La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne

La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne


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de lui en faire ce soir mes remercîments…»

«À Versailles, ce 27 juin 1781.

      »J'ai été à Trianon ce matin voir Madame Élisabeth avec quelque curiosité, parce que tout Paris disoit que l'Empereur y étoit et qu'il alloit l'épouser. Il n'en est pas un mot; il est toujours à Bruxelles, et il n'est pas même certain qu'il vienne ici. Ainsi ma tête a bien trotté inutilement…

      »J'allois oublier de te dire la nouvelle que M. de Castries est venu annoncer ce matin à la Reine: il y a eu un combat entre l'amiral Rodney et M. de Grasse. L'amiral a eu cinq de ses vaisseaux coulés à fond, deux autres mis en fort mauvais état. Le convoi est arrivé sans le plus petit accident, et M. de Grasse a perdu fort peu de monde. Mon regret est qu'il n'ait pas pu prendre l'amiral, cela auroit mis le comble à ses exploits. Je voudrois bien que quelques affaires de ce genre forçassent les Anglois à faire la paix…

      »Ce mariage de Madame Élisabeth m'a bien occupée. Car enfin, si elle étoit heureuse, quel bonheur ce seroit pour moi de la savoir contente, et de ne plus te quitter! Quant à ta fortune, elle pourroit y aider encore davantage étant impératrice; et ne plus te quitter, ne comptes-tu cela pour rien? Mon Dieu! cela n'arrivera jamais, ma destinée est de ne te pas voir la moitié de ma vie: cela est affreux; cette perspective me cause un chagrin que je ne puis te rendre. Il y a des moments où la maladie du pays me prend, où je pleure, je me désespère, où je suis tentée de laisser ma place, tout ce que je puis espérer, pour m'en aller avec toi. La raison, la reconnoissance que je dois à Madame Élisabeth, me font revenir de cette espèce de délire; mais la raison empêche de faire des sottises, et ne rend pas plus heureux pour cela ceux qui l'écoutent. C'est l'effet qu'elle produit sur moi; je m'ennuie prodigieusement, je ne te le dissimule pas, et si le bon Dieu et toi ne m'avoient donné Bombon, je t'assure que je ne resterois pas ici.»

«À Versailles, ce 2 juillet 1781, à neuf heures du soir.

      »Je me suis bien amusée ce soir: j'ai été avec ma petite belle-sœur et madame de Clermont à la Comédie, où Madame Élisabeth étoit avec la Reine. On a donné Tom Jones et l'Amitié à l'épreuve. Madame Saint-Huberti, une fameuse de l'Opéra, a fait les deux principaux rôles. Je me suis en allée au commencement de la seconde pièce endormir mon petit Bombon, qui est actuellement paisiblement endormi dans son berceau. J'avoue que si la crainte que Bombon n'eût trop envie de dormir ne m'avoit distraite du plaisir que j'avois au spectacle, rien dans le monde n'eût pu m'en arracher, car le commencement de l'Amitié à l'épreuve, que je ne connois pas, m'a paru charmant; mais j'ai été bien dédommagée en voyant mon petit enfant qui étoit fort content de mon retour…»

«À Versailles, ce 14 juillet 1781.

      »Sais-tu les grandes nouvelles? On dit que M. de Grasse a repris Sainte-Lucie; qu'il a coulé à fond deux vaisseaux de l'escadre de Hodges, et qu'il en a pris deux. Cela est si beau que je ne le croirai que lorsque nous le saurons par M. de Grasse lui-même. Jusqu'à présent nous ne le croyons que sur le rapport de papiers anglois, qui s'amusent peut-être à écrire de mauvaises nouvelles pour eux afin de nous causer de fausses joies…

      »C'est demain soir que la Reine et Madame Élisabeth partent pour Trianon…»

      Les lettres qui suivent sont animées par le sentiment si touchant et si vrai de l'amour maternel, qui de génération en génération recommence son doux et immortel poëme auprès de tous les berceaux; en même temps, on y voit s'éclipser l'espoir d'un mariage de Madame Élisabeth avec l'Empereur, qui avait un moment lui aux regards de son incomparable amie.

