Oliver Twist. Dickens Charles

Oliver Twist - Dickens Charles


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la voix qui te parle, Olivier? dit M. Bumble.

      – Oui, répondit-il.

      – Et vous n'êtes pas épouvanté, monsieur? Vous ne tremblez pas à ma voix, monsieur? dit M. Bumble.

      – Non!» répondit courageusement Olivier.

      Une réponse si différente de celle qu'il attendait et à laquelle il était accoutumé fit hésiter M. Bumble, il quitta le trou de la serrure, se redressa, de toute sa hauteur, et considéra l'un après l'autre les trois témoins de cette scène, sans prononcer une parole.

      «Voyez-vous, monsieur Bumble, dit Mme Sowerberry, il faut qu'il soit devenu fou. Un enfant, ne fut-il qu'à demi raisonnable, ne se hasarderait jamais à vous parler ainsi.

      – Ce n'est pas de la folie, répondit M. Bumble, après quelques instants de profonde réflexion; c'est la viande.

      – Comment? s'écria Mme Sowerberry.

      – Oui, madame, la viande, la viande, reprit Bumble d'un ton magistral; vous l'avez nourri outre mesure, madame. Vous avez fait naître en lui une âme et un esprit artificiels, déplacés chez quelqu'un de sa condition. Messieurs du Conseil d'administration, qui sont des philosophes pratiques, vous le diront, madame Sowerberry. Qu'ont à faire les pauvres d'une âme et d'un esprit? C'est bien assez pour nous d'entretenir la vie dans leur corps. Si vous n'aviez donné que du gruau à ce garçon, jamais pareille chose ne fût advenue.

      – Mon Dieu! dit Mme Sowerberry en levant pieusement les yeux vers le plafond de la cuisine; voilà ce que c'est que d'être généreux!»

      La générosité de Mme Sowerberry pour Olivier avait consisté à lui prodiguer les restes dont personne n'eût voulu. Aussi y avait-il de sa part une grande abnégation à rester sous le coup de l'accusation portée contre elle par Bumble, et dont elle était absolument innocente, de pensée, de parole et d'action.

      «Tenez, dit M. Bumble à la dame qui tenait ses yeux baissés vers la terre; la seule chose à faire maintenant, à mon sens, c'est de le laisser dans le cellier pendant un jour ou deux, jusqu'à ce que la faim l'affaiblisse, et ensuite de le mettre en liberté et de le nourrir de gruau pendant tout son apprentissage; il sort d'une mauvaise famille, de gens irritables, madame Sowerberry; la nourrice et le médecin m'ont dit que sa mère était arrivée ici après des difficultés et des fatigues qui auraient tué depuis longtemps une femme bien portante.»

      M. Bumble en était là de son discours quand Olivier, qui entendait assez le dialogue pour comprendre qu'on faisait allusion à sa mère, recommença à donner des coups de pied dans la porte, de manière qu'on ne pouvait s'entendre. Sowerberry rentra sur ces entrefaites; on lui expliqua l'attentat d'Olivier, avec toute l'exagération que les femmes crurent propre à le mettre en colère; en un clin d'oeil il ouvrit la porte du cellier il en fit sortir par la collet l'apprenti rebelle.

      Les vêtements d'Olivier avaient été déchirés dans la lutte; il avait la figure égratignée et écorchée, les cheveux en désordre sur le front. Sa colère n'était pourtant pas éteinte, et, en sortant de sa prison, loin de paraître intimidé, il lança à Noé un regard menaçant.

      «Vous êtes un gentil garçon! dit Sowerberry en donnant un soufflet à Olivier.

      – Il a outragé ma mère, répondit Olivier.

      – Eh bien! quand même… petit misérable, dit Mme Sowerberry; il n'en a pas dit assez sur elle; elle méritait encore pis.

      – Non, dit l'enfant.

      – Si vraiment, dit Mme Sowerberry.

      – Vous mentez!» dit Olivier.

      Mme Sowerberry fondit en larmes. Ce torrent de larmes ne laissait à son mari aucune alternative. S'il eût hésité un instant à punir Olivier plus sévèrement, il est clair comme le jour que, d'après les usages reçus dans les querelles de ménage, il eût été une brute, un mari dénaturé, un être méprisable et n'ayant d'humain que le visage, sans compter mille autres agréables épithètes trop nombreuses pour avoir place dans ce chapitre.

      Il faut reconnaître qu'autant qu'il dépendait de lui (mais son autorité était fort limitée), il était bien disposé pour l'enfant, soit parce qu'il y allait de son intérêt, soit parce que sa femme le détestait. Le torrent de larmes de la dame ne lui laissa nulle ressource. En conséquence il administra à Olivier une correction telle, que Mme Sowerberry elle-même s'en montra satisfaite, et que la canne paroissiale de M. Bumble devint inutile. Le reste du jour, Olivier fut enfermé dans l'arrière-cuisine, en compagnie de la pompe et d'un morceau de pain sec; le soir, Mme Sowerberry, après avoir encore fait plusieurs remarques injurieuses pour la mémoire de sa mère, lui ouvrit la porte, et, au milieu des sarcasmes de Noé et de Charlotte, lui ordonna de gagner son lit.

      Abandonné à lui-même dans la boutique morne et silencieuse du croque-mort, Olivier se livra aux réflexions que le traitement qu'il venait d'éprouver devait éveiller dans son coeur d'enfant. Il avait écouté les sarcasmes avec dédain; il avait supporté les coups sans pousser un cri: car il sentait se développer dans son coeur un sentiment d'orgueil qui l'eût empêché de proférer une plainte, quand même on l'eût brûlé vif: mais, maintenant que personne ne pouvait le voir ou l'entendre, il tomba à genoux sur le plancher et, cachant son visage dans ses mains, il versa de telles larmes qu'il faut souhaiter pour l'honneur de notre nature que Dieu veuille en faire rarement répandre de semblables à des enfants de cet âge!

      Olivier resta longtemps immobile dans cette position. La chandelle allait finir de brûler quand il se leva; il regarda prudemment autour lui, écouta attentivement; puis il tira doucement les verrous de la porte d'entrée et regarda dans la rue.

      La nuit était froide et sombre; les étoiles paraissaient à l'enfant plus éloignées de la terre qu'il ne les avait jamais vues; il ne faisait pas de vent; l'ombre que les arbres projetaient sur le sol était complètement immobile et avait quelque chose de sinistre et de sépulcral. Il referma doucement la porte, et, profitant des dernières lueurs de la chandelle pour réunir dans un mouchoir le peu d'effets qu'il possédait, il s'assit sur un banc et attendit les premières clartés du matin.

      Dès qu'un rayon de lumière pénétra à travers les fentes des volets, Olivier se leva et tira de nouveau les verrous. Il jeta autour de lui un regard timide, hésita quelques instants, puis tira la porte derrière lui: il était dans la rue.

      Il regarda à droite et à gauche, incertain du côté par où il fuirait. Il se souvint d'avoir vu les chariots, quand ils sortaient de la ville, gravir péniblement la colline; il prit la même direction, et arriva à un petit sentier à travers champs, qu'il savait rejoindre bientôt la grande route; il s'y engagea et se mit à marcher rapidement.

      Il se rappela très bien avoir déjà suivi ce sentier, lorsqu'il trottait derrière M. Bumble, pour venir de la _Ferme _au dépôt de mendicité. Le chemin le conduisit tout droit à la chaumière; son coeur battit violemment à ce souvenir, et il était presque résolu à revenir sur ses pas; mais il avait déjà fait bien du chemin, et un détour lui ferait perdre beaucoup de temps: d'ailleurs il était si matin, qu'il avait peu à craindre d'être vu; il continua à avancer.

      Il arriva à la ferme; il n'y avait pas d'apparence que ses petits habitants fussent debout à cette heure matinale: Olivier s'arrêta et jeta à la dérobée un coup d'oeil dans le jardin; un enfant arrachait les mauvaises herbes d'un carré dans un moment où il leva son visage pâle, Olivier reconnut en lui un de ses anciens compagnons. Olivier se sentit joyeux de le revoir avant de s'éloigner; quoique plus jeune que lui, cet enfant avait été son petit ami, son compagnon de jeu; ils avaient été tant de fois affamés, battus, enfermés ensemble!

      «Chut, Dick! dit Olivier, comme l'enfant courait à la porte et passait ses petits bras à travers les barreaux pour lui faire accueil; est-ce qu'on est levé?

      – Non, il n'y a que moi, répondit l'enfant.

      – Il ne faut pas dire que tu m'as vu, Dick, reprit Olivier; je me sauve; on me bat et on me maltraite, Dick; je vais chercher fortune, si loin, si loin que je ne sais où. Comme


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