Un tuteur embarrassé. Dombre Roger

Un tuteur embarrassé - Dombre Roger


Скачать книгу
que j'inspirais était un tantinet égoïste.

      Blanche étreignit mes mains froides et, sanglotant, ne put que répéter:

      "Odette! pauvre Odette!"

      Sa soeur Jeanne, que j'aime moins, se pencha sur moi et, dans un souffle moins désolé, prononça très bas:

      "Cousinette, ta mort nous laisse riches; je pourrai épouser M. de Grandflair… Merci."

      Ces paroles me rendaient rêveuse.

      Au fait, j'étais riche. Riche et mineure, je n'avais pas écrit de testament: mes biens revenaient donc tout naturellement à mes parents les plus proches, les Samozane.

      Est-ce que cela n'allait pas atténuer de beaucoup leur regret de me perdre?

      Bah! Je m'en voulus pour cette idée injurieuse, déplacée, et je dressai de nouveau l'oreille.

      Un grand fracas retentit dans ma chambre… mortuaire, et je devinai Gui, Guimauve, mon bon camarade, le complice accoutumé de mes fredaines.

      "Que me dit-on? Odette! Morte! C'est impossible! Ce matin, quand je suis parti pour le collège, elle allait comme un charme.

      "Eh! oui, soupira tante Bertrande, mais cela est survenu subitement. Regarde-la, la pauvre chérie; elle n'a pas souffert. Ne dirait-on pas qu'elle dort?

      "Absolument, répondit Gui dans un grand sanglot, et c'est à se demander si…

      "Ah! Nénette, je t'aimais bien va, en dépit de nos fréquentes disputes.

      Ah! comme tu vas me manquer!"

      Puis, changeant soudain de ton, anxieux:

      "Et Robert, comment supporte-t-il cela? dit le grand fou en se mouchant bruyamment.

      "Pauvre frère, le voilà veuf de sa petite fiancée!"

      Sa petite fiancée?

      Il me sembla que je bondissais; où Gui prenait-il cela?

      Jamais il n'a été question d'avenir entre Robert et moi, et je crois que si ses parents et lui ont… avaient, plutôt, des vues sur ma personne, ils auraient pu m'en instruire.

      Certes, j'aime bien Robert; je l'admire même, comme un grand frère très aîné (il a dix ans de plus que moi) et très sérieux; mais, il ne m'est jamais venu à l'idée…

      Robert, au fait, comment n'était-il pas là à pleurer et à prier au pied de mon lit funèbre?

      L'oublieux! L'indifférent!

      Son absence m'offusqua et je lui en voulus beaucoup… Je lui en veux encore à l'heure qu'il est.

      Ne manquait-il pas à tous ses devoirs?

      Mon oncle, lui, pouvait avoir affaire ailleurs; mes tantes aussi, appelées au dehors par les amis à recevoir, les ordres à donner relativement à mes funérailles; mais Jeanne et Blanche égrenaient leur chapelet auprès de moi et Gui ne quittait pas mon chevet où il se lamentait tout haut.

      Que faisait donc Robert?

      Peu à peu, un grand silence se fit dans la pièce; sans doute, on m'avait assez pleurée, on respirait un brin. Je profitai de ce répit pour réciter un psaume pour le repos de ma pauvre âme, m'étonnant toujours de demeurer entre ciel et terre sans m'arrêter nulle part, ni apercevoir l'ombre même d'un juge.

      Soudain un pas, dans le lointain de la maison, fit gémir l'escalier.

      Comme j'avais l'ouïe fine, alors!

      – Voilà enfin Robert! pensai-je.

      Mais non, le pas se rapprochait, non léger et harmonieux, comme celui de mon cousin, mais lourd et inégal.

      C'était Miss Hangora, bientôt suivie de son inséparable Mlle Dapremont que je ne puis souffrir.

      En ce moment, toutefois, sur le point de paraître devant Dieu, j'essayai de l'aimer de tout mon coeur.

      Ah! bien oui! vous allez voir si cela m'était facile!

      Elles se répandirent d'abord, toutes les deux, en clameurs énervantes et en doléances sur la pauvre Odette:

      "Une si charmante fille! qui avait tant d'esprit! des yeux si espiègles! la réplique si vive!"

      Ici, également, les regrets manquaient de chaleur; il me semble qu'on pouvait bien m'aimer et me pleurer pour des raisons plus sérieuses, pour au moins les quelques qualités morales que je me flatte de posséder.

      Miss Hangora s'approcha de mon corps et déclara que j'étais "une délicheusse petite morte; un peu pâlotte, voilà tout, et pas du tout effrayante."

      Au fond de moi-même, je lui sus gré de se montrer si expansive et de m'apprendre, sans le vouloir, que je ne faisais pas peur.

      Puis, ces demoiselles s'assirent auprès de mes cousines et tentèrent de les consoler, ce qui ne fut pas difficile, avec des natures aussi superficielles que Blanche et Jeanne.

      "Porterez-vous longtemps le deuil? Le noir ira bien à votre teint, faisait remarquer Mlle Dapremont; faites-vous fabriquer un toquet de soie noire par Crespin, Jeanne, car le crêpe ne se prend pas pour une cousine.

      "Presque une soeur… murmura la voix dolente de ma cousine."

      "Oui; mais on réserve le crêpe pour des parents plus proches; autrement, ma chère, il n'y aurait plus de différence; n'est-ce pas, Blanche!"

      Blanche acquiesça faiblement.

      Tante Bertrande rentra, affairée, et exposa la manière par laquelle on comptait m'enterrer.

      Je compris que l'on ferait bien les choses et que mon tuteur ne regardait pas à la dépense.

      Des domestiques entrèrent aussi, apportant des fleurs.

      Ma vieille bonne, Euphranie, était plongée dans la désolation; ses larmes ruisselaient bruyamment et elle faisait toucher à mes mains inertes son chapelet de bois pour conserver, disait-elle, "une relique" de Mademoiselle. Tout comme si j'étais morte en odeur de sainteté.

      Les jeunes filles profitèrent, pour quitter la chambre un instant, de l'arrivée de la brave servante qui voulait "me veiller" au moins une heure.

      Pauvre vieille! elle commença par prier, puis, s'assoupit, puis ronfla et ne s'éveilla que lorsque Gertrude vint s'asseoir à côté d'elle.

      Alors, elles conversèrent.

      Bien entendu, je fis le sujet de leur entretien.

      "Si la pauvre mignonne avait vécu, disait le cordon-bleu de la famille Samozane, elle serait devenue la bru de son tuteur et la femme de M. Robert."

      Il y eut un silence. Euphranie reprit:

      "C'est un beau parti qui échappe à M. Robert; la petite mignonne aurait eu sept cent mille francs de dot."

      "Il doit être bien marri, M'sieur Robert.

      "Y a de quoi, avouez-le. Nos maîtres n'ont pas de fortune, qu'il paraît, et la jeune famille ne sera pas d'un casement facile.

      "A présent, tout est changé: nos demoiselles sont dotées, et quant à nos jeunes Messieurs…

      "Monsieur Gui est un tantinet paresseux, mais si bon garçon, si amusant, qu'il trouvera facilement une femme pour s'épouser avec lui.

      "Monsieur Robert, on ne sait que dire sur lui. Il arrivera à tout ce qu'il voudra; mais c'est un artiste, un indépendant, comme ils disent, et il lui aurait fallu une petite demoiselle comme Mlle Odette pour lui apporter la fortune.

      "Aussi, avait-il jeté son dévolu sur elle.

      "Lui ou ses parents, on ne sait pas," conclut Euphranie à laquelle j'aurais volontiers arraché les yeux car elle m'arrachait, elle, mes illusions.

      Ainsi, tout le monde me fiançait donc à ce Robert qui ne venait pas me pleurer, lui, et que j'avais eu la sottise de tant admirer, moi?

      C'était exaspérant, en vérité, et il me tardait de disparaître tout à fait de ce monde, dont je n'entrevoyais que trop, à présent, la cupidité et la petitesse.

      "Tout


Скачать книгу