Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier. Du Casse Albert

Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier - Du Casse Albert


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de Mairet, joué en 1627, le duc couche avec sa maîtresse en plein théâtre; et cependant cela ne fit nullement scandale, les plus honnêtes femmes allaient voir cette comédie.

      Le même auteur dans sa Silvanire, jouée en 1625, nous offre un exemple frappant du jargon sentimental que le spectateur non-seulement souffrait mais préférait à tout autre, depuis l'apparition des longs et sots romans d'amour.

      Silvanire exposant la lutte de son amour et de son devoir, s'écrie:

      Ah! si comme le front, ce cœur était visible,

      Ce cœur qu'injustement tu nommes insensible,

      Voyant en mes froideurs et mes soupirs ardents,

      La Scythie en dehors, et l'Afrique en dedans,

      Tu dirais que l'honneur et l'amour l'ont placée

      Sous la zone torride et la zone glacée.

      Et qu'on ne s'y trompe pas, Mairet non-seulement n'était pas le seul qui usât aussi largement et d'une façon aussi ridicule du galimatias sentimental, mais encore c'était un poëte d'un certain mérite.

      Le théâtre de cette époque lui doit une douzaine de tragédies ou de tragi-comédies dont plusieurs ont de la valeur. Bien qu'il se soit cru obligé de sacrifier à quelques usages de son siècle, il sut aussi en réformer plusieurs. Il y a de ses ouvrages dramatiques qui sont dans toute la rigueur des règles. De belles pensées, des vers quelquefois heureux, en recommandent d'autres à la bienveillance. Mairet, s'il eût vécu à une autre époque, eût pu atteindre à une sorte d'élévation. Toutefois il eût mieux peint les passions terribles, telles que la vengeance, la fureur, que la tendresse et l'amour. Lorsqu'il se jette dans le sentiment, il tombe dans le lascif ou dans le pédantesque9. L'amant appellera sa maîtresse son soleil, et elle, soutiendra qu'elle est sa lune parce qu'elle tire de lui tout son éclat; puis tous les deux, sur la scène, se livreront aux ébats de leur mutuelle affection. Mais il est un point pour lequel Mairet fait école, c'est l'habileté de la mise en scène, et l'effet calculé de situations neuves et pleines d'intérêt. Son esprit était inventif, et quoique ses pièces ne soient pas restées longtemps au théâtre et ne lui aient guère survécu, son nom ne saurait être passé sous silence.

      Avant lui, bien qu'il n'ait composé qu'une longue pastorale avec prologue, les Bergères, Racan acquit une véritable célébrité, tant cette pastorale eut de succès et de retentissement. Ce fut en 1616 qu'on donna cette pièce pour la première fois; elle conquit la plus prodigieuse admiration du public, et cependant le style et les pensées brillent par leur naïveté plutôt que par tout autre mérite: qu'on en juge. Sa bergère, racontant les premières impressions de l'amour, s'écrie:

      Je n'avais pas douze ans, quand la première flamme

      Des beaux yeux d'Alidor s'alluma dans mon âme;

      Mais ignorant le feu qui depuis me brûla,

      Je ne pouvais juger d'où me venait cela.

      Soit que, dans la prairie, il vît ses brebis paître;

      Soit que sa bonne grâce au bal le fit paraître,

      Je le suivais partout de l'esprit et des yeux.

      Il m'appelait ma sœur, je l'appelais mon frère,

      Nous mangions même pain au logis de mon père.

      Cependant qu'il y fût, nous vécûmes ainsi.

      Tout ce que je voulais, il le voulait aussi.

      Il m'ouvrait ses pensers jusqu'au fond de son âme;

      De baisers innocents il nourrissait ma flamme;

      Mais dans ces privautés dont l'Amour nous masquait,

      Je me doutais toujours de celle qui manquait.

