Vingt années de Paris. Gill André

Vingt années de Paris - Gill André


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les tableaux, transformant en ambulance la galerie, en eut longtemps suspendu, sur des lits de mourants, les cadres vides, je l'ai ressuscité, ce musée du Luxembourg.

      Et, tout à l'heure, en feuilletant le carnet de cette année-là – 1871 – n'ai-je pas retrouvé des rimes fanées?

............

      O cher temps envolé! – Quand, la grille fermée,

      Nous allions, tous les deux dans l'ombre parfumée,

      Seuls maîtres des lilas; le doux silence… Rien

      Que ma voix qui fredonne un menuet ancien

      Et votre jeune rire égrené sous les arbres.

      Nous allions, épelant, sur la blancheur des marbres,

      Le nom de quelque reine au profil solennel,

      Ou choisissant parfois un astre dans le ciel,

      Et puis très curieux, ramenant de la nue

      Nos regards, de trouver l'étoile devenue

      Perle dans l'eau, parmi les duvets d'argent fin

      Que les cygnes secouent sur l'onde du bassin.

............

      T'en souviens-tu? – C'était du temps de la Commune.

      On voit que j'étends à ma jeunesse la faveur réclamée pour mon enfance; il faut passer quelque chose à un homme dont les cheveux commencent à grisonner, et dont le cœur se tourne déjà vers le passé.

      Oui, le plaisir de parcourir le soir, après la retraite, le jardin paisible, débarrassé de la foule, c'était l'immunité de fonctions qui ont failli me coûter cher. Un groupe d'artistes, fidèles à Paris malgré le danger, soucieux de ses trésors artistiques, m'avait confié le soin de reconstituer le musée du Luxembourg, et de le garder.

      Au reste je n'y ai point fait que de méchants vers, et, tandis que je me tiens par la main, j'aurai l'honneur de présenter au maître idéologue-peintre Chenavard le citoyen qui donna l'accès des galeries à sa Divine Comédie, aux trois portraits restauration de M. Ingres, aux Armures et aux Poissons de Vollon, à tant d'autres toiles méritantes, abandonnées jusqu'alors aux rats des greniers impériaux.

      Quand j'arrivai sur le lieu de ma commission, le palais de Marie de Médicis était désert, dévasté; les appartements démeublés offraient, béantes aux regards, leurs solitudes grises de poussière. Quant au Musée, plus un tableau, plus un buste, je l'ait dit. L'ambulance était déménagée depuis longtemps; vide absolu. Les araignées filaient à l'aise.

      Au rez-de-chaussée, dans l'aile de bâtiment qui contient aujourd'hui la sculpture, les gardiens familiers avaient imaginé, construit, consolidé maintes bicoques en planches, très propices à leur agrément domestique: un parfum de saucisses, de pommes de terre frites, circulait sous les voûtes: des tuyaux noirs de cuisine s'enfonçaient dans les pilastres corinthiens: c'était joli tout à fait! La nourriture substantielle primant l'intellectuelle; le ventre à la place du cerveau; comble du naturalisme!

      Il est vrai qu'un des fauteurs, houspillé pour cette débauche de popotte, me répondit: «Oh! je ne fais la mienne qu'à l'huile!»

      On m'avait revêtu des «pouvoirs les plus complets» pour me substituer au conservateur officiel, M. de Tournemine. Je devais le remplacer partout, dans sa charge et dans ses appartements. Quand je lui rendis visite, et m'expliquai, il pâlit dans son fauteuil. Moi, j'étais debout, et je lui dis:

      – Tranquillisez-vous, monsieur; je passe et ne suis pas gênant; ne dérangez rien à vos affaires; il n'y a ici qu'un travailleur de plus qui vient vous aider.

      Et alors, nous travaillâmes. Le bataillon des gardiens lava, frotta, épousseta; les cadres enchâssèrent de nouveau leurs toiles, et la bonne odeur du vernis du Musée chassa les émanations pharmaceutiques de l'ambulance.

