Corneille expliqué aux enfants. Faguet Émile

Corneille expliqué aux enfants - Faguet Émile


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de tous côtés encourager les nôtres,

      Faire avancer les uns, et soutenir les autres,

      Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,

      Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.

      Mais enfin sa clarté montre notre avantage;

      Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage:

      Et voyant un renfort qui nous vient secourir,

      L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.

      Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,

      Poussent jusques aux cieux des cris épouvantables,

      Font retraite en tumulte, et sans considérer

      Si leurs rois avec eux peuvent se retirer.

      Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte;

      Le flux les apporta, le reflux les remporte;

      Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,

      Et quelque peu des leurs, tout percés de nos coups,

      Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.

      A se rendre moi-même en vain je les convie;

      Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas:

      Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,

      Et que seuls désormais en vain ils se défendent,

      Ils demandent le chef; je me nomme, ils se rendent.

      Je vous les envoyai tous deux en même temps;

      Et le combat cessa faute de combattants.

      Rodrigue n'est plus le jeune homme obscur de la veille, il est le sauveur du pays; il n'est plus même Rodrigue, il est le Chef, le Cid. Il ne peut donc plus être question de le punir. Le roi l'embrasse, et Chimène, qui n'a jamais cessé de l'estimer, et qui maintenant l'admire, Chimène attendra en silence que sa douleur se soit adoucie, et épousera plus tard le héros qui est si digne d'elle.

      Voilà l'histoire du Cid. Elle nous apprend que les fils qui savent défendre leurs pères sont les plus hardis ensuite et les plus heureux à protéger, contre ceux qui la méprisent ou qui l'insultent, la mère commune, qui est la patrie.

      CHAPITRE V.

      HORACE

      Horace est une histoire aussi noble et aussi généreuse, mais plus triste. C'est pour cela qu'il faut la lire et la bien comprendre, pour apprendre que le devoir accompli n'a pas toujours une récompense aussi douce que tout à l'heure, et qu'il faut néanmoins le remplir, parce que la vraie récompense du bien que l'on fait, c'est la conscience qu'on a d'avoir bien agi.

      Horace était un Romain des temps anciens, du temps que Rome était en guerre avec la ville d'Albe, sa voisine. Il avait trois fils, et, avant la guerre, il en avait marié un avec une jeune fille d'Albe, nommée Sabine, qui était de la famille des Curiaces. D'un autre côté, un jeune homme de la famille des Curiaces devait épouser une fille d'Horace, nommée Camille. Vous comprenez combien ces deux familles, unies par tant de liens, désiraient la fin de la guerre qui les séparait sans que pourtant elles pussent arriver à se haïr.

      Précisément un sujet de joie, ou du moins d'espoir, se présente. Une trêve a été conclue, et l'on a décidé, pour en finir, que trois Romains combattraient pour tous contre trois Albains, et que la patrie des vaincus se soumettrait à celle des vainqueurs.

      Mais voilà que ce sont justement les trois fils d'Horace qui sont choisis, et pour combattre contre qui? contre le Curiace, fiancé de Camille, et ses deux frères. On pleure dans la maison d'Horace. Sabine et Camille sont au désespoir. N'importe; la patrie ordonne, il faut marcher sans plainte où elle veut qu'on aille. Le jeune Horace dit au Curiace qui est son beau-frère:

      «Albe vous a nommé; je ne vous connais plus.»

      et Horace, le père, les envoie au combat en les bénissant, avec ces paroles sublimes:

      Ah! n'attendrissez point ici mes sentiments;

      Pour vous encourager ma voix manque de termes;

      Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes;

      Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux.

      Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux!

      Ils font leur devoir.

      Au premier choc, deux Horaces sont tués, les trois Curiaces blessés. On vient apprendre cette nouvelle au vieil Horace, et on ajoute que le seul survivant de ses trois fils a pris la fuite. Il refuse d'y croire. Un Horace fuir! ce n'est pas possible:

      O d'un triste combat effet vraiment funeste!

      Rome est sujette d'Albe, et pour l'en garantir

      Il n'a pas employé jusqu'au dernier soupir!

      Non, non, cela n'est point, on vous trompe, Julie;

      Rome n'est point sujette, ou mon fils est sans vie:

      Je connais mieux mon sang, il sait mieux son devoir.

      Que vouliez-vous qu'il fît contre trois? lui demande-t-on. – «Qu'il mourût!» répond d'un ton sublime ce père, déjà privé de deux enfants, mais qui ne songe qu'à l'honneur du pays.

      Qu'il mourût!

      Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.

      N'eût-il que d'un moment reculé sa défaite,

      Rome eût été du moins un peu plus tard sujette;

      Il eût avec honneur4 laissé mes cheveux gris,

      Et c'était de sa vie un assez digne prix.

      Il est de tout son sang comptable à sa patrie;

      Chaque goutte épargnée a sa gloire flétrie;

      Chaque instant de sa vie, après ce lâche tour,

      Met d'autant plus ma honte avec la sienne au jour.

      J'en romprai bien le cours, et ma juste colère,

      Contre un indigne fils usant des droits d'un père,

      Saura bien faire voir, dans sa punition,

      L'éclatant désaveu d'une telle action.

      Cependant d'autres nouvelles arrivent. Le jeune Horace n'était pas un lâche. Sa fuite n'était qu'une ruse. Il comptait que les trois Curiaces blessés le poursuivraient, qu'en le poursuivant, étant blessés plus grièvement les uns que les autres, ils se sépareraient, et que lui, revenant sur eux, n'aurait affaire qu'à un seul à la fois, et pourrait les frapper l'un après l'autre.

      Resté seul contre trois, mais, en cette aventure,

      Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,

      Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d'eux,

      Il sait bien se tirer d'un pas si dangereux;

      Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse

      Divise adroitement trois frères qu'elle abuse.

      Chacun le suit d'un pas ou plus ou moins pressé,

      Selon qu'il se rencontre ou plus ou moins blessé;

      Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite;

      Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.

      Horace, les voyant l'un de l'autre écartés,

      Se retourne, et déjà les croit demi domptés:

      Il attend le premier, et c'était votre gendre5.

      L'autre, tout indigné qu'il ait osé l'attendre,

      En vain en l'attaquant fait paraître


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<p>4</p>

Il eût laissé honorés mes cheveux gris.

<p>5</p>

Ce récit s'adresse au vieil Horace.