Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier. Du Casse Albert

Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier - Du Casse Albert


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et surchargés de personnages épisodiques inutiles au sujet, il y a du moins plusieurs de ses comédies qui sont bien conduites. Ses tragédies de Venceslas, d'Antigone, d'Hercule mourant, de Bélisaire, d'Iphigénie et de Cosroës ont du mérite, même à côté de celles de Pierre Corneille. Si l'on trouve dans ses compositions des vers secs, durs, allant quelquefois jusqu'au barbare et au burlesque (ce qui ne déplaisait pas encore au public d'alors), on y rencontre aussi des vers aisés, naturels, coulants, exprimant de belles pensées.

      Dans les Occasions perdues, représentée en 1631, il y a une scène de bonne comédie qui ne serait pas déplacée de nos jours.

      La reine de Naples éprise de Cloriman, mais ne voulant voir ce dernier que par l'entremise d'Isabelle sa confidente, la charge de le séduire pour elle, et lui dit:

      – Feins de brûler pour lui d'une ardeur sans seconde

      – Mais en feignant, Madame, un feu si véhément,

      Il faut donc me résoudre à perdre mon amant?

      – Simple, qui ne sait pas qu'à la fille avisée,

      Abuser tous les cœurs est une chose aisée.

      Telle en trahit un cent, et se fait aimer d'eux;

      Et tu n'espères pas d'en pouvoir tromper deux?

      Isabelle s'empresse d'expliquer à la reine comment elle s'y prendra pour toucher le cœur de Cloriman:

      Mes yeux, pour commencer, apprendront de ma glace,

      Avec quels mouvements ils auront plus de grace.

      Par quels ris je pourrai m'acquérir plus de vœux,

      Et par quelle frisure embellir mes cheveux.

      Pour rendre à mes désirs son âme résignée,

      S'il vous plaît, j'emploierai le fard et la saignée.

      Mes mains emprunteront la blancheur des onguents:

      Je veux, pour les polir, avoir au lit des gants.

      Je consens qu'un tailleur inventif et fidèle,

      Pour me rendre le port et la taille plus belle

      N'épargne en mes habits ni baleine, ni fer,

      Et me serre le corps jusques à m'étouffer.

      Je parlerai toujours de soupirs et de flamme

      A ce jeune étranger qui vous a ravi l'âme.

      Je n'épargnerai point les pas de cent valets,

      Et mille cœurs navrés empliront mes poulets.

      Je m'y qualifierai du nom de prisonnière;

      Lui, du nom de mon tout, de ma seule lumière.

      Ce ne seront qu'amours, que soupirs et que vœux;

      Je les cachetterai de mes propres cheveux.

      Je verserai des pleurs; il me verra malade,

      Si quelqu'autre en obtient seulement une œillade.

      – Ma mignonne, tout beau: c'est trop bien m'obéir.

      En pensant m'obliger, tu pourrais me trahir.

      Le chef-d'œuvre de Rotrou est sa tragédie de Venceslas, jouée en 1648, deux ans avant sa mort, retouchée en 1759, plus d'un siècle après lui, par M. Marmontel, et donnée la seconde fois à la scène avec beaucoup moins de succès que la première. Rotrou venait à peine de terminer le dernier acte de son Venceslas, dont il était, avec raison, fort satisfait, qu'il fut se livrer à sa passion du jeu. La chance lui étant défavorable, il perdit une somme assez peu élevée, mais enfin qu'il ne put payer de suite. On l'arrêta, on le conduisit en prison. Le malheureux poëte ne savait où donner de la tête, lorsqu'il songea à son Venceslas.

      Il envoya chercher les comédiens et leur offrit sa tragédie pour vingt pistoles. Ce n'était pas cher; on s'empressa d'accepter, il sortit de prison, et la pièce eut un succès tel que les acteurs lui firent un beau présent. C'est par le rôle de Venceslas que Baron, le célèbre comédien, fit sa seconde rentrée au théâtre, trente ans après l'avoir abandonné, et c'est par ce même rôle qu'il quitta la scène pour n'y plus paraître. Il était temps, car il ne put achever son rôle. Il avait à peine déclamé ce vers:

      Si proche du cercueil où je me vois descendre.

      que son asthme l'empêcha de continuer.

      Plus d'un poëte venu longtemps après Rotrou, lui emprunta des pensées, des vers et même des scènes et des pièces. Ainsi, outre son Venceslas repris par Marmontel, Regnard, en 1705, se servit de ses Ménechmes, joués en 1632; Racine utilisa, dans sa Thébaïde, l'Antigone représentée en 1638; Tristan retoucha son Amarillis; M. d'Ussé fit de même en 1704, pour Cosroës donné au théâtre en 1648. Il est vrai de dire que dans cette dernière tragédie, les plus beaux vers sont du second auteur, comme, par exemple, ceux-ci dans une scène du quatrième acte:

      Fatale illusion, fantôme de grandeur,

      Éblouissant éclat dont brille une couronne!

      Pourquoi, malgré moi-même, embrasez-vous mon cœur?

      Que ne me quittez-vous quand je vous abandonne.

      Cessez, honneur, de me donner des lois;

      Votre grandeur n'est qu'un passage

      Que le Destin, toujours volage,

      Abat et relève à son choix;

      Et la pompe qui suit les rois

      N'est rien qu'un brillant esclavage.

      Enfin, l'Amphitryon de Molière, joué en 1668, a, on n'en saurait disconvenir, un grand air de famille avec les Sosies de Rotrou, représentés trente ans plus tôt.

      Rotrou, qui aimait beaucoup Corneille et qui appréciait le génie de ce grand homme, imagina une singulière façon de faire l'éloge de l'auteur de Cinna. Dans sa tragédie de Saint-Genest, Dioclétien, après avoir loué sur ses talents, le plus grand comédien de son époque, lui demande quelles? sont les pièces qui ont le plus de succès. L'acteur répond:

      Nos plus nouveaux sujets, les plus dignes de Rome,

      Et les plus grands efforts des veilles d'un grand homme,

      A qui les rares fruits que la Muse produit,

      Ont acquis sur la scène un légitime bruit,

      Et de qui certes l'art, comme l'estime, est juste,

      Portent les noms fameux de Pompée et d'Auguste.

      Les poëmes sans prix, où son illustre main,

      D'un pinceau sans pareil a peint l'esprit romain

      Rendront de leurs beautés votre oreille idolâtre, Et sont aujourd'hui l'âme et l'amour du théâtre.

      Nous avons expliqué, dans un de nos chapitres précédents, comment la foule qui se pressait aux représentations dramatiques, avait amené les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, en 1600, à se séparer en deux troupes, ce qui avait donné naissance à une seconde scène élevée au Marais. Nous avons dit également qu'au commencement du dix-septième siècle, le cardinal de Richelieu, emporté par sa passion pour le théâtre, avait fait construire dans son propre palais deux salles de spectacle, une grande et une petite.

      En 1641, Molière, ou plutôt Poquelin (car c'était son véritable nom), entra dans une des nombreuses sociétés particulières qui, à cette époque, se faisaient un divertissement domestique de jouer la comédie. Cette société acquit bientôt une certaine célébrité sous le nom de l'Illustre Théâtre. Beaucoup de princes et de grands personnages la faisaient venir dans leurs hôtels. Après avoir parcouru quelque temps la province avec cette Société, ou si l'on veut avec cette troupe, Molière revint à Paris, fut assez heureux pour avoir accès


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