      Tous les jours, avec un camarade que m'avait adjoint la commission, un statuaire dont les statues sont rares, – tes statues sont rares, mon vieux Jean! – tous les jours nous allions explorer les hangars, les greniers du Louvre et du palais de l'Industrie, rapportant de nos investigations les marbres, les toiles qui pouvaient enrichir visiblement la collection publique. C'est ainsi qu'un merveilleux paysage de Courbet: Sous Bois, est entré au Luxembourg. Il est vrai qu'on l'en a fait ressortir depuis, afin de l'envoyer à l'impératrice. Pourquoi? je me le demande. Nous poussâmes la coquetterie jusqu'à rapporter, un jour, un paysage de M. de Tournemine lui-même. En dehors de ses attributions de conservateur, M. de Tournemine avait la spécialité des éléphants peints sur ciels orange.

      Une galerie de bois, construite sur le double pont qui relie les ailes du palais faisant face à la rue de Tournon, fournit l'emplacement nécessaire au regain de collection.

      Enfin le musée de sculpture, supprimé depuis des années, fut réinstallé sous les arceaux du rez-de-chaussée. Il y est encore.

      Les journées de Mai arrivèrent avec la fin de nos travaux. Je me rappelle mon dernier jour de présence.

      Les gardiens, massés en un coin de la galerie principale, se croisaient les bras. Je les priai de continuer leur besogne qui était d'accrocher des tableaux.

      – Eh! monsieur, s'écria l'un, on se bat à cinq cents pas d'ici!

      – Eh bien! accrochons pour les vainqueurs.

      M. de Tournemine, qui survenait, fut de mon avis: on se remit à l'ouvrage. C'était le mardi ou le mercredi…

      Vers quatre heures, le bruit de bataille du dehors approchant, vers quatre heures, – ici je ne puis m'empêcher de sourire, – il me vint une vague idée que, peut-être, j'avais tournure de héros: Impavidum!

      Il faut que je l'avoue: un diable est en moi qui me pousse à cambrer la taille dans les situations tendues. Nombre de timides, à ma façon, que je connais, ont au corps un diable pareil, et mourant d'effroi de paraître gauches, développent, aux instants délicats, les attitudes monumentales et harmonieuses des marbres grecs. Ils en tirent le juste bénéfice; toute la vie, on les appelle: poseurs.

      Je fis donc trois pas vers le groupe des gardiens, et, tirant de ma poche une pièce de cinq francs, des deux qui composaient mon avoir, – voyez l'opulence! – je la leur offris en disant:

      – Citoyens, nous ne nous reverrons plus sans doute; acceptez ceci pour boire à la santé de la République.

      C'était ridicule probablement. Il n'en parut pas ainsi. Et M. de Tournemine, me serrant très cordialement la main, m'affirma «qu'il garderait, quoiqu'il arrivât, le souvenir d'avoir vécu quelque temps en compagnie d'un parfait gentilhomme.» – Je cite le texte.

      Et je partis: je ne l'ai point revu. Un fantaisiste quelconque a, depuis, voulu faire entendre qu'avant de mourir, M. de Tournemine se serait plaint de tourments endurés pendant la Commune. Cela n'est pas vrai; M. de Tournemine n'a pas menti.

      Je reviens à mon vœu. On m'a demandé mes notes personnelles; je les donne bénévolement, sans m'inquiéter fort de l'intérêt qu'elles peuvent avoir; mais ce qui est, à coup sûr, intéressant, c'est la conservation du musée du Luxembourg et son maintien à la place qu'il occupe, dans le quartier des Écoles de l'Avenir.

      On a proposé de le transporter sur l'autre rive; jamais! Il me paraît aussi nécessaire au début, au développement des esprits, que les Écoles de droit ou de médecine, étant lui-même un foyer d'étude et d'espérance, une oasis pour le rêve aux jours de lutte ou de sombre hiver. Et si les «jeunes» manquent à cette heure de générosité, de sève, d'élan: s'ils s'attardent aux brasseries, s'épuisent en des plaisirs énervants, n'en pourrait-on attribuer quelque peu la cause à cette dévastation progressive du champ de leur éducation?

      Pour ne parler que du Luxembourg, n'est-ce pas assez que la guerre en ait fait à peu près chauve le jardin? N'est-ce pas trop que l'Empire, en sa fièvre de spéculation, en ait détruit sa poésie, la Pépinière, ce coin de paradis des rêveurs, aux méandres parfumés, aux parterres encombrés du fouillis des roses, où le printemps, chaque année, ramenait les fronts


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