      En 1606 Pierre Nancel avait fait jouer dans la même année trois tragédies, Débora, Dina et Josué, tirées toutes les trois de l'Histoire sainte. Cette réminiscence des anciens mystères a ceci de remarquable que ce sont les premières pièces où l'on voit, en France, des combats, des batailles livrées sur la scène. Après la révolution de 1789, sous le premier Empire et surtout depuis, ce genre dramatique que l'on appelle à grand spectacle a pris un accroissement considérable; mais alors c'était une innovation, que du reste aucun auteur ne voulut imiter.

      Un auteur dramatique dont la grande fécondité n'était pas le seul mérite, quoi qu'en dise le satirique Boileau, commença vers l'année 1625 à donner des ouvrages au théâtre. Nous voulons parler de Scudéry, qui composa et fit jouer plus de trente pièces presque toutes assez longues. Né en 1601 au Havre, dont son père était gouverneur, Scudéry, d'une famille noble originaire de Naples, voyagea longtemps, puis entra au régiment des gardes, obtint le gouvernement de Notre-Dame à Marseille et mourut académicien. Ayant une imagination vive, ardente, élevée mais trop féconde, il se livrait aveuglément à sa facilité d'écrire. Aussi ses œuvres sont-elles entachées de nombreux défauts que rachètent quelques qualités, telles que de l'esprit, des tours pleins de hardiesse, des situations heureuses, variées à l'infini, intéressantes. Son style est décent et ses personnages sont toujours convenables, ce qui était bien rare à cette époque, comme nous l'avons fait remarquer déjà. Scudéry ayant beaucoup voyagé, avait la mémoire ornée d'une foule d'aventures romanesques, d'histoires singulières, de traits bizarres, d'idées amusantes, de telles sortes que les intrigues étaient pour lui tout ce qu'il y avait de plus facile à nouer et à dénouer. Au commencement du dix-septième siècle, ce n'était pas là un défaut, au contraire, aussi a-t-il eu parmi ses contemporains de nombreux admirateurs.

      La première pièce donnée par Scudéry, Ligdamon et Lidias (1629), tragi-comédie tirée, comme bien d'autres, de l'éternel roman d'Astrée, a une préface trop singulière pour que nous n'en parlions pas. L'auteur se donne pour un homme au poil et à la plume et dit: «J'ai passé plus d'années parmi les armes que d'heures dans mon cabinet, et beaucoup plus usé de mèches en arquebuse qu'en chandelle, de sorte que je sais mieux ranger les soldats que les paroles, et mieux quarrer les bataillons que les périodes.»

      Il faut avouer qu'il eût bien mérité que le public le renvoyât à ses mèches d'arquebuse et à ses bataillons, surtout lorsque Sylvie la bergère, refusant le don du cœur qu'on lui offre, répond, en vraie gourgandine:

      Qu'il garde ce beau don, pour moi je le renvoie:

      Je ne veux point passer pour un oiseau de proie.

      Qui se nourrit de cœurs, et ce n'est mon dessein

      De ressembler un monstre ayant deux cœurs au sein.

      On en conviendra, Sylvie la bergère a un langage de soldat aux gardes. Il est vrai de dire que l'amoureux Ligdamon s'y prend d'une façon singulière pour se faire adorer, voilà sa déclaration à la bergère:

      Lorsque le temps vengeur, qui vole diligent,

      Changera ton poil d'or en des filons d'argent,

      Que l'humide et le chaud manquant à ta poitrine,

      Accroupie au foyer t'arrêteront chagrine;

      Que ton front plus ridé que Neptune en courroux,

      Que tes yeux enfoncés n'auront plus rien de doux,

      Et que, si dedans eux quelque splendeur éclate,

      Elle prendra son être en leur bord d'écarlate;

      Que tes lèvres d'ébène et tes dents de charbon,

      N'auront plus rien de beau, ne sentiront plus bon;

      Que ta taille si droite et si bien ajustée,

      Se verra comme un temple en arcade voûtée;

      Que tes jambes seront grêles comme roseau;

      Que tes bras deviendront ainsi que des fuseaux;

      Que dents, teint et cheveux restant sur la toilette,

      Tu


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Voici un exemple frappant de ce que nous avançons: dans sa pastorale de Silvie, le berger dit à la bergère: