Un tuteur embarrassé. Dombre Roger

Un tuteur embarrassé - Dombre Roger


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oui, répéta la servante, revenue à son idée, on vous aime pour votre petit coeur si généreux.

      – Et si je ne donnais rien?

      – On vous aimerait quand même pour vos autres qualités, ma mignonne; c'est qu'alors vous seriez pauvre et ne pourriez plus faire plaisir aux autres.

      – Ah! fit encore Odette, qui eût voulu interroger davantage la vieille femme, mais qui n'osait.

      Hélas! oui, comme le déclaraient, chacun dans son for intérieur, tous les Samozane, la jeune ressuscitée n'était plus du tout la charmante et rieuse fille du temps passé.

      D'abord contente de revenir au monde bien portante, de revoir tous les siens, elle avait ensuite peu à peu, réfléchi, se remémorant les paroles entendues pendant sa léthargie et les commentant à sa façon, la pauvre fillette. Sa vive imagination aidant, elle en vint à se grossir les choses, à interpréter bizarrement les propos recueillis et à se forger mille chimères.

      Elle les avait bien entendus, ces propos, tendres et désolés pour la plupart, mais elle n'avait pu voir la mimique sincèrement navrée qui les accompagnait.

      Mon Dieu! oui, le tuteur un peu maniaque avait bien murmuré:

      – J'avais toujours dit que celle petite n'était pas comme les autres.

      Mais, en prononçant ces mots, il avait l'oeil humide et la voix chevrotante.

      Mme Samozane avait dit, en effet:

      – Elle nous en a fait voir de dures, la pauvre enfant, que le bon Dieu lui pardonne!

      Mais quoi de plus vrai? cette idée venait simplement à l'esprit de l'excellente femme dont "la trépassée" n'apercevait pas le visage bouleversé.

      De même pour tante Bertrande, bien meilleure dans le fond que ne le comportait son apparence bourrue.

      Un peu insignifiantes, les demoiselles Samozane se sentaient réellement navrées de perdre leur cousine qui les taquinait souvent, mais que leur coeur étroit et superficiel n'eût guère plus aimée si elle eût été leur soeur.

      Jeanne avait eu cette exclamation, malheureuse il est vrai, et naïve dans sa reconnaissance anticipée:

      "Cousinette, grâce à toi, je pourrai épouser M. de Grandflair."

      Mais si, dès sa résurrection, Odette s'était montrée plus gentille avec elle, nul doute que Jeanne lui eût témoigné toute la joie sincère qu'elle ressentait.

      Quant à Robert, nous sommes fixés sur la nature de ses impressions.

      Seul, Gui, n'avait rien perdu de l'amitié d'Odette. Par exemple, lui qui n'avait jamais eu un tact très sûr, il se plaisait à la taquiner davantage depuis qu'il la voyait plus agressive, et il recevait souvent les éclaboussures de sa mauvaise humeur.

      Au fond, les deux soeurs n'étaient pas encore convaincues qu'Odette n'avait pas voulu "se payer leur tête", pour employer une des plus élégantes expressions du jeune Samozane. Or, Blanche et Jeanne lui en voulaient de cela.

      Elle leur avait joué tant de tours, cette cousine endiablée, depuis qu'elle vivait avec elles, profitant probablement de la supériorité d'esprit qu'elle se sentait sur elles.

      Ainsi donc, tout concourait peu à peu et davantage chaque jour à entretenir les idées noires de Mlle d'Héristel; des mots, des plaisanteries, des réticences de domestiques entendus par hasard, dont elle aurait dû hausser les épaules si elle eût été en d'autres dispositions morales.

      Dès son entrée dans le monde qui, en dépit de sa jeunesse et de sa gaminerie, avait eu lieu peu à peu, par degrés, en commençant par les bals blancs et les réunions intimes, elle s'était vue recherchée, mais des femmes et des jeunes filles autant que des hommes, parce qu'elle était dépourvue d'affectation, sincère, bonne et amusante.

      Jusqu'alors, elle n'avait jamais pensé que sa dot rondelette pût lui attirer des amis; cela ne lui venait même pas à l'idée et elle avait bien raison.

      Aujourd'hui, dans son coeur de fillette inexpérimentée, elle croyait discerner la vérité du mensonge au milieu des sourires qui s'adressaient à elle.

      Et elle accusa tout bas d'ambition et de vils calculs des gens qui ignoraient même qu'elle fût une riche héritière.

      Dans sa petite âme repliée maintenant, était entré le poison de la défiance et, elle si franche, elle voyait des menteurs là où il n'y avait que de sincères amis. Elle se sentait meurtrie moralement par tout ce qu'elle avait entendu de vilain ou plutôt par tout ce que, prévenue, elle avait interprété à sa façon.

      De plus, Miss Hangora et Antoinette Dapremont qui, réellement la jalousaient et qui professaient l'une et l'autre une admiration sans bornes, mais hélas! inutile pour Robert Samozane, prenaient soin d'entretenir ces sombres préventions chez Odette.

      La chère petite ne les aimait pas, et pourtant elle les écoutait et même les croyait parfois.

      Odette d'Héristel n'était plus la petite âme limpide où chacun pouvait lire à livre ouvert; elle, si active jadis, demeurait des heures oisive, pelotonnée dans les coussins du divan comme un jeune chat, inclinant sa petite tête farouche comme si le poids trop lourd de ses sombres pensées l'entraînait.

      Réfléchie et enthousiaste à la fois, elle prenait à l'extrême toutes choses. Jusqu'à ce jour, elle n'avait pas vu ou voulu voir, dans la vie, de jaloux, d'envieux, d'ambitieux; mais soudain, apprenant qu'il en existait de par le monde, elle se prenait à douter même des meilleurs, ce qui était une immense injustice et pouvait lui coûter cher.

      Enfin, elle commençait à lasser la patience de ceux qui l'entouraient.

      Sans prendre garde à ses colères d'enfant, les hommes, occupés ailleurs, haussaient les épaules à ses diatribes contre l'humanité.

      Moins indulgentes, les femmes supportaient mal sa persistante ironie et les insinuations faites d'une voix mordante. Une guerre intime et fatigante pour tous s'alluma dans la maison de Passy, nid chaud naguère et si riant, où l'on ne s'était jamais disputé qu'en plaisantant.

      Dans la pauvre petite âme désemparée d'Odette naissait cette crainte vague de n'être pas aimée pour elle-même, douloureux sentiment qui arrachait de ses lèvres le rire et la sérénité de son coeur.

      Ses tantes ne devinaient pas, comme l'eût fait sa mère, qu'elle souffrait plus que tous de cet état de choses, et, dans leurs entretiens avec le chef de famille, elles se plaignaient amèrement de la jeune révoltée.

      IX

      "Je sens que j'ai le diable au corps… hélas! est-ce ma faute?.. On m'a faite ainsi… Qui, on?

      La vie, les hommes, les circonstances.

      Et je vais prendre un grand parti.

      Ce n'est pas qu'il ne m'en coûte, certes, de quitter une famille où, après tout, je trouve quelques satisfactions, pour entrer dans l'inconnu, dans la dépendance, dans le spleen peut-être!

      Mais, je suis charitable, je débarrasserai les miens d'une présence qui ne peut que leur être importune, étant donné l'état de "grincherie" perpétuelle où je me sens.

      Et ensuite, que ferai-je?

      Eh! mon Dieu! qu'en sais-je? Je ne voix plus clair devant moi, je n'ose plus m'appuyer sur personne et je me rends très malheureuse tout en rendant malheureux les autres autour de moi. J'en excepte ma vieille Nanie et son chat Boileau."

      X

      Mlle d'Héristel entra chez son tuteur d'un petit air si soumis, que le brave homme se dit aussitôt:

      "Qu'a-t-elle donc, aujourd'hui, mademoiselle ma pupille? Elle me paraît terriblement malléable. Qu'est-ce qu'il y a là-dessous?"

      – Es-tu souffrante, fillette? lui demanda-t-il avec une sollicitude dont elle se sentit touchée.

      Très grave, elle répondit:

      – Non,


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