusé de m'épouser.

      – Les filles folles de leur corps sont quelquefois sages de la tête, dit Goupil.

      – Si tu la voyais seulement une fois, tu ne te servirais pas de pareilles expressions, dit langoureusement Désiré.

      – Si je te voyais briser ton avenir pour ce qui doit n'être qu'une fantaisie, reprit Goupil avec une chaleur à laquelle Bongrand eût peut-être été pris, j'irais briser cette poupée comme Varney brise Amy Robsart dans Kenilworth! Ta femme doit être une d'Aiglemont, une mademoiselle du Rouvre, et te faire arriver à la députation. Mon avenir est hypothéqué sur le tien, et je ne te laisserai pas commettre de bêtises.

      – Je suis assez riche pour me contenter du bonheur, répondit Désiré.

      – Eh! bien, que complotez-vous donc là? dit Zélie à Goupil en hélant les deux amis restés au milieu de sa vaste cour.

      Le docteur disparut dans la rue des Bourgeois, et arriva tout aussi lestement qu'un jeune homme à la maison où s'était accompli, pendant la semaine, l'étrange événement qui préoccupait alors toute la ville de Nemours, et qui veut quelques explications pour rendre cette histoire et la communication du notaire aux héritiers parfaitement claires.

      Le beau-père du docteur, le fameux claveciniste et facteur d'instruments Valentin Mirouët, un de nos plus célèbres organistes, était mort en 1785, laissant un fils naturel, le fils de sa vieillesse, reconnu, portant son nom, mais excessivement mauvais sujet. A son lit de mort, il n'eut pas la consolation de voir cet enfant gâté. Chanteur et compositeur, Joseph Mirouët, après avoir débuté aux Italiens sous un nom supposé, s'était enfui avec une jeune fille en Allemagne. Le vieux facteur recommanda ce garçon, vraiment plein de talent, à son gendre, en lui faisant observer qu'il avait refusé d'épouser la mère pour ne faire aucun tort à madame Minoret. Le docteur promit de donner à ce malheureux la moitié de la succession du facteur, dont le fonds fut acheté par Érard. Il fit chercher diplomatiquement son beau-frère naturel, Joseph Mirouët; mais Grimm lui dit un soir qu'après s'être engagé dans un régiment prussien, l'artiste avait déserté prenant un faux nom et déjouait toutes les recherches.

      Joseph Mirouët, doué par la nature d'une voix séduisante, d'une taille avantageuse, d'une jolie figure, et par-dessus tout compositeur plein de goût et de verve, mena pendant quinze ans cette vie bohémienne que le Berlinois Hoffmann a si bien décrite. Aussi, vers quarante ans, fut-il en proie à de si grandes misères, qu'il saisit en 1806 l'occasion de redevenir Français. Il s'établit alors à Hambourg, où il épousa la fille d'un bon bourgeois, folle de musique, qui s'éprit de l'artiste dont la gloire était toujours en perspective, et qui voulut s'y consacrer. Mais après quinze ans de malheur, Joseph Mirouët ne sut pas soutenir le vin de l'opulence; son naturel dépensier reparut; et, tout en rendant sa femme heureuse, il dépensa sa fortune en peu d'années. La misère revint. Le ménage dut avoir traîné l'existence la plus horrible pour que Joseph Mirouët en arrivât à s'engager


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