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      1

      Un contemporain de Madame Élisabeth, un témoin oculaire de ses vertus, l'abbé Proyart, qui, dans les plus mauvais jours de la Révolution, s'était retiré à Bruxelles, eut le sentiment de la haute mission réservée par la Providence à Madame Élisabeth. En lui adressant la Vie de Madame Louise de France, la pieuse carmélite, livre qui allait chercher la pieuse captive dans la tour du Temple après la mort du Roi et de la Reine, il lui écrivait la lettre suivante, où éclatent d'une manière vraiment sublime le respect, l'admiration, la vénération sans égale qu'inspirait Madame Élisabeth au plus vertueux de ses contemporains.

«À Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI

      »Madame,

      »Un ordre de la Providence, dont vous nous apprenez si bien à adorer les justes rigueurs, ne me permet pas de m'honorer de votre agrément en vous faisant hommage de la vie de Madame Louise. Mais tout me répond, Madame, de l'accueil que recevra l'ouvrage, quelle que soit la main officieuse qui se charge de l'introduire dans la solitude que vous habitez. L'histoire d'une princesse chrétienne de la France, d'une âme courageuse qui étonna son siècle par la générosité de son sacrifice, et qui, déjà connue dans le monde par l'éclat de ses vertus, devint plus célèbre encore dans la demeure obscure où l'esprit de Dieu l'avait conduite, voilà, Madame, ce qui prête des rapprochements qui, pour échapper aux yeux de la piété modeste, n'en seront pas moins saisis avec l'intérêt le plus touchant par tous les cœurs français. Vivez donc, ange de la France, digne émule de l'ange du Carmel, vivez. Vivez pour vous, vivez pour la patrie; vivez pour les têtes précieuses que le bon Louis vous recommandait en mourant. Remplissez la tâche glorieuse que le Ciel vous impose, de perpétuer les vertus héroïques dans la maison de saint Louis.

»Je suis avec le plus profond respect, »De Madame Élisabeth »Le très-humble et très-obéissant serviteur.»L'abbé Proyart.»

      2

      La substitution de Loizerolles père à son fils n'est restée un doute pour personne; Fouquier, dans son procès, fut obligé d'en convenir, et il rejeta la faute sur son substitut Lieudon.

      «La déclaration de Loizerolles fils sur le dévouement de son père, rapporte M. Berriat-Saint-Prix, fut extrêmement touchante. Longtemps il avait ignoré ce sublime sacrifice. Mis en liberté avec sa mère le 6 brumaire an III (27 octobre 1794), quelques jours après, il l'apprit d'un ancien curé de Champigny, le sieur Pranville, d'abord enfermé à Saint-Lazare, puis à la Conciergerie, et que le 9 thermidor avait sauvé. «Embrassez-moi, dit Pranville au fils Loizerolles, nous sommes deux malheureux échappés du naufrage. Savez-vous qui vous a sauvé la vie? C'est votre père, et voici ses dernières paroles: Ces gens-là sont si bêtes, ils vont si vite en besogne, qu'ils n'ont pas le temps de regarder derrière eux. Il ne leur faut que des têtes; peu leur importe lesquelles, pourvu qu'ils aient leur nombre; au surplus, je ne fais pas de tort à mon fils, tout le bien est à sa mère. Si, au milieu de ces orages, il arrive un jour serein, mon fils est jeune, il en profitera; je persiste dans ma résolution.»

      »Loizerolles fils avait peine à comprendre un pareil dévouement. Le lendemain il en eut la preuve. Traversant le pont de l'Hôtel-Dieu, il vit son arrêt de mort affiché parmi plusieurs autres; cet extrait était conforme au jugement du tribunal; le père condamné, c'était le fils qui était resté dans cet acte. Avec la permission d'une patrouille,


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