Un tuteur embarrassé. Dombre Roger

Un tuteur embarrassé - Dombre Roger


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un petit frisson me prit:

      "Eh! quoi! demain, ou après-demain, au lieu de me réveiller le matin sous mes rideaux de soie pâle caressés par le soleil levant, entre des murailles tendues d'étoffes veloutées, dans une jolie chambre parfumée et riante, je me trouverai à plusieurs pieds sous terre au milieu d'une froide humidité!..

      "Au lieu de ces bottes de fleurs qui embaument, j'aurai les parois rudes d'un cercueil!.."

      Mon frisson s'accentua au point que je m'écriai, en moi-même:

      "Mais, ai-je bien réellement trépassé?"

      Et aussitôt, dans ma mémoire flottante, s'éveilla l'histoire touchante de la fille de Jaïre:

      "Cette enfant n'est point morte, elle n'est qu'endormie!"

      Grand Dieu! si quelqu'un avait la bonne inspiration de prononcer cette parole.

      Un médecin un peu intelligent!.. Si Robert seulement daignait approcher de mon lit!.. Lui qui voyait tout, devinait tout…

      Si ma bonne Euphranie avait la charitable idée de me verser une carafe d'eau sur la tête, sûrement cela me remettrait!

      Car, plus le temps s'écoulait, plus je me sentais revivre, sortir de la léthargie qui paralysait mes membres et enchaînait ma langue avec les battements de mon coeur.

      Les deux servantes se rendormaient, sourdes à tout appel; dans la chambre assombrie par l'approche de la nuit, flottait un bruit insaisissable, comme un frôlement de fantômes, dû, peut-être, au vacillement léger des flammes des cierges ou au souffle de la brise, à peine sensible, qui soulevait imperceptiblement les rideaux.

      Mais, une intense frayeur me venait de ne pouvoir manifester jamais la vie qui se réveillait en moi.

      Alors, qu'adviendrait-il? On m'enterrerait vivante, et je ne serais pas la première victime d'une semblable erreur.

      "Si seulement, on avait l'idée de me brûler la plante des pieds, pensai-je, ou celle de me tâter le pouls; je suis sûre que mon coeur bat de nouveau!

      Après tout, si laid que soit le monde, je ne suis pas fâchée d'y rentrer… Je comprends maintenant pourquoi je ne paraissais pas devant Dieu et pourquoi le jugement était si long à arriver.

      J'ouvris les yeux et regardai autour de moi: le jour mourait doucement; dans la cheminée, plus de bûches, mais des cendres encore roses qui envoyaient un peu de chaleur dans l'appartement, malgré la fenêtre restée entr'ouverte.

      Je souris à tout cela.

      Le plus pressé, pour le moment, était de changer la position de ma pauvre tête véritablement ankylosée depuis tant d'heures qu'elle reposait, immobile, sur l'oreiller; mais, sans aide, je ne pouvais encore me mouvoir.

      – Euphranie! Gertude! prononçai-je, mais si bas, qu'un double ronflement sonore me répondit seul.

      Je rassemblai mes forces et tentai de remuer; un vertige allant jusqu'à la souffrance me cloua de nouveau sur mon lit.

      L'impatience me prit: c'était bon signe.

      "Où est mon mouchoir? me demandai-je; on l'a inondé d'eau de Cologne, et si je pouvais aspirer ce parfum, il me semble que cela me ferait du bien. Euphranie! Gertrude! vieilles sorcières! ne voulez-vous me venir en aide?"

      Ma voix reprenait un peu de force; mais, comment me faire entendre de ces deux commères que le bruit du canon ne pourrait même réveiller?

      "C'est bien, me dis-je, on se passera d'elles, et je vais leur jouer un bon tour. Quand elles rouvriront les yeux, la morte aura fui pour apparaître, telle que la statue du Commandeur, dans l'appartement où ma chère famille suppute peut-être ce que va lui rapporter mon trépas."

      II

      Si Mlle Odette d'Héristel, alors qu'elle était en léthargie, crise qui ne devait pas se renouveler pour elle, avait eu le don d'ubiquité, au lieu d'accuser son cousin Robert d'indifférence, elle aurait été touchée profondément de son chagrin.

      Afin d'échapper à l'indiscrète curiosité des allants et des venants, il s'était réfugié dans sa chambre, dont l'ombre propice cachait l'atroce douleur qui bouleversait ses traits.

      Odette, morte!

      Etait-ce possible? l'enfant qu'il chérissait à l'égal de ses soeurs, plus peut-être ou, du moins, d'une façon différente; le tyran si câlin parfois, si amusant d'autres fois, que l'on adorait quand même?

      Morte, comme cela, sans bruit, sans éclat, ainsi qu'un bébé qui s'endort?

      Et il ne la verrait plus; tout à l'heure, on le mettrait dans le cercueil, ce charmant petit corps, si joli, si fin, que le trépas ne défigurait point; et, peu à peu, le souvenir de sa grâce et de sa gentillesse s'effacerait de la maison.

      Chez les Samozane, tous aimaient Odette, c'était vrai; mais, seul, Robert comprenait cette délicieuse nature d'enfant gâtée et savait la faire plier.

      Il souffrait cruellement; il lui semblait que le soleil avait disparu de son horizon, et il s'étonnait lui-même que cette perte le torturât à ce point.

      Car, qui connaissait, mieux que lui, la beauté de cette petite âme délicate et nerveuse, vite cabrée et si tendre, une fois soumise?

      A présent qu'elle n'était plus, il ne voulait se rappeler que sa tendresse, oubliant ses fautes et ses caprices passés.

      Il eût donné tout ce qu'il possédait pour revoir cette jolie moue qu'elle mettait si souvent sur ses lèvres roses, promptes à la riposte et aussi à la bouderie; pour l'entendre se fâcher et même trépigner un peu.

      N'était-elle pas exquise jusque dans ses petites colères? Certes, il y aurait eu quelques retouches à faire en cette jeune fille, afin qu'elle passât pour une beauté accomplie; mais combien elle était gentille et douce à regarder, même sur son lit de mort, avec sa bouche close et les lignes pures de son fin visage!

      Un certain vacarme qui se produisit dans la maison, fit tressaillir Robert.

      – Mon Dieu! pensa-t-il, en fronçant le sourcil, ne peuvent-ils donc respecter le dernier sommeil de notre pauvre chérie? Qu'est-ce qu'ils peuvent avoir à s'agiter ainsi?

      Il n'eut pas le temps de s'en enquérir; une main hésitante entr'ouvrait la porte, et un rire léger, discret, effleurait son oreille.

      Ce rire ressemblait à celui d'Odette; ce n'était pourtant pas le rire d'un spectre… Mais, était-ce la morte qui le produisait?

      Robert crut devenir fou, quand une petite voix, mal assurée, mais douce et fraîche, prononça près de lui:

      – Je ne voudrais pas te faire peur, Robert, mais je viens te dire que… que je ne suis pas du tout morte. On s'est trompé: je dormais seulement.

      Homme de sang-froid et d'intelligence prompte, Robert Samozane avait déjà compris.

      Debout, très pâle, il tendait les bras à la jolie revenante qui s'y était blottie, contente de le revoir, contente de revivre, quoique un peu faible encore.

      Une grande, une intense émotion faisait battre, à coups précipités, ce coeur contre lequel se pressait la ressuscitée; et, tout bas, Robert remerciait Dieu qui lui rendait sa petite amie.

      Soudain, Odette s'arracha des bras qui l'enserraient et, regardant son grand cousin avec une surprise nuancée de malice:

      – Comme tu as l'air troublé!.. Et tes yeux sont mouillés! Toi, Robert, toi!..

      – Dame! on te croyait morte…

      – Et l'on me pleurait! Que c'est gentil! J'en vaux donc la peine! Si tu savais comme cela me fait plaisir!

      – Pourquoi?

      – Si tu avais été mort, seulement pendant cinq ou six heures, tu saurais qu'on prend de l'expérience en cette… absence, et que cela vous vieillit.

      – Pas physiquement, au moins, dit Robert en souriant; tu as toujours ta gentille petite frimousse mutine.

      – Ah